"Aux Noms des Dieux"

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" À l'époque de la première Alliance, le Pacte est en ébullition.
Le Benyir est sous la domination de la religion, les Prêtres du Culte d'Higdrï règnent en maîtres au nom des Dieux. Ce que certains les souverains des pays alliés voient d'un mauvais œil !
Les Seigneurs sont appelés à combattre et Alaric, écuyer proche de l'adoubement est prêt à partir.
Seul obstacle ? Son amour pour Eulalie, la fille du bourreau local.
Prêt à prendre le manteau à la flamme bleu des Gardiens de la Flamme, mages et non mages défenseurs de la vraie foie, avant sa rencontre avec la jeune fille, Alaric serait soumis aux tentations. "

Cette histoire est un hors série gratuite de la saga Even

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Juché sur son cheval, Alaric serra les cuisses pour augmenter l’allure de son destrier. Grands Dieux qu’il avait faim ! Herlëv était encore à deux lieues de là et la petite forteresse n’était pas encore visible par-delà les champs qu’il apercevait parfois entre les arbres. La baronnie qu’il traversait était une terre noble et rurale qui appartenait à son parrain.

Seigneurie de taille moyenne, comprenant plusieurs villages et hameaux, ainsi que des terres agricoles et des forêts, il s’y déplaçait depuis une lunée à peine. Divisé en plusieurs fiefs, le domaine comptait quatre châtellenies. Chacune étant dirigé par un chevalier ou un noble vassal chez qui Ayleri avait refusé de faire escale.

Parti très jeune à la cour du Comte de Nuzeo, l’écuyer ne se sentait pas assez proche des vassaux de son père que pour quémander l’hospitalité. Il y avait bien une Commanderie de la Corporation des Gardiens de la Flamme en cours de construction chez qui ils s’étaient arrêtés le temps d’un repas, mais c’était tout.

Bien nés et loin du besoin, les jeunes gens répugnaient à profiter de l’aumône des moines guerriers. Ils avaient d’ailleurs veillé à laisser deux pièces d’argent aux défenseurs de la magie.

Alaric et Ayleri avaient traversé plusieurs petits villages aux maisons de bois et de pierre, regroupées autour d’un temple modeste ou d’une chapelle. Là, plusieurs paysans avaient arrêté d’engranger les céréales, en voyant passé l’un des fils du Baron. Ce n’était pas toutes les lunées que les manants avaient une si belle occasion de donner leur doléance sans se déplacer.

Le jeune écuyer avait été étonné d’entendre que deux ponts s’étaient effondrés et que l’une des routes enlisait les chariots tout l’hiver. Des désagréments qu’il appartenait à son parrain de régler au plus vite. L’un des manants les avait d’ailleurs détournés de leur itinéraire, par une mise en garde alarmiste.

 Quelques-uns des serfs avaient également profité de cette aubaine pour confier au cadet d’Herlëv des redevances en nature, dues au Baron. Telles que des volailles, des œufs et trois lapins que les garçons avaient accrochés à leurs selles.

La nuit commençait à tomber et l’air se rafraichissait.  Serrant sa cape de ses doigts gantés, Alaric se tourna sur son ami Ayleri qui lui sourit avec malice.

― Eh bien, Écuyer D’Aprelön, est-ce le froid ou la faim qui te fait presser le pas de CoeurDécume ?

― La faim, mon ami, la faim ! rit-il de bon cœur en se caressant l’estomac. Nous chevauchons depuis trois lunées et ce que les aubergistes avaient à nous proposer n’était pas à la hauteur des mets servit à la table de mon parrain !

― Les récoltes ont été mauvaises, tu le sais, le tempéra Ayleri avec bonté. Mon père n’aura pas grand-chose d’autre à nous offrir que les civets de lapin chassés par mes frères et des pastés à la croûte fine.

Élançant CastelDivin aux trousses de CoeurDécume le jeune écuyer cala la foulée de son étalon sur celle de ce dernier et remonta à sa hauteur. La mine pensive, le dernier fils du Baron d’Herlëv, pesa ses paroles avant de les prononcer dans un ton d’humour fataliste.

― Les prix des épices ont encore augmenté à cause du naufrage de deux navires, nos plats seront moins goûttu que ceux servis à la table de ton père, je le déplore.

Cela, Alaric en avait conscience, pourtant, il ne se départit pas de son sourire de crainte de mettre son ami dans l’embarras. Leurs pères ayant guerroyés ensemble durant leur service pour le Pacte, le Barron D’Aprelön devenu fort proche de celui d’Herlëv, avait désigné celui-ci comme parrain de son second fils.

Plus riche que son ami, il s’était souvent évertué à défrayer les séjours de son fils dans la bourgade. Le plus souvent sous l’aspect de cadeau, comme celui qu’Alaric portait dans sa sacoche. Un tapis de selle luxueux que le Baron D’Aprelön avait fait faire aux armoiries de celui d’Herlëv pour l’honorer lors du prochain tournoi.

Voué à devenir chevalier, le jeune écuyer avait été envoyé à l’âge de sept ans, en tant que Page, dans le palais du Comte de Nuzeo. Là, il avait passé son enfance en compagnie d’Ayleri à apprendre le maniement des armes auprès du Baron d’Herlëv, Maître d’armes de leur seigneur.

Parfois reparti dans sa famille pour y avoir également les enseignements de son père, le jeune homme avait passé certains hivers en compagnie de ses six sœurs, à présent presque toutes mariées. Son frère ainé, jaloux et prétentieux, qui voyait d’un mauvais œil la présence de son cadet. Ce qui avait mené à son exclusion à l’âge de dix ans.

De ce fait, il avait été, le plus souvent, le bienvenu sur les terres de son parrain qui l’accueillait avec joie, tout comme ses quatre fils. Passant de bien agréables moments dans la petite fortification, Alaric attendait toujours l’hiver avec beaucoup de fébrilité.

À cette période, le Comte se délestait de la charge de nourrir ses écuyers, préférant choyer ses chevaliers et invités de passage.

― Je préfère mille fois un repas à la table de ton père, qu’un seul en compagnie de mon frère et de son mépris, assura Alaric en salivant à l’avance à l’idée des plats simples qui lui serait présenté.

― Alors, il te faudra en profiter, mon ami, j’ai entendu dire par mon père que notre adoubement ne saurait tarder. Nous avons à présent tous deux vingt-et-une révolution passée et la condition de chevalier nous est accessible.

Ah, oui, il y avait cela ! La perspective de devenir un loyal serviteur de son Seigneur et des Dieux, de mettre sa main au service d’une noble cause le ravissait. Autant que la perspective qui l’accompagnait le tourmentait. Peu de chevaliers trouvaient la grâce d’un père prêt à leur offrir sa fille, à cause de leur condition sociale. Encore moins un puiné.

Passant la courbe d’un chemin, ils quittèrent les bois et arrivèrent entre deux champs qui semblaient s’étendre à perte de vue. Montant la dernière colline qui les séparait du domaine d’Herlëv, dont ils parcouraient les terres depuis plus d’une heure, ils se rapprochaient de leur souper et de la couche douillette qui les attendait.

― Que t’arrive-t-il, Alaric ? cela ne te fait-il pas plaisir ? questionna Ayleri en lui posant une main sur l’épaule.

Que répondre ? La vérité, évidemment. On ne pouvait prétendre être chevalier et mentir. L’honneur l’interdisait.

― Si, bien sûr. C’est seulement que… Une fois adoubé, la perspective d’un lit, d’un mariage et d’héritier sera plus lointaine encore.

CastelDivin henni quand, d’étonnement, son ami resserra les rênes au poing de presque immobilisé son cheval.

― Un mariage ? s’amusa son compagnon. Tu ne te sous-estimes pas, mon ami. Tu es un cadet, comme moi, notre lot sera de profiter des largesses des servantes mises à notre disposition par les seigneurs qui nous accueilleront… pour le reste… ce seront à nos frères ainés de s’assurer de la continuité de notre nom. Profite de ta jeunesse et ne pense plus à cela. Pas plus que tu n’as d’intérêt à tomber amoureux.

― Je le sais, Ayleri, je le sais… Toutefois, il est pêché de s’adonner à la chair en dehors des liens de…

― Oublie le sacrement du mariage, tu ne l’obtiendras pas. Le dernier qu’il te reste à obtenir est l’extrême-onction. À moins qu’un jour, tu te décides à rejoindre les Gardiens de la Flamme ou à te faire Moine d’Ogdal.

― Je sais être fort pieux, mais je ne le suis pas au point de m’enfermer dans un cloitre ou de renoncer à tous les plaisirs que les Dieux nous offrent sur cette terre. Et toi ?

Ce dernier le jaugea septique, avant de relancer sa monture.

― Bien, il me semblait pourtant t’avoir entendu envisager de rejoindre les Gardiens. Tu n’es pas obligé de faire du mal à une femme pour l’obtenir mon ami, je t’ai déjà vu dévoyer cette lavandière au Palais.

Alaric nota qu’Ayleri n’avait pas répondu. Il fallait dire que l’écuyer avait souvent vu le puiné d’Herlëv tourné autour des Gardiens de la Flamme, s’attirant leur faveur par de menu service. Cette passion pour les chevaliers aux services de la déférence de la magie, qu’ils soient ou non des mages, il l’avait partagée.

Si son ami rejoignait la Corporation, il s’enfermerait en compagnie des autres Gardiens dans une Commanderie et se retirerait du monde. Non pas des batailles, néanmoins et il paraissait que le Culte d’Higdrï au Benyir devenait de plus en plus en plus dangereux. Cela ne plaisait pas aux Souverains du Pacte, car les voyageurs dotés de pouvoir se faisaient attaquer dans le désert.

L’hypocrisie dont il faisait preuve tomba comme une pierre dans son estomac. Oui, lui aussi avait désiré rejoindre les Gardiens dans ses jeunes années. Il avait même prié pour que son ami embrasse la même vocation que lui et qu’ensemble, ils partent guerroyer contre les infidèles. Porter la Flamme bleue aurait été un honneur.

Machinalement, Alaric porta son gantelet à sa gorge, là où se trouvait le médaillon d’or offert par son père, symbole de sa foi.

Pourtant, ce n’était pas cette vocation perdue qui le minait le plus. Il voyait exactement de qui son ami parlait quand il évoquait le dévoyant d’Alaric. Cela faisait deux révolutions que le jeune homme profitait des charmes de la servante du Comte, de trois révolutions son ainée.

D’une beauté commune et pourvue de formes appétissantes, la belle l’avait soumis à la tentation de la chair alors qu’il avait su s’en préserver jusqu’alors. Surement trouvait-elle un autre chevalier pour réchauffer ses longues nuits d’hiver.

Il s’était abandonné à cette liaison pour éviter de succomber à une dépravation bien plus dangereuse. Un fléchissement qui porterait atteinte à son honneur. Car une fille, une seule, avait attiré son attention, et celle-là lui était interdite.

― Falia est veuve, Ayleri, lui rappela Alaric quelque peu offensé par le ton employé par son ami. Je n’ai rien pris qui appartienne encore à un père, un frère ou un mari.

― Alors, console-toi dans ses bras. Maintenant, dépêche-toi, j’aperçois enfin les toits de ma demeure et la fumée qui s’échappe des cheminées me dit que la bonne Agnia a encore fait des merveilles avec les produits de la chasse.

Pensif, Alaric se mordit le bout de la langue en portant sa main à la flamme d’argent émaillée qu’il portait au cou. Il y avait une forme d’ironie dans les paroles de son ami, qui l’alerta. Une inflexion cynique qui ne ressemblait pas à Ayleri.

Désapprouvait-il sa conduite ?

Il était vrai que l’autre écuyer s’intéressait plus que lui aux Gardiens et à la pureté de leur mission, à la chasteté dont ils faisaient preuve. Comptait-il les rejoindre ? Jugeait-il déjà son ami pour ses actes ? Il devait en avoir le cœur net, faire parler le futur chevalier. Ne serait-ce que pour être certain que ses actes ne le décevaient pas.

― Crois-tu que je me fourvoie ? Qu’il est mal pour mon âme de me complaire dans les tentations des Dieux Fourbes au lieu de suivre la Sainte lumière des Dieux Purs ou la Flamme des Gardiens ? Que je m’enfonce dans la Voie Noire en me compromettant ?

Exprimée à voix haute, cette perspective lui déplut. Tournant son visage long et efféminé vers Alaric, son compagnon de voyage lui adressa une moue compatissante. Un voile de chagrin sur ses iris verts, il arqua sa fine bouche en guise d’excuse.

― Je ne te juge pas, mon ami, je connais moi-même trop bien les tentations de la chair et les vices que promettent les Dieux Fourbes. Par chance, Ogdal, premier des Saints, et ses Moines nous offrent les armes et la force pour y résister ou, à défaut, nous purifier.

Alaric haussa les sourcils. Ayleri connaissait le charme des courbes féminines ? Voilà qui était fort étonnant ! Le coquin avait bien caché son jeu. Toujours le nez dans un livre pieux, l’écuyer d’Aprelön ne l’avait jamais vu lever les yeux sur les attraits des dames, aussi belles et tentatrices fussent-elles.

La mine perpétuellement en pénitence, son ami avait une beauté désinvolte et innocente qui donnait aux ribaudes l’envie de le consoler contre leur sein. Cela, il l’avait appris de la bouche même de Falia. Une chaude nuit d’été, Eulalie avait également entretenu Alaric sur les traits pensifs et torturés de son plus fidèle ami.

Se pourrait-il qu’Ayleri se voue à la Flamme pour éviter de s’épancher dans la luxure et le déshonneur ? Il devait en avoir le cœur net, et pour cela, il n’y avait qu’une seule solution : faire parler son ami sans le brusquer. Le cadet d’Herlëv, à l’instar des coquillages de la mer qu’il appréciait tant, se refermerait s’il venait à aborder franchement un sujet aussi intime.

― Penses-tu que vouer ma vie aux Gardiens pardonnerait les péchés que j’ai commis ? Qu’une dévotion sincère rattraperait mes fautes ? Cette voie était celle que j’envisageais autrefois.

― Non, Alaric, d’autres chemins s’ouvrent à toi pour trouver la rédemption. Il ne t’est pas obligé de vouer ta vie à la Flamme pour la servir. En tant que chevalier, tu auras maintes occasions de défendre le Corps d’Ogdal sans pour autant renoncer à la droiture du mariage.

Pourquoi son ami revenait-il au mariage ? Comme à son habitude, Ayleri soufflait le chaud et le froid, faisant preuve de mystère.

Le visage d’Eulalie lui apparut, ses yeux bleu clair, son visage en cœur, ses lèvres minces et tentatrices. Combien il rêvait de se coucher auprès d’elle, de se permettre de la faire entièrement sienne. Une gageure que jamais il ne se permettrait ! Se reprenant, Alaric se racla la gorge pour chasser ses mauvaises pensées. Il était une chose d’aimer en secret une jeune fille et de s’abandonner à une femme complaisante en imaginant sa belle. Prendre la vertu d’une damoiselle, en était une autre !

― Est-ce Falia qui occupe tes pensées ? l’interrogea Ayleri de son timbre doux et bas. Tu n’as pas à t’en vouloir de ce que tu éprouves. Choisir une seule amante pour combler ses appétits est plus juste que de profiter des pauvresses aux amours tarifés.

Digne et compréhensif, le puîné d’Herlëv rajusta son maintien sur CastelDivin, analysant de ses traits fins la réaction d’Alaric. Aussitôt, le jeune homme prit conscience qu’il craignait l’avoir blessé.

― Non, ce n’est pas cela. J’ai conscience de mon lot et je l’accepterais, mentit-il par omission en pensant à Eulalie et non à Falia. J’admire juste ta droiture qui n’a d’égal que celle des Moines et Gardiens.

― Ne m’admire pas, mon ami, car tu ignores ce qui m’y mène, réfuta Ayleri en secouant ses cheveux aux ondulations brunes. Si je viens à rejoindre les Gardiens, c’est que les vices seront à ma porte, cette nuit venue, j’espère que tu prieras pour moi.

D’un claquement de langue, Ayleri encouragea son étalon à détaler en direction de la colline, abandonnant Alaric à ses questionnements. CœurDécume, avec la permission de son cavalier, suivit aussitôt la course folle dans laquelle il venait de s’engager. Descendant à toute hâte la petite colline qu’ils surplombaient, traversant à grands enjambées la distance qui les séparait des bons repas.

La discussion était terminée, et le fils d’Aprelön connaissait assez bien son ami pour savoir qu’il valait mieux laisser du temps avant de reprendre ce sujet délicat. En attendant, il lui faudrait affronter ses propres tourments. Heureusement, pour l’heure, ceux-ci étaient bien loin et ne reviendraient pas le tourmenter avant le printemps. Il ne lui restait donc plus qu’à reprendre les discussions joyeuses qu’il partageait d’ordinaire avec son ami et trouver le foyer chaleureux de son parrain.

Quoi de mieux, donc, que de taquiner Ayleri sur sa tenue en selle ? Par la Flamme, parfois il avait l’air d’un jouvenceau !

Les deux garçons rirent de bon cœur et gagnèrent les portes de la petite enceinte fortifiée, revigorés. Leurs montures, épuisées et écumantes, furent confiées au palefrenier.

Le château de la Baronnie trônait fièrement sur une colline, dominant la vallée environnante. Depuis ses remparts, il offrait une vue imprenable des alentours et des villages éparpillés sur ses terres. Ses murs épais de pierre grise étaient flanqués de tours imposantes et de créneaux élégants, témoins du passé tumultueux de la région.

L’enceinte du château abritait une cour intérieure pavée de pierre, ornée d’une fontaine en marbre blanc. Le doux bruit de l’eau coulant dans le bassin donna immédiatement l’impression à Alaric d’être de retour chez lui.

Spacieuses et bien entretenues, les écuries abritaient les chevaux de guerre du Baron et de ses fils, ainsi que les montures de deux autres chevaliers. Un forgeron et son apprenti y travaillaient ardemment, actuellement occupés à retaper un heaume cabossé.

La pièce d’armure ressemblait fortement à celle que portait Gathrùn la dernière fois qu’Alaric l’avait vu. Échangeant un regard avec son ami, Ayleri pinça les lèvres. Tout laissait à penser que ses frères étaient également de retour.

Une forte odeur de foin et de basse-cour assaillit les écuyers en pénétrant dans la cour principale. Après une longue chevauchée parmi les senteurs des pins et des feuilles d’automne craquant sous les sabots, ce mélange de fragrances les dérangea. Les lavandières avaient terminé leur ouvrage de la journée, et le parfum des savons n’emplissait plus l’air.

― Ayleri, mon fils ! s’écria le Baron en sortant du corps de garde, épée à la main. Alaric, mon bien-aimé filleul, nous ne vous attendions que demain ! Je montrais à Gathrùn et Körin les réparations qui seront à effectuer cet hiver.

Plus grand que la moyenne, avec un embonpoint qui épaississait sa carrure musclée, le maître des lieux arborait une barbe hirsute qui semblait négligée depuis plusieurs jours. Ses cheveux, humides de sueur, collaient à sa nuque. Sa tunique, lui arrivant aux genoux, était tachée et poussiéreuse, signe qu’il s’était entraîné avant de parcourir son domaine.

― Je croyais mes frères au domaine de Mùri, s’étonna Ayleri en saluant son père d’une virile accolade.

― Augun a relevé, pendant notre absence, des failles dans certaines des maisons du village. Nous aurons besoin de bras pour y remédier, répondit le Baron en serrant Alaric dans ses bras avec force. Toi, mon garçon, tu n’es évidemment pas obligé de…

― Je vous aiderai, parrain, interrompit le jeune homme. Dès lors que vous m’accueillez entre vos murs, cette demeure est la mienne. C’est la moindre des choses que je puisse faire pour vous remercier de votre hospitalité.

Émettant un son qui ressemblait à un grognement, le Baron exprima ce que son filleul avait toujours interprété comme de la gêne. Se grattant les cheveux, l’homme à la barbe parsemée de fils blancs réfléchit un instant avant de capituler.

― Tu sais que tu ne me dois rien lorsque tu viens ici. J’ai juré devant les Dieux et le Temple d’Ogdal que je veillerai sur toi.

D’un regard, Ayleri confirma à son ami la gêne qu’il venait de causer à son parrain. Tout autour d’eux, les gens continuaient leurs tâches avec moins d’intensité, espérant écouter leur conversation. Il était de notoriété publique que le jeune d’Aprelön venait d’une famille plus aisée et influente que le chevalier d’Herlëv. Une parole mal placée pourrait être interprétée comme un affront et dresser les deux familles l’une contre l’autre, envoyant ainsi tous les hommes en âge de combattre mener des représailles dans un camp ou l’autre.

― Mon père vous en voudrait de me laisser m’empâter tout l’hiver, taquina Alaric en tapotant le ventre rebondi de son parrain.

Celui-ci lui asséna un coup du plat de son épée sur les fesses pour le punir de son insolence et se moqua pour détendre l’atmosphère qui était devenue pesante.

― Dans ce cas, je te ferai travailler plus dur que mes propres fils, jeune arrogant ! De l’aube au crépuscule, pour qu’une fois de retour chez ton seigneur, on ne me reproche pas de t’avoir trop choyé et rendu paresseux !

― Certains serfs nous ont arrêtés sur le chemin pour me faire part des dégâts qu’avaient engendrés les derniers orages. À les croire, c’est une catastrophe.

― Je le sais, mon fils, on me l’a rapporté. J’ai fait porter des missives à ce sujet à mes châtellenies. Des hommes devraient être mandés par les chevaliers pour aider aux réparations.

La cloche du souper retentit dans la bâtisse, attirant les regards envieux d’Ayleri et du Baron vers le corps de ferme allongé et fortifié. Augun, fils aîné et héritier du domaine, descendit les marches de la petite tour et se précipita en direction de la salle principale. Attrapant Alaric par les épaules, il lui donna une tape amicale dans les côtes.

― Mon frère, vous sentez le bouc ! fit-il en faisant mine de plisser le nez. Mais nous ne pourrons vous en tenir rigueur pour ce soir, vous débarbouiller ou prendre un bain prendrait trop de temps. Il nous faudra nous habituer à l’odeur !

Mis à mal par ses propos, l’écuyer huma sa manche et, à sa grande honte, y décela des notes rances de sueur. Repensant à leur chevauchée, il réalisa que son dernier bain datait d’avant-hier, dans une rivière qu’ils avaient traversée. Des ablutions rapides sans savon qui avaient été suivies de l’hygiène sommaire des voyages et des auberges. Si lui-même sentait son odeur alors qu’il y était imprégné depuis deux jours, l’effluve de cuir, de cheval et d’homme devait être fort à plusieurs mètres à la ronde.

― Je mangerai froid, annonça-t-il en s’écartant d’Augun pour ne pas lui imposer plus longtemps son odeur. Avec votre permission et celle de mon parrain, je me rendrai dans les appartements qui me sont prêtés pour me rafraîchir.

― Je ferai de même, surenchérit Ayleri, ayant également pris conscience de leur odeur.

― Pas question ! refusa âprement le Baron en les empêchant de rejoindre l’escalier menant aux chambres. On dit qu’une guerre se prépare. Et bien que je tienne l’hygiène du corps autant que celle de l’esprit en haute estime, vous devez vous préparer à vivre dans des conditions difficiles. Partager ces désagréments vous rapprochera de vos frères, comme dormir dans la paille ou à même la boue, emmitouflés dans vos capes !

― Une guerre, Père ? s’étonna Körin, adoubé chevalier une révolution plus tôt. Je n’ai entendu aucune rumeur à ce sujet à Mùri.

― C’est parce que je tiens cette information du Haut Moine de Nuzeo, mon fils. Ce qui me pousse à vous demander discrétion. Il dit que cela ne saurait tarder, il nous reste quelques cycles de paix, tout au plus, selon lui. Les tensions montent chez les nobles et nous devons nous tenir prêts. Le Culte d’Hidgrï s’en prend de plus en plus aux Pèlerins ou voyageurs qui osent traverser leur terre. Cela ne plaît pas au Pacte. Bientôt, rejoindre la Dalæssie ne se fera que par la mer. Plaçant une main sur la nuque de son filleul et une autre sur celle de son cadet, le Baron se pencha vers eux pour partager une confidence.

― J’ai parlé à notre seigneur. Vous serez adoubés, tous les deux, dès le printemps revenu. Plusieurs de vos amis le seront également. Il veut du sang neuf et vigoureux pour ce qui se prépare et est fier des progrès que vous avez faits au cours des dernières années.

Un frisson parcourut Alaric. Chevalier. Enfin, il touchait son rêve du bout des doigts. Mais un détail dans la cour attira son attention. Là, se tenait une plateforme qui n’était pas là habituellement. Des traces de sang séché étaient visibles. En y regardant de plus près, il remarqua des traces rouges sur les lattes de bois. Son cœur s’accéléra.

Le Baron, repérant le regard fixe de son filleul, suivit sa ligne de mire et comprit immédiatement la cause de son trouble. Un soupir lourd lui échappa, et il posa une main sur l’épaule de chaque jeune homme. Le contact de la main ferme de son parrain sur sa tunique crasseuse donna envie à l’écuyer d’avancer d’un pas afin de libérer le Seigneur de cette obligation.

À n’en pas douter, le maître d’Aprelön désapprouverait la conduite de son puîné. Homme intransigeant, le père d’Alaric pouvait se montrer cruel dans bien des situations. Trouver son fils aussi négligé, dans son enfance, aurait valu au futur chevalier une bonne correction. Les champs de bataille qu’il avait enchaînés dans sa jeunesse en compagnie du Seigneur d’Herlëv les avaient rendus durs et implacables. Les avaient changés, de l’avis du Comte.

Chassant ses vilaines pensées, Alaric écouta quand la voix grave du Baron s’éleva pour prendre la parole.

― C’est un échafaud, mes enfants, dit-il en fronçant les sourcils. Nous avons dû exécuter un homme pour trahison ce matin même. Ubrök, le bourreau, est arrivé avec son aide il y a trois lunées. Il m’a d’ailleurs demandé de passer l’hiver ici. Les Baronnies sont, dit-on, plus enclines aux malversations, le froid venu, que la forteresse de Nuzeo.

Le cœur d’Alaric bondit dans sa poitrine, tandis que son parrain renâclait ses derniers mots. Inconsciemment, il porta sa main à sa gorge, où reposait le symbole de la Flamme. Eulalie. Lui qui déplorait de n’avoir pu lui dire au revoir. Elle était ici.

― Qu’avait fait ce fieffé coquin, Père ? questionna Ayleri de son timbre compatissant.

Il était certain que cette nuit-même, le cadet d’Herlëv se rendrait à la chapelle afin de prier pour l’âme du malheureux. Un jour, la trop grande compassion de son ami le perdrait.

― Il avait été pris en train de livrer des informations à nos ennemis, cracha le Baron en accompagnant son mépris d’une giclée de glaire. Il a expié ses crimes, croyez-moi. Ubrök n’a pas eu la main leste.

Ayleri, soudainement pâle, se tourna vers son père. Se mordant la joue, Alaric jeta une œillade compatissante à son ami. Tous deux avaient déjà pu assister au savoir-faire du bourreau comtal. Ses châtiments étaient toujours aussi justes que spectaculaires. De plus, les écuyers, pour avoir passé leurs hivers en ses murs, connaissaient tous les habitants des villages alentours, ne serait-ce que de vue ou de réputation.

― Qui était-ce ? demanda le cadet de la maisonnée.

Le Baron hésita un moment.

― C’était Ealdred, répondit Augun en sortant de l’entrée où il avait patienté jusqu’alors. Nous avons découvert qu’il avait été corrompu par des promesses de salut de la part du Culte d’Hidgrï. Tout cela après qu’il ait ramené cette étrangère Beniyienne sur nos terres. Voilà ce qu’il en coûte de ne pas résister aux charmes du désert et d’écouter les perfidies des faux Dieux.

Les trois hommes restèrent silencieux, chacun perdu dans ses pensées. Alaric se souvenait d’Ealdred, un homme souriant et toujours prêt à aider. La nouvelle le choqua profondément. Seulement, ses pensées voguaient à de toutes autres préoccupations. Les prunelles rivées sur les gouttes visqueuses qui s’étendaient le long de la plateforme, il ne pouvait se concentrer que sur une personne.

Un pincement dans les entrailles, le fils d’Aprelön imagina Eulalie, agenouillée sur l’estrade sanglante, épongeant le liquide avec un fétu de paille à la main. Autrefois, ce travail relevait des fonctions de ses frères. Maintenant assez âgés pour avoir leur propre famille et proposer leurs services, les garçons avaient laissé la place à leur jeune sœur. Voir la tendre jeune femme qui occupait ses pensées nettoyer les instruments de son père ou frotter les dernières traces de son office retournait l’estomac de l’écuyer.

Un goût de sang dans la bouche, il songea qu’il devait trouver un moyen de s’entretenir avec elle, ne fût-ce que pour l’informer de son départ prochain. Si la guerre approchait, et avec elle son adoubement, il répondrait à l’appel de son suzerain. Avec un peu de chance, il se distinguerait sur un champ de bataille et aurait l’occasion de rejoindre les Chevaliers de la Couronne. Ceux-ci, tout aussi respectés que les Gardiens, avaient des chances d’obtenir des faveurs des Moines Saints. Avec leur soutien, le Moine Élu pourrait lui accorder son vœu le plus cher.

Un espoir nouveau échauffa la poitrine d’Alaric, une brûlure vibrante courant dans ses veines. Il savait exactement ce qu’il demanderait. Soudain, son destin prit un sens.

― Les temps changent, reprit le Baron d’Herlëv en calmant d’un geste son fils. Nous devons être plus prudents que jamais. Les traîtres sont partout, même parmi ceux que nous considérons comme des amis.

La main de son parrain resserrée sur l’épaule d’Alaric lui semblait lointaine. Perdu dans ses visions de gloire et de prouesses, il ne suivait plus vraiment le cours de la conversation. Ce fut Ayleri qui se ressaisit le premier.

― Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour protéger cette maisonnée et le royaume de l’Alliance, Père.

Une main sur le cœur, le cadet aux traits envoûtants se sépara de l’étreinte du Seigneur pour s’agenouiller à ses pieds.

― Alaric et moi sommes prêts à assumer nos responsabilités de chevaliers. Ensemble, côte à côte, nous combattrons pour la voie d’Ogdal et ferons honneur à nos lignées.

Retrouvant le fil de ce qu’il se passait, le cadet d’Aprelön se joignit à son ami, un temps trop tard. Hochant la tête en signe d’approbation, il mit également un genou à terre face à son parrain en signe de soumission. À sa taille, son épée cliqueta, lui rappelant des devoirs plus pressants que ses rêves chimériques. Pourtant, ses pensées allaient toujours autour de l’échafaud, à la belle qui se terrait quelque part et à ce que représentait la présence d’Ubrök. Les enjeux étaient désormais réels, et la trahison pouvait se trouver à chaque coin.

― Allons, relevez-vous, jouvenceaux, se gaussa Körin qui avait distraitement écouté les tergiversations de son père.

― Laissez-les donc, ajouta Gathrùn, au moins connaissent-ils leur place par rapport à leurs aînés. N’est-ce pas, mes freluquets ?

Les joues et l’âme d’Alaric s’échauffèrent devant les appellations ouvertement dégradantes des frères d’Herlëv. Sa main remontant à sa gorge, il se saisit de sa médaille, la serrant au cœur de son poing. En tant qu’écuyer, il se devait de vouer sa vie à servir ceux qui se trouvaient au-dessus de lui. Qu’il en soit de son Seigneur ou de chevaliers moins bien lotis par leur naissance, de l’acabit de ces deux rustres.

Se faire reprendre par un héritier de la trempe d’Augun, passait encore. Même s’il n’avait pas fait ses armes, un jour, un titre et un domaine lui reviendraient. Pour ce qu’il en était des deux autres frères…

― Je sais que vous le ferez, déclara le Baron lorgnant d’un œil appréciateur les écuyers. Me voilà trop âgé pour les champs de bataille. Mon genou, blessé lors de ma dernière rixe, ne supporterait plus tant d’exigence. Je ne pourrai m’empêcher de craindre pour vous, le moment venu. Cette guerre qui se profile sera différente de celles que nous avons connues. Ne croyez pas que vos seules batailles seront contre des ennemis et se feront à coup d’épée. Il y aura également trahisons, intrigues et manipulations.

― Nous avons reçu une formation solide, et nous avons l’avantage de la jeunesse et de la vigueur. Avec votre guidance, nous ne flancherons pas, se rengorgea Alaric en plantant ses yeux bleus dans ceux de Körin en signe de défi.

― Nous veillerons sur vos deux godelureaux, Père, jura Gathrùn en les contournant pour se saisir du col de leur tunique. Vous n’aurez pas à vous en faire pour leur vie !

Fier et un peu moqueur, le Baron sourit en voyant son second fils relever les deux écuyers. Les gratifiant d’une bourrade virile, qu’Augun ponctua d’une roulade des yeux, le chevalier leur ébouriffa ensuite les cheveux. Cette marque d’affection, somme toute bien trop personnelle, déplut à Alaric qui se dégagea en veillant à ne paraître ni insultant, ni belliqueux. Avoir un comportement si familier avec un autre homme était… inconvenant ! Ni son frère, ni son père ne se seraient permis une telle approche à son égard.

Perplexe, il constata que la caresse fit grimacer Ayleri.

― Merci mon fils, je serai plus rassuré de vous savoir assurant leur arrière. Maintenant, avant de discuter davantage de guerre et de devoir, allons manger. Vous avez fait un long voyage, et vous devez être affamés.

Se parant d’un sourire qu’Alaric savait faux, le cadet d’Herlëv éclata d’un rire qui ne lui ressemblait pas.

― Vous avez raison, Père. J’ai l’estomac dans les talons !

🧶

La cuisine du château était un lieu de vie et de travail, où les odeurs et les saveurs se mélangeaient en un tourbillon de sensations. Le feu crépitait dans la grande cheminée, éclairant la pièce de sa lueur chaude et dansante. Sur les côtés, des tables et des étagères étaient disposées pour accueillir les ingrédients et les ustensiles nécessaires à la préparation des plats. Les légumes frais, les fruits mûrs, les céréales et les épices étaient soigneusement rangés pour éviter les mélanges et les pertes.

D’ordinaire, en temps de faste et de luxure, l’endroit regorgeait de serviteurs et de cuisiniers préparant une débauche de plats travaillés. Une dépense que le Baron d’Herlëv ne pouvait plus se permettre. Ayant réduit ses gens au strict minimum, seule Agnia, la vieille cuisinière, restait avec sa petite-fille à confectionner les plats de son Seigneur. Et pour cause, l’hiver passé, seul Augun, futur héritier du titre, habitait la vaste demeure.

Un foulard ramenant ses mèches brunes en arrière, Eulalie attendait dans les cuisines sombres et enfumées de la petite baronnie que son père la rejoigne pour prendre le souper. Après son sombre office, le bourreau était parti nettoyer ses outils dans la salle de la fortification qui leur avait été attribuée pour la très courte durée de leur séjour. Un malandrin avait trahi la maisonnée du Baron d’Herlëv, s’alliant avec une impie du Culte d’Higdrï. Du moins selon les dires du Seigneur. Le seigneur avait décrété sa sentence en apprenant que le bourreau du Comté se trouvait non loin.

Se mêlant aux lavandières, Eulalie avait appris que rien ne prouvait la culpabilité du dénommé Ealdred. Seules des statuettes et des écrits en langue étrange avaient été trouvés dans sa masure. Un fait peu étonnant quand on savait qu’il avait épousé une étrangère venue du désert. Il se chuchotait que la véritable cause de la sentence du malheureux était que l’un des fils du Baron aurait souhaité plus que conter fleurette à la belle exotique.

Un péché quand on la savait mariée ! Jaloux qu’elle préserve ses faveurs à son époux, le chevalier aurait inventé des preuves pour le faire exécuter. Une théorie soutenue par le fait que personne ne connaissait encore le sort qui serait réservé à l’épouse. Enfermée dans une pièce servant de cachot, il se racontait qu’elle recevait des visites, tard dans la nuit. Une possibilité qui terrorisait Eulalie.

Heureusement, un tel sort ne lui arriverait pas, à elle. En tant que fille du bourreau, elle était souillée.

Son père, un homme imposant et au regard souvent lointain, n’avait pas rechigné à faire un détour en apprenant la somme considérable promise par le Baron. Sa vie était dédiée à l’exécution des sentences les plus sombres, et dont l’existence était marquée par l’isolement et le mépris des autres. Une existence que partagerait Eulalie.

Il en était ainsi au sein du Pacte. Bien qu’innocents des actes du chef de famille, femme et enfants portaient également le poids de cette stigmatisation. Les autres enfants les fuyaient, les adultes la regardaient avec pitié ou dégoût. La jeune fille ne pouvait pas échapper à son destin, pas plus que ses frères, surtout que la couleur rouge de sa robe et la petite épée brodée sur son sein ne trompaient personne.

Confinée dans l’ombre de la profession paternelle, elle serait très bientôt promise à un jeune homme du même métier. Écartés de la vie publique, les bourreaux se mariaient entre eux et possédaient un travail héréditaire. Son frère, Gäld, s’était marié à leur cousine, unique fille du bourreau du Comté de Kireön, et avait obtenu une place de choix. Hölvi, son deuxième frère, prendrait lui la succession de leur père.

Eulalie, elle, serait sûrement l’épouse du fils de celui de Mùriön ou de Cazkër, une fatalité qui la désolait. Oh, elle n’avait pas honte de son père ou de sa famille qui gagnait honnêtement sa vie, ni de leur statut. Ce qui la faisait souffrir, c’était que son cœur se portait ailleurs, dans les bras d’un jeune homme qui lui était inaccessible.

Agna toussota, lui adressant un sourire réconfortant. La cuisinière avait connu sa mère, avant que celle-ci ne décède de la fièvre. Chez Eulalie, elle trouvait un semblant de répit. La servante, bien que consciente de son héritage, semblait moins encline à la juger. Peut-être parce que, dans les profondeurs de la hiérarchie sociale, elle comprenait d’une certaine manière la douleur d’être méprisé sans raison valable.

Après chaque sentence dans la baronnie et son aide apportée à son père terminée, Eulalie se faufilait souvent ici, trouvant du réconfort dans la chaleur du four et l’odeur du pain fraîchement cuit.

Cette lunée-là, alors qu’elle s’asseyait sur un tabouret, les yeux fixés sur les flammes dansantes du foyer, elle ne pouvait s’empêcher de penser à la sentence qui venait d’être exécutée. Un homme avait encore perdu la vie sous la lourde hache de son père.

Un condamné dont son père et elle, doutaient de la culpabilité, au vu des larmes brillant dans les yeux de sa dite victime. Une vengeance empreinte de jalousie, avait supposé son père alors qu’elle essuyait, agenouillée sur le promontoire, le sang à l’aide d’une touffe de paille.

Eulalie connaissait la routine, mais ne s’y faisait pas. Les regards accusateurs, les murmures, et le silence lourd qui suivait l’acte… les crachats parfois. Et son père, avec son dos voûté et ses mains marquées par le travail, viendrait la rejoindre, son âme un peu plus alourdie par le poids de la mort.

Elle fut tirée de sa rêverie par une voix douce mais fatiguée. C’était la cuisinière en chef, une femme robuste au visage marqué par les années de labeur dans les cuisines du baron. Ses yeux, autrefois pétillants de malice, étaient désormais voilés par l’inquiétude et la fatigue. Eulalie avait entendu dire que sa petite-fille, qui d’habitude l’aidait à servir les repas, était alitée, terrassée par une fièvre inquiétante.

― Ma chère, commença la cuisinière en se raclant la gorge, je suis dans l’embarras. Je pense que vous avez ouï dire que ma petite est malade et je ne peux laisser le baron et ses fils sans service pour le souper. Pourriez-vous…

Le cœur d’Eulalie manqua un battement à cette intonation. Se présenter devant le baron et ses fils, c’était s’exposer, elle et son héritage, sous les feux des regards et des jugements. Elle n’avait en aucun cas le droit de toucher des denrées comestibles destinées à d’autres personnes. Encore moins à des membres de la noblesse !

Si le baron se rendait compte de qui elle était…

― Tu ne feras que tenir la louche et le chaudron, cela ne devrait pas poser de problème, argumenta la cuisinière d’un regard suppliant dont la jeune femme ne pouvait ignorer la détresse. Je l’aurais bien fait, mais cette marmite est bien trop lourde.

Hochant doucement la tête, acceptant la tâche malgré l’appréhension qui lui tordait l’estomac, Eulalie tira vers elle le lourd chaudron contenant le ragoût de lapin préparé par Agnia. Soulevant le récipient à bout de bras, elle le cala contre sa hanche et pria tous les dieux de l’aider dans ce qu’elle s’apprêtait à faire. Les parfums d’épices de la préparation lui firent gargouiller le ventre.

S’il en restait, elle était assurée d’en avoir une louche.

Goûter à un met aussi fin aiderait peut-être son père à oublier qu’il avait été forcé d’exécuter un innocent.

La cuisinière lui offrit un sourire reconnaissant et la congédia d’un mouvement de la main. Sa robe ne trompait pas sur ses origines, ni sur qui elle était ; aussi devrait-elle prendre garde à faire vite. Elle traversa le couloir de terre battue menant à la grande salle et se dirigea vers la salle à manger. Ses mains tremblaient légèrement sous le poids de la tâche et de l’anticipation.

Les salles de réception du château étaient vastes et accueillantes, avec des cheminées en pierre massive pour réchauffer les invités lors des longues soirées d’hiver. Des bancs en bois de chêne taillés à la main étaient disposés le long des murs, pour accueillir les invités lors des banquets fastueux organisés par le Baron. Des tapisseries recouvraient une partie des murs et masquaient des portes dérobées. Ce fut par l’une d’elles qu’Eulalie pénétra dans la pièce. La table de service pouvait accueillir dix couverts et s’étendait dans le fond de la salle de réception, au plus près du plus grand foyer.

À la place d’honneur, elle vit les traits durs du Baron s’étonner en la voyant. Le dos à hauteur des flammes, il présidait l’assemblée de ses fils qui ─ le nez dans leurs tranchoirs ─ échangeaient des boutades et des rires joyeux en dévorant les restes des pâtés apportés par Agnia. Le ventre plein, les hommes seraient de meilleure composition pour les gages de son père qui ne lui avaient pas été remis une fois sa tâche accomplie.

Lorsqu’elle poussa la lourde porte de la salle à manger, un silence s’installa, interrompant les conversations animées du baron et de ses fils. Les regards se tournèrent vers elle, et Eulalie sentit une chaleur inconfortable monter à ses joues. Elle baissa les yeux, se concentrant sur le chaudron qu’elle portait, et s’avança avec une détermination silencieuse.

Le baron, un homme d’âge mûr aux cheveux poivre et sel, la dévisagea un instant avant de reprendre sa conversation, ignorant délibérément la présence de la fille du bourreau dans sa salle à manger. Ses fils, cependant, étaient moins discrets ; leur curiosité et leur mépris s’affichant dans les sourires carnassiers de trois d’entre eux. Murmurant les uns aux autres tout en lançant des regards furtifs en direction d’Eulalie.

Se faufilant entre deux convives, elle déposa délicatement le chaudron sur la table, une main fureteuse glissa sur sa croupe. Inspirant profondément, la jeune femme se retint de réagir, l’homme à sa gauche était Augun, l’héritier du baron.

Ce dernier se donnait toujours l’apparence d’un homme très pieux, adepte d’une hygiène irréprochable tant pour sa personne que pour ses gens. Désireux de faire au mieux pour les siens, il se présentait comme un dirigeant exemplaire.

Un tel laisser-aller dans son comportement démontrait que tout cela n’était qu’une façade. Le dégoût remonta dans la gorge d’Eulalie qui remercia soudain sa condition : d’ordinaire, aucun homme ne se serait permis de la toucher ainsi. En relevant la tête pour s’emparer de la louche et commencer le service, elle manqua de faire tomber un couvert.

Et là, assis à la droite du baron, se trouvait un visage harmonieux mais déconfit qui fit battre son cœur plus fort. Alaric ? Que faisait-il là ? L’écuyer de l’un des lieutenants du Comte la fixait de ses prunelles incrédules, couleur de rivière, ses mèches noires comme la nuit tombant sur le front.

Étourdie, Eulalie sentit sa tête lui tourner et son souffle devenir plus laborieux. Le futur chevalier face à elle dégageait une odeur forte, un parfum musqué et entêtant, mêlant cuir, cheval, foin et une sueur incrustée dans le tissu. Emportée par ses émotions, elle pouvait percevoir le pouls du jeune homme battre si fort qu’elle en voyait les pulsations sur son cou. La respiration saccadée, il semblait avoir du mal à respirer, la dévisageant sans retenue.

Alaric et elle s’étaient croisés à plusieurs reprises, enfants, dans la forteresse de Nuzeo. Cependant, c’est à l’adolescence que leur sang avait commencé à s’échauffer et qu’ils avaient initié un jeu de séduction. Véritablement pieux, l’écuyer entretenait avec elle des rapports chastes, se raccrochant au médaillon en forme de Flamme qu’il portait autour du cou lorsque ses ardeurs devenaient trop insistantes.

À chaque fois qu’il la sentait mal à l’aise, il se reculait, psalmodiant une prière aux Dieux Pures. Dès qu’ils le pouvaient, ils se retrouvaient dans les écuries ou en forêt, échangeant des sourires secrets et des moments volés loin des regards du monde. Différent des autres, il ne la percevait pas comme la fille du bourreau et ne la fuyait pas, bien au contraire.

― Sers le vin, ma mignonne, ordonna Körin pendant que la main de son aîné remontait sur les hanches d’Eulalie. Nous saurons nous débrouiller avec le ragoût.

L’inflexion grasse et salace de sa voix la fit trembler. Reconnaissable à ses longs cheveux bruns et bouclés, Ayleri, le plus jeune des fils du baron, fronça les sourcils en remarquant qu’Alaric portait une main à sa ceinture, dans un réflexe de saisir sa dague.

Heureusement, Eulalie avait constaté que toutes les armes se trouvaient bien dans le râtelier à l’entrée de la salle. La main apaisante du cadet d’Herlëv se posa sur la cuisse de son ami, un geste intime que seuls Moines, Gardiens et chevaliers se permettaient entre eux.

Alors qu’elle servait le vin, son regard croisa brièvement celui d’Alaric, et un frisson la parcourut. Dans ses yeux, elle ne percevait ni mépris, ni pitié, qui lui étaient si familiers, mais une chaleur douce, un intérêt sincère. De nature timide et très respectueux, il lui adressait des courbettes discrètes et sages qui la faisaient se sentir reconnue, appréciée.

Cependant, dans la salle à manger, sous l’humeur massacrante du Baron et les avances déplacées de ses fils, ils devaient jouer leurs rôles respectifs : lui, l’écuyer loyal, et elle, la servante invisible. Leurs échanges se limitèrent donc à des regards furtifs, des promesses silencieuses d’un futur où ils pourraient laisser leur amour s’épanouir à l’abri des regards indiscrets.

Rappelée par Aulun pour lui servir une deuxième rasade de vin, elle agit avec une grâce et une discrétion contrastant avec l’atmosphère lourde de la pièce. Les fils aînés d’Herlëv se moquaient ouvertement de la « justice » rendue. Alaric, tentant d’éviter de participer, était toutefois contraint d’émettre son avis sur les « démonstrations » du bourreau du Comté.

Eulalie maintenait une contenance stoïque, bien que chaque mot semblât vouloir s’insinuer sous sa peau, cherchant à ébranler sa résolution. Elle termina son service sans un mot, sans lever les yeux vers les hommes qui parlaient de son père comme d’un outil nécessaire mais répugnant. Alors qu’elle s’apprêtait à quitter la salle, la voix du Baron résonna, froide et autoritaire. Elle avait pris soin de placer ses mains de façon à masquer la broderie de sa robe. Or, elle venait de commettre une erreur.

― Jeune fille, appela-t-il, faisant sursauter Eulalie et interrompant sa marche. Reste ici !

Déglutissant, Eulalie se retourna lentement, son regard bleu se posant sur le baron dont les yeux perçants la scrutaient avec une curiosité mêlée de réprobation.

― N’es-tu pas, toi-même, la fille d’Ubrök le bourreau ? demanda-t-il, sa voix emplissant l’espace silencieux de la salle à manger.

Les conversations cessèrent, tous les regards convergèrent vers elle, attendant sa réponse avec une tension palpable. Honteuse d’avoir croisé le regard de son suzerain, elle baissa la tête, non sans jeter un coup d’œil à Alaric qui la regardait d’un air désolé.

― Oui, Seigneur, je le suis, répondit-elle d’une voix piteuse.

Le Baron fronça les sourcils, son regard glissant de la jeune fille aux plats devant lui. Puis, observant sa coupe de vin, il grimaça.

― Il est dit qu’aucun membre de la famille d’un bourreau ne devrait toucher à la nourriture destinée à d’autres que les siens, de peur de la souiller, déclara-t-il, sa voix trahissant une pointe de dégoût.

L’attention des fils d’Herlëv changea soudainement, et ils hochèrent la tête, leur expression se durcissant. Une minute auparavant, l’aîné lui palpait sans vergogne les fesses, sous le regard réprobateur de son cadet. Mais maintenant…

― Je vous demande pardon pour cet affront, Seigneur, s’excusa Eulalie, inclinant légèrement la tête en signe de respect tout en évitant de croiser le regard d’Alaric. La cuisinière est débordée ce soir en raison de la maladie de sa petite-fille, et elle m’a demandé d’aider à servir le repas.

S’humectant les lèvres, elle releva le menton malgré elle, ses yeux rencontrant ceux du jeune écuyer. Il y avait une lueur d’inquiétude dans ses prunelles bleues. Refoulant son envie de lui offrir un sourire rassurant, Eulalie sentit son estomac se tordre d’anxiété.

Le Baron resta silencieux un moment, pesant ses options. Finalement, avec un grognement de mécontentement, il fit un geste de la main, signifiant qu’elle pouvait partir.

― Veillez à ce que cela ne se reproduise plus, gronda-t-il, détournant son regard d’elle pour se fixer sur le plat devant lui.

Ne se le faisant pas dire deux fois, Eulalie s’inclina et se retira rapidement de la salle, libérant son souffle en un long soupir une fois hors de vue. Une part d’elle en voulait à Alaric de ne pas avoir pris sa défense, bien qu’elle soit consciente que cela aurait été impossible pour le futur chevalier. S’il venait à se rapprocher d’elle, à être surpris en sa compagnie, il serait raillé.

Sortant des cuisines, Agnia la rejoignit, le visage soucieux. La cuisinière, voyant son visage pâle et les traces de larmes sur ses joues, la prit dans ses bras, offrant un réconfort silencieux que les mots ne pouvaient exprimer. Dans cette étreinte, Eulalie trouva un moment de paix, une acceptation sans condition qui lui était souvent refusée.

La Commanderie de Tolkënn était la plus proche de Kireön. La plus flamboyante d’Undiev également, des dires des chevaliers de passages. Située à moins d’une lunée de cheval de la capitale, la demeure des Gardiens de la Flamme veillait à séparer ses fidèles de la politique. Mélanger les armes et le pouvoir n’était jamais une bonne chose. L’Histoire l’avait appris. En revanche, les lames s’avéraient le meilleur moyens de défendre sa foi, avec la magie, ce que le Corps des Moines d’Ogdal refusaient d’accepter.

Posté sur les remparts de l’édifice, Oglev balayait du regard les alentours, comme l’exigeait son poste. Cette nuit, il était de garde, mission qui le mettait autant en joie que ses sens à l’épreuve. Une sphère lumineuse, crée par sa volonté éclairait la demeure qu’il partageait avec ses frères. Tout autour du chemin de rondes, le Gardien apercevait les lueurs surplombants ses camarades. Les mages faisaient d’excellentes sentinelles, leur don permettant d’éviter de consumer inutilement des chandelles.

Le pouvoir était un cadeau d’Ogdal, une manière de permettre au plus fervent Gardiens de défendre sa voie avec plus d’ardeur. Enfant, Oglev avait écouté avec attention chacun des préceptes du Moine Confesseur de son village, en buvant les paroles. Il avait grandi dans la foi, espérant une lunée se mettre au service d’Ogdal et de ses Saints. Cadet d’une famille influant, il avait été voué aux armes tandis que son frères rejoignaient les rangs des Moines Novices.

Priant son père, un Seigneur de pauvre condition, de lui permettre de rejoindre Ragdal, il avait eu une longue discussion avec celui-ci et le Moine Confesseur. Sous la pression du Seigneur de Fùrglal, le Moine avait fini par avoué à Oglev qu’accéder à sa demande serait possible à la condition qu’il abandonne les armes et l’utilisation du don. Devenir Moines Reclus, l’aurait exilé dans un Monastère, loin de toute communauté, pour faire pénitence du vol qu’il avait commis envers Ogdal et les Saints.

Il n’avait pas dix révolutions quand ses rêves s’étaient brisés.

Par chance, ses parents, constatant sa foi inébranlable et son dévouement absolu lui avaient fait part de l’existence des Gardiens de la Flamme. Ses chevaliers protégeant les pèlerins, paysans et tout fidèles des danger. Ceux qui portaient sur leur manteau, tabard et cape, la Flamme bleue symbole du pouvoir. Ce don qu’ils étaient prêt à sacrifié leur vie pour défendre. La rencontre avec l’un des Commandeurs de la Corporation, avait changé le cours de sa vie.

Ce n’était que par amour pour sa mère, qu’il avait quitter le fief familiale à l’âge de quatorze révolutions. Là, il était devenu Postulent Gardien à la Commanderie de Störenn prêt d’Egalen, l’éloignement familial favorisant les attachements aux frères. Il y avait trouvé la paix et l’apprentissage nécessaire à l’utilisation de son don.

Appuyé sur le parapet de lourds blocs de granit massif d’un blanc éclatant, Oglev promena son regard sur le chemin où était disséminer ceux qui partageait sa vie. Offrant son visage au vent mordant, il savoura l’énergie qui le traversait, le cadeau qu’Ogdal lui avait fait. Chaque pierre de la forteresse semblait imprégnée de la solennité et de la rigueur des rites accomplis en son sein. Ses remparts, tant un bouclier contre les menaces extérieures, que le symbole de la force et de la détermination de ses occupants.

L’air était chargé d’un parfum de dévotion et le silence si apaisant que le Gardien pensait n’en trouver jamais de plus réconfortant. Bientôt, le calme serait brisé par la cloche de la première heure. Les Gardiens de la Flamme, dont l’existence était vouée à la prière, au combat et à la contemplation, se levaient avant l’aube. Au moment du déjeuner, les premiers rayons de lumière filtraient à travers les étroites meurtrières, caressant les sols pavés et les tapisseries murales qui racontaient les exploits des Saints.

Avant cela, la chapelle, cœur spirituel de la Commanderie, résonnerait des chants sacrés et des murmures des prières matinales. Les voûtes de pierre amplifiaient chaque son, créant une atmosphère d’une intensité céleste. Ce ne serait pas les premières dévotions de la nuit. Tout comme les Moines, les Gardiens brisaient leur sommeil pour prier aux heures les plus sombres.

Les lunées étaient rythmées par les offices religieux, les entraînements au maniement des armes et les études des textes sacrés. Chaque geste, chaque mot prononcé, chaque coup d’épée était une offrande à Ogdal, un acte de dévotion. Le réfectoire, où les frères se réunissaient pour prendre leurs repas dans un silence méditatif, était un lieu de communion humble et sobre. Les repas étaient frugaux, mais chaque bouchée était empreinte de gratitude pour la générosité des Saints.

Le soir, dans le silence de la cellule qu’il partageait avec trois autres Gardiens, alors que la nuit enveloppait la Commanderie, il méditait sur les enseignements d’Ogdal. Cherchant à approfondir sa compréhension et à renforcer sa résolution il échangeait parfois avec ses frères avant le coucher. En particulier avec Caspiänn de qui il était proche depuis plus de deux décennies. Ils avaient commencé ensemble leur postula et avaient passé toutes les épreuves dos à dos.

Souvent séparés par leur affectation, les deux hommes se retrouvaient régulièrement dans l’une ou l’autre Commanderie ou sur un chemin saint. Force de la nature, son ami venait paraissait-il, d’au-delà des montagnes de Lakia. La couleur étrange, d’un bleu sombre aux reflets violet accentuait son mystère. Massif, il dépassait en taille tout les hommes qu’Oglev connaissait et ses muscles se développaient d’une manière plus martiale que les fins dénoués de la plupart des chevaliers du Pacte. Pourtant, derrière sa carapace et son air renfrogné, Caspiänn n’était que soutient et spiritualité.

Ses pensées tournées sur son frère d’armes, le Gardien chercha celui-ci de ces prunelles grises. Perché sur le chemin de ronde, il le repéra vite en plein guet, scrutant les environs de la Commanderie avec une vigilance constante. Sa silhouette à la stature si imposante ne trompant pas sur son identité. Quittant un instant de plus sa fonction, Oglev de pu s’empêcher de se perdre dans l’admirable disposition des bâtiments du sanctuaire.

De là où il se trouvait, il avait une vue plongeante sur la cour intérieure, où les structures se dressaient avec une élégance austère et fonctionnelle. La chapelle, avec son clocher pointu, dominait le paysage, son toit d’ardoises colorées brillant sous les rayons lunaires. Les bâtiments d’habitation et de service, répartis en corps de ferme, formaient un ensemble harmonieux qui reflétait la rigueur et la discipline de l’ordre. Les murs épais et les toitures robustes témoignaient d’une architecture conçue pour résister aux assauts du temps et des ennemis.

Chaque édifice, des écuries aux ateliers, avait été pensé pour répondre aux besoins de la communauté tout en respectant les principes de simplicité et de modestie. Les jardins des simples, soigneusement entretenus par les Moines ouvriers, apportaient une touche de verdure et de vie, contrastant avec la rigueur des pierres. Peu voué au combat, mais refusant les principes plus rigides et réfractèrent du Corps des Moines d’Ogdal, les ouvriers et paysans étaient les bienvenus au sein des Commanderies des Gardiens.

Soudain, un sifflement particulier sortit Oglev de sa rêverie. Relevant son attention sur Caspiänn, il vit que celui-ci était rejoint par les sentinelles les plus proches. Sa cape claquant dans son dos, le Gardien emboita le pas des quatre frères qui le séparaient encore de son ami. Augmentant l’intensité de sa sphère, il éclaira un peu plus les bâtiments, imités par ses camarades. Si quelqu’un approchait, ils comptaient bien signifier n’avoir aucune intention de se cacher.

Ses pas résonnant à peine contre les blocs de granit, le chevalier aperçu bien vite ce qui avait attiré l’attention de Caspiänn. Sur la route en contre-bas, deux cavaliers lancés à toute allure se dirigeait droit en direction de la porte principale. Éclairés par un halo de lumineux, les arrivants annonçaient clairement leurs statuts de mages. La nuit était trop avancée pour distinguer la couleur de leur vêtement, cependant, l’étendard brandit par l’un d’entre eux ne trompait pas.

Le monstre marin symbolisant Undiev. Son long coup tendu, il déployait ses quatre pattes aux grandes palmes, dressé de façon que sa tête soit couronnée.

― Pourquoi des Chevaliers de la Couronne se présentent-ils à une heure aussi indue ? murmura Oglev, exprimant à voix haute les pensées de ses frères.

― C’est ce que nous saurons bientôt, railla Caspiänn dont les iris particulier paraissaient s’être assombri. Nous n’avons d’autres chois que d’ouvrir les portes. Notre ordre est voué à Ogdal et de ses Saints, mais également au service de la Couronne.

― Nous sommes huit et eux seulement deux, acquiesça Rhöhïm. Même en cas d’échauffourée, nous aurons défendu nos vies et nos frères avant que l’un d’eux ne passa la première porte de la cour.

En accord avec ses frères, Oglev adressa un hochement de tête à ceux-ci. Mobilisant son pouvoir, il enclencha les mécanismes retenant les deux ourdes portes pendant que Caspiänn relevait la herse. Dans un fracas qui alerterait tous les Gardiens présent dans la Commanderie, l’entrée principale de l’édifice s’ouvrit à ses visiteurs. Les cavaliers y pénétrèrent dans un concert de sabots et de souffles des naseaux. Aux étages, les chandelles commencèrent à éclairer les chambres.

― Nous apportons un message au nom du Roi Öktol, clama l’un des Chevaliers de la Couronne dont l’habit pourpre ondulait sous l’empressement de sa monture. Higdrï s’en est pris, non seulement aux pèlerins, mais s’attaque à présent à nos mages ! En un cycle, trois Seigneurs ont disparu sur les chemins saints, tous étaient détenteurs du don.

Des cliquetis parvenaient des fenêtres qui s’ouvraient. Les papiers huiles occultant les vitres étaient remontés par les frères se pressant aux nouvelles. En chemise de nuit, certain un tabard arborant la Flamme passé à la hâte par-dessus, les chevaliers s’entassaient sur les rebords de fenêtres. Émergeant de l’une des portes principales, le Commandeur et l’Administrateur de Tolkënn se précipitèrent à la rencontre des visiteurs.

― Quels sont les ordres ? s’enquit le Commandeur Glinù de son timbre bourru. Nos bras et nos épées sont au service d’Ogdal et de son représentant en Undiev, sa Majesté Öktol.

― Les Souverains du Pacte appellent à l’Ost, tonna à la Cantonnade le deuxième Chevaliers de la Couronne. Les nôtres parcours nos terres pour prévenir la Noblesse et les Commanderies. Les Comtes, Ducs et autres Barons doivent faire appellent à leur vassaux. C’est à vous, guerrier d’Ogdal que nous demandons l’aide pour reprendre cette clameur vengeresse. Vous qui êtes nombreux et aux services des plus démunis, aiderez-vous notre ordre dans cet appel aux armes ?

Une clameur fervente lui répondit.

Oglev sentit son cœur battre plus fort, la perspective de la croisade éveillant en lui une excitation profonde. En tant que sa magie commença à fourmiller au bout de ses doigts, un frémissement d’énergie qui lui parcouru les veines. L’air autour de lui semblait vibrer d’une anticipation exaltée. Il ressentait dans ses os l’appel du devoir, l’excitation du combat à venir et la ferveur de sa foi.

La croisade était plus qu’une bataille ; c’était une manifestation de leur engagement envers Ogdal, une occasion de mettre en pratique leurs enseignements et de défendre leur cause sacrée. À ses côtés, Caspiänn, paraissait partager cet engouement, un éclaire de passion profonde brillant sans ses iris. Un sourire carnassier aux lèvres, il sembla à Oglev que le Gardien aux yeux presque violet se lécha les lèvres d’impatience. Bien que perturbé à cette idée, il ne pouvait que comprendre la faim de son amie. Le don en lui répondait à l’appel de la croisade, pulsant avec une énergie qui demandait à être libérée et dirigée contre les infidèles.

Lorsque les Gardiens de la Flamme commencèrent à s’animer pour se rassembler, répondant à l’appel avec un enthousiasme unanime, le chevalier su que son moment était venu. Il n’était pas seulement un guerrier ou un moine ; il était un mage, un instrument de la volonté d’Ogdal, prêt à déverser sa puissance sur le champ de bataille. Les picotements dans ses doigts n’étaient pas seulement des signes de sa magie ; ils étaient le symbole de son rôle crucial dans la croisade à venir.

Une place que le Corps des Moines d’Ogdal minimisait.

🗡️

Que faisait-elle ici ? Le cœur battant la chamade, Alaric avait la tête qui tournait, et le vin n’était pas uniquement en cause. Apparaître à Eulalie aussi négligé lui coûtait. Il puait pire qu’une charogne, ses propres effluves le rendant malade. Ses vêtements étaient recouverts de poussière et poisseux, une véritable honte.

Certes, elle l’avait vu transpirant dans la cour de la forteresse, à s’entraîner à la passe d’arme. Elle avait assisté à certaines chasses où le sang maculait son tabar. Elle lui avait souri tandis qu’il se rinçait abondamment, torse nu avec ses frères d’armes, les joues rosies de plaisir et de culpabilité. Mais, Grands Dieux, jamais aussi négligé à une table !

Eulalie ne pourrait que le prendre pour un pourceau, une perspective qui outrageait Alaric. Un vilain, en plus d’un lâche.

Le seigneur des lieux l’avait fustigée en public, la rabaissant plus bas encore que ne le faisait sa condition. La jeune fille avait détourné son visage encadré de mèches brunes à peine disciplinées par un foulard. Elle avait fui son regard, n’espérant aucun soutien de sa part. Une réaction qui l’avait blessé.

Il était écuyer ! Il serait bientôt chevalier ! Il était de son devoir de protéger les plus démunis, de prendre la défense des opprimés ! Et pourtant… La position délicate dans laquelle il s’était trouvé en rapport à son parrain n’avait pas permis à Alaric de suivre et d’appliquer les préceptes de chevalerie qui lui avaient été enseignés.

Défendre la Damoiselle lui était interdit. Embarrassé par ce qui se jouait, Alaric n’avait pas osé intervenir en faveur de cette fille qui lui faisait perdre l’esprit. À son langage corporel, il avait vu sa résignation, l’acceptation honteuse de sa condition.

Bien qu’elle le taise, il savait que le statut de sa famille lui pesait. Le jeune homme le voyait à chaque fois qu’elle refusait qu’il la touche. Quand ses rêves n’allaient qu’à parcourir ses formes et à goûter à la douceur de ses lèvres. Une dépravation qu’il ne pourrait se permettre qu’une fois Eulalie faite sienne. Un vain espoir. Il ne s’agissait pas de l’une de ces paysannes que les nobles payaient pour accueillir leurs chevaliers. Excommuniée ou non, elle était une femme respectable.

Un état de fait auquel Aulun ne donnait que peu de considération. Aux yeux du futur baron, elle paraissait n’être qu’un désir dont il ne comptait pas se priver. Son audace à mouler ses mains sur la croupe d’Eulalie avait excédé Alaric qui y avait vu une offense personnelle. Les traits souffrants de sa belle lui avaient broyé cœur et entrailles.

Plongeant son attention sur le bol refroidi de ragout, Alaric y trempa un épais morceau de pain qu’il venait de déchirer d’une miche, espérant se faire oublier. Il en avait bien assez entendu pour ce soir. Intérieurement, il remercia les Dieux d’avoir épargné à ses sœurs des comportements déplacés que peuvent avoir les hommes envers les jeunes filles. La conversation entre le père et les fils reprit, le laissant de côté, et il se prit à se perdre dans ses pensées.

L’attitude de Körin n’avait pas été mieux, à leurs yeux, elle n’était qu’une fille de piètre condition, pire même. Seul Ayleri avait semblé éprouver de la compassion, ou de la pitié, pour la fille du bourreau qu’il côtoyait également régulièrement. On ne comptait plus le nombre de condamnés que le Comte offrait aux bons soins d’Ubrök. Nuzeo était une bonne place pour un bourreau.

Même excentrée de la ville, la demeure réservée à la famille était une chaumière large et confortable. Alaric avait pu la visiter une lunée où, en pleine chasse, son cheval s’était tordu le genou. Eulalie, qui traînait régulièrement dans la forêt, avait proposé que son frère, Hölvi, au fait de l’anatomie, soigne l’étalon. Le successeur du bourreau avait sauvé la vie de CoeurDécume, pendant que la belle Damoiselle offrait à l’écuyer de quoi se restaurer. Un affront dont Ubrök s’était excusé. Des personnes aussi impures n’avaient pas à toucher n’importe quelle sorte de nourriture… Épuisé, il bailla avec ostentation en terminant sa pitance.

― Vous êtes exténué, mon garçon, vous devriez aller vous reposer dans votre chambre. Une longue lunée nous attend demain matin. J’ai déjà fait porter vos affaires dans vos appartements.

― Merci, mon parrain.

Se levant, Alaric s’étira après s’être essuyé la bouche sur la nappe et attendit son compagnon de voyage en voyant Ayleri limiter.

― Je t’accompagne, autant aller dormir et clôturer cette lunée.

Tous deux saluèrent les convives et se retirèrent.

― Alaric, héla le Baron. J’espère que vous pardonnez l’impudence de ma cuisinière, elle sera châtiée pour avoir obligé à supporter la présence d’une si piètre engeance. En tant que mon filleul, souvenez-vous que : vous êtes ici chez vous et êtes autorisé à traiter les domestiques et autres vilains ou cerfs comme s’ils étaient vôtres. intérieurement le jeune homme. Saluant profondément ses hôtes, il prit congé de la tablée.

― Tu m’expliques ? réclama Ayleri tandis qu’ils montaient l’escalier.

Non, il ne lui expliquerait pas, il n’en avait nulle envie ! Si d’aventure, quelques heures plus tôt, il s’était prit tôt à lui parler d’Eulalie, son ami aurait compris ce qui venait de se jouer. Alaric venait certainement de gravement affecté Eulalie et son âme s’assombrissait à cette idée. Heureusement, il avait à présent une solution pour remédier à tous leurs problèmes.

Celle-ci exigerait un sacrifice de sa part. Ce à quoi il était prêt à consentir.

Montant en direction de la chambre qui lui était attribuée depuis l’enfance, l’écuyer ne desserra pas les dents, ce qui parut perturbé son ami. Ayleri n’avait pas l’habitude de se confronter à des silences butés.

― Est-ce la présence de cette malheureuse jeune fille qui t’a contrarié ? souleva celui-ci contrit. Je n’avais jamais remarqué au château du Comte que ses venues te pesaient à ce point.

Un coup déloyale à son honneur. Serrant les poings, Alaric failli manqué l’une des marches étroites et peu haute de l’escalier de pierre en colimaçon. Voilà que son compagnon se méprenait sur la raison de sa mauvaise humeur. Evidement que son ami n’avait rien remarqué de ses émois, Eulalie et lui étaient restés fort discret.

Portant la main à sa Flamme, il opta pour un demi mensonge.

― Ce n’est pas ce que tu crois, l’arrêta le jeune homme en s’immobilisant à la porte de sa chambre. Ce n’est pas ce que tu crois. La profession somme toute importante de son père n’est pas la cause de mes tourments. Je n’ai simplement pas apprécié…

― L’attitude de mes frères et de ton parrain, comprit Ayleri. Me voici soulager, il m’était impensable de te croire aussi injuste.

Deux des doigts du cadet d’Herlëv se refermèrent sur le bord sale de sa tunique et son ami lui offrit une esquisse de sourire. La proximité qui régnait entre eux était fraternel, presque fusionnelle. Partager une telle intimité était aussi précieux dans les épreuves et les joies que sur les champs de batailles.

― Je n’aurais pas cru des chevaliers capables de se comporter aussi vulgairement. Qui plu est avec une jeune fille innocente peut encline à servir à leur bon plaisir.

― Ils s’en mordront les doigts, philosopha son ami en réponse à la contrariété manifeste d’Alaric à cette idée. Chacun d’eux devra affronter le Moine Prêcheur pour lui confesser un tel pêcher. Toi et moi savons leur implications à la Flamme. Cette épreuve leur pèsera et je ne peux même imaginer ce qui arriverait si Ubrök apprenait de la bouche de sa fille la légèreté des mains de mes frères. Les bourreaux sont connu pour leur sens aigu de la justice…

La tyrade d’Ayleri, bien que pensée pour calmer ses frustrations, déplu à l’écuyer qui posa une main sur la lourde porte de sa chambre. Le contact froid du métal et rêche du bois sous ses doigts l’aidant à ses concentrés sur le rôle qu’il avait à jouer.

Timide et réservée, Eulalie ne se permettrait aucune confidence à son père, pas plus qu’à l’un de ses frères. Si son honneur devait venir à être mit en doute, elle serait ruinée. À moins que l’un des fils d’Herlëv soit condamné à l’épouser. Une perspective qui éveilla une nausée à Alaric. Perdant son titre de chevalier, le promis subirait le sort des traitres avant d’être condamné à embrasser la profession de la famille de sa nouvelle épouse.

― Allons, ne nous en faisons pas pour cela, reprit Ayleri en lui déposant un fugace baisé sur la joue après s’être assuré que nul ne pouvait les voir. Va donc te délasser et repose toi. Tout cela sera oublié dès le matin venu.

La chaleur douce des lèvres de son ami resta un instant comme le toucher d’un fantôme sur la peau d’Alaric. Interdit, il resta figé à regarder son ami disparaitre dans la pièce jouxtant sa chambre. Cette familiarité, leur était nouvelle. Perturbé à cette idée, il mit plusieurs minutes avant d’imité Ayleri et rejoindre le bain parfumé d’herbes et de fleurs dont la vapeur lui caressa pas peau dès son entrée.

L’écuyer se délesta de ses vêtements, contournant le lit à courtines de velours épais. Plongeant dans la cuve de bois recouverte d’un drap, qui l’attendait, il fit la grimace en constatant que les serviteurs n’avaient pas ravivé le feu. La brûlure de l’eau lui fit du bien, détendant ses muscles endoloris par la longue chevauchée. Se frictionnant vivement à l’aide d’un pain de savon à la lavande, Alaric eu l’impression que ses soucis s’exfoliait en même temps que la crasse.

Il se prélassait depuis presque une heure, dans la chambre au mur recouvert de tapisserie quand un heurtement discret à la porte attira son attention. Certain d’avoir rêvé, il l’ignora immergeant sa tête dans le liquide qui commençait à refroidir. Crevant la surface, l’écuyer manqua de jurer en entendant un second grattement. Se retournant sur la fenêtre, il avisa de la lune, déjà haute dans le ciel étoilé.

Qui pouvait donc le visiter à cette heure ?

Perplexe, Alaric se redressa, attrapant un drap fin qui l’attendait sur une chaise, il se couvrit. Passant un pied par-dessus le rebord de la cuve, il hésita un instant à aller ouvrir. L’un des fils d’Herlëv serait plus franc dans son frappé. Quand à Ayleri, il ne ferait pas tant de manière. Ayant été à maintes reprises ensemble aux étuves, son ami n’hésiterait pas à entrer sans plus de formalité. À cette heure, celle une urgence devrait retenir son attention.

Avançant sur les dalles glacées, le jeune homme venait de poser une main sur la poignée lorsqu’un désagréable soupçon lui dressa le duvet de la nuque aussi surement qu’il excita ses sens. À présent qu’il était proche de l’adoubement, Alaric était un homme. Un presque chevalier dont son parrain devait prendre soin. Un allié à choyer. Et quoi de plus hospitalier dans un château, qu’une maîtresse complaisante pour réchauffer ses nuits.

Déverrouillant le loquet, Alaric eut la surprise de voir se glisser dans l’entrebâillement une silhouette filiforme. Croyant tout d’abord qu’il s’agissait d’Eulalie, il s’effaça pour lui permettre d’entrer et s’apprêta à la saluer. Le tissu de la cape dans laquelle était emmitouflée la jeune femme aux parfums fleuris lui érafla la main, le retenant de le faire. Rêche sur sa peau, la cape indiquait un niveau de vie paysan.

Ubrök n’était certes pas le plus riche des hommes, néanmoins, son travail de bourreau lui permettait de couvrir correctement ses enfants. Au moindre accroc non réparable, Eulalie recevait de son père ou de ses frères plus âgés une robe de facture convenable. Son manteau et sa cape, hérités de sa mère, étaient certes plus abîmés, mais pas au point d’en être élimés.

Se coulant dans la pièce, la femme au corps menu s’approcha des restes de l’âtre en découvrant sa chevelure brune et terne. Le visage un peu émacié, la mignonne avait visiblement reçu un brin de toilette avant de se rendre dans la chambre d’Alaric. Ses mèches tombèrent sur ses épaules au moment où elle les dénuda. Dans un frisson, la jeune fille, qui ne devait pas avoir plus de seize ou dix-sept ans, se découvrit entièrement. La robe délavée aux cordons défaits s’échoua sur le sol dans un bruissement.

Estomaqué par tant de peu de retenue, Alaric recula instinctivement contre la porte. Et lui qui avait trouvé Falia volage et dévergondée ! Voilà donc comment se comportaient les damoiselles de complaisance en présence de leur amant. Un sourire crispé aux lèvres, la jeune fille ne couvrit pas ses parties les plus secrètes malgré le froid qui régnait dans la pièce. Se dandinant, elle les exposa bien au contraire.

Elle avait l’âge d’Eulalie. Celui de fleurs encore intactes.

― Que puis-je pour votre plaisir, mon Seigneur ? s’informa-t-elle en baissant timidement les yeux.

― Je ne suis pas votre Seigneur, se contenta de répondre Alaric, perturbé par l’étalage de chair s’offrant à lui.

Fine, tentatrice, la demoiselle avait la peau, du visage, du cou et des bras tannée par le labeur. Une fille de ferme ou une lavandière, ce que son parrain avait dû trouver de mieux dans les environs. Plus ou moins mignonne, elle avait le menton pointu et les côtes saillantes, loin des formes subtiles et généreuses de Falia. Ses seins menus aux pointes brunes s’offraient sous le froid ambiant. Changeant son appui de jambe, la jeune femme attira le regard d’Alaric sur la toison brune et mousseuse qui masquait sa contrée interdite.

Décontenancée par sa répartie, la belle se trémoussa.

― Pardonnez-moi, Messire.

― Je ne suis pas non plus chevalier, s’excusa l’écuyer en prenant soin de radoucir ses paroles. Pas encore.

La damoiselle se mordit la lèvre, ses yeux noirs où dansaient les flammes des chandelles détournaient le regard. Visiblement, elle n’avait pas l’habitude qu’on la reprenne sur les titres. Sûrement les autres hommes à qui elle avait été envoyée étaient bien trop occupés à malmener ses chairs pour cela. Une brise agita l’espace entre les tapisseries et le mur, la peau de la jeune femme et celle d’Alaric se couvrant de chair de poule.

― Enfilez donc quelque chose, vous allez attraper la mort, l’invita-t-il en se dirigeant lui-même vers son lit sur lequel il avait jeté une tunique propre. Je vais raviver l’âtre.

Désemparée, la demoiselle ne bougea pas, le fixant tandis qu’il se couvrait de sa longue chemise blanche. Prenant soin de la contourner, il jeta une bûche dans le feu, ravivant les braises d’un tisonnier. Deux mains osseuses se posèrent sur ses épaules, tandis qu’il s’affairait accroupi. Passant sous la tunique, les doigts froids crevassés par le labeur suivirent la ligne de ses muscles et deux lèvres se posèrent dans sa nuque.

Venu de ses plus bas instincts, un tremblement l’agita, sa virilité répondant à l’appel sournois de la luxure.

Le visage d’Eulalie lui apparut aussitôt que ses paupières se refermèrent et Alaric soupira. À sa plus grande honte, un tourment qu’il avouait uniquement à confesse au Haut Moine de Nuzeo, il lui arrivait de faire de même lorsqu’il se perdait dans les râles et les tendresses de Falia. Dans ses songes les plus salaces, c’était le visage de la douce fille du bourreau qui le hantait, une insulte dont il se tourmentait.

— Arrêtez, supplia-t-il en sentant les mains crevassées parcourir son torse. Nous ne pouvons pas.

— Chut, souffla la fille au creux de son oreille avec une hésitation palpable. Votre parrain s’est occupé de tout, Messi… jeune écuyer. C’est Messir Körin qui s’est chargé de me choisir suivant vos goûts.

Ses goûts ? Quelqu’un d’autre qu’Ayleri était-il au courant de ses dévoiements avec Falia ? Attrapant son médaillon en forme de Flamme, Alaric repoussa la vague de chaleur qui l’envahissait, sa peau se couvrant d’une pellicule de sueur. Son bain n’aurait donc servi à rien. Restant agenouillé sur les dalles froides, il essaya de conserver invisibles les réactions de son corps. Il devait se reprendre et extorquer à cette damoiselle ce qu’elle savait de ses penchants.

— Que voulez-vous dire ?

Une langue s’enroula autour de son oreille, le faisant se relever d’un bond. Par les Dieux Pures et Ogdal le premier Saint, que prenait-il à cette drôlesse ? Les flammes vives du foyer éclairaient à présent un peu plus la chambre et Alaric put observer la mine effrayée de la jeune fille. Déstabilisée par son mouvement, elle était à présent à moitié couchée sur le carrelage, ses yeux noirs le fixant apeurés.

— Toutes mes excuses, mon Seigneur…

Faire peur à une femme ne lui plaisait pas. Dressé face à elle de toute sa hauteur, l’écuyer se sentit déloyal, indigne. Les émois qu’elle lui avait fait ressentir venaient de disparaître et sa virilité s’en était retombée. Voilà qui était bien mieux. Tremblotante, la jeune fille avait perdu de sa superbe et s’était recroquevillée sur elle-même. Cette vision déplut à Alaric qui devina d’où venait sa peur. Il en avait entendu dans les traverses et les dortoirs des récits de chevaliers, soldats et autres soudards racontant leurs exploits entre les draps.

S’il devait en croire la façon dont les frères d’Ayleri avaient traité Eulalie au dîner, il n’avait aucun mal à imaginer ce que devait donner leur lubricité dans une chambre. Caressant sa Flamme d’argent émaillée, l’écuyer chercha la meilleure manière de rassurer la pauvresse.

— Comment te nommes-tu ? voulut-il savoir en lui tendant une main afin de l’aider à se relever.

— Oral, bredouilla la jeune fille en osant à peine effleurer ses doigts. Je suis la fille du meunier, mon Seigneur. Pardonnez-moi, c’est la première fois que… d’ordinaire, les hommes sont plus empressés et…

Les yeux baissés, elle se mordit profondément la lèvre en comprenant sa bévue. Les bras refermés sur sa poitrine, elle se protégeait autant du froid que de sa colère, comprit Alaric, répugné. La jeune fille n’était donc pas une professionnelle des lieux de luxure, comme il l’avait imaginée, il ne s’agissait que d’une malheureuse en quête de quelques pièces. Une demoiselle ayant perdu son honneur et que son père proposait à présent de temps à autres au service du Baron.

― Seras-tu payée si je te congédie ?

Des larmes perlèrent aux yeux de la malheureuse. Retrouvant un peu d’aplomb, elle approcha de deux pas et pressa ses mains sur le torse du jeune homme. La présence de son corps, si près du sien, offrit une nouvelle bouffée de chaleur au futur chevalier.

― Non… Pitié, Messire… Faites votre office, je serai douce et aimante. Cette rétribution est une partie de ma dot. Une pièce d’argent.

Une pièce d’argent pour une seule nuit ? Voilà qui n’était pas cher payé pour vendre son honneur.

― Votre dot ? s’étonna Alaric, appréciant le souffle chaud contre son cou. Votre fiancé ne voit-il pas d’inconvénient à…

― Chut, le fit-elle taire en posant un doigt sur ses lèvres et en lui embrassant l’arrête de la mâchoire. Ne parlons plus de cela.

Qui donc pouvait désirer épouser une femme déflorée ? se questionna intérieurement le jeune homme dont les défenses s’affaissaient sous la volupté des caresses. Un drôle de vilain sans doute. Car enfin, qui voudrait savoir qu’un autre était passé dans l’intimité la plus profonde de son épouse.

Son épouse.

Le beau visage timide d’Eulalie lui apparut au moment où il laissa échapper un gémissement. Les doigts calleux mais habiles d’Oral s’enroulaient sur les boucles brunes ornant sa virilité. Un glapissement étranglé sortit de sa gorge, le plaisir soudain et galvanisant le forçant à ouvrir les yeux. Il ne pouvait pas faire cela. Oral appartenait à un père, un fiancé, il devait… Serrant les mâchoires, il entendit ses dents crisser en même temps que le bois crépitait dans le feu. Évitant à chaque fois sa bouche, la mignonne s’était mise à lui butiner la nuque.

Songeant à Eulalie, il sentit des larmes de plaisir lui embuer les yeux. C’était entre ses mains qu’il aurait voulu se perdre. De son parfum qu’il aurait aimé se gorger. Se noyant dans ses désirs, il voulut lutter contre ses désirs. Seulement, Oral avait bien l’intention de gagner sa piècette et, plus motivée que Falia qui faisait cela uniquement par plaisir, la jeune fille balaya ses dernières défenses en lui susurrant que cette nuit, elle était à lui. À lui seul, pour avoir loué ses charmes.

Un bruissement attira son attention. Dans la pénombre, près de la porte, Alaric aperçut un morceau de parchemin glissé sous le battant. Déchiré de façon inégale, le message attira son attention.

Son cœur s’emballa dans sa poitrine. Quand était-il apparu ? Qui l’avait mis là ? Qu’avait entendu ce visiteur ?

Mortifié, il ne put retenir un gémissement tandis que la pauvresse s’affairait à le perdre dans la volupté. S’emparant de la main d’Alaric, Oral guida ses doigts en direction de sa toison épaisse. Trop tard, l’apparition du message venait de le ramener à la raison. S’arrachant de sa prise, il recula d’un pas pour reprendre son souffle. Les yeux hagards, il contempla la malheureuse qui, se méprenant sur ses intentions, grimpa sur le lit. Offerte, elle se fit plus entreprenante.

Trop tard ! L’écuyer ne songeait plus qu’à son honneur. À la douce Eulalie, cette enfant tendre qu’il aimait et qui se trouvait assoupie, dans l’étage inférieur. Qu’Ogdal le sauve, qu’avait-il failli faire ? Se prenant la tête entre les mains, Alaric se précipita sur la porte pour ramasser le morceau de parchemin. Déconcertée, la jeune tentatrice roula sur les draps, se présentant dans toute sa nudité.

Affligé à l’idée d’avoir pu être confondu dans de si basses besognes, Alaric n’accorda aucune importance au manège de la paysanne. Prenant le morceau de parchemin, son âme se glaça en même temps que ses entrailles se tordirent à la vue de l’écriture maladroite. Griffonné avec un morceau de mine de charbon, d’une écriture maladroite et sommaire, la missive ne contenait que quelques mots. Une simple phrase rédigée de la main de sa bien-aimée Eulalie.

La respiration se bloqua dans la poitrine du futur chevalier.

Qu’avait-il fait ? Qu’avait-elle entendu ?

Abandonnant là la mignonne qui s’était mise à onduler des hanches pour l’attirer à elle, Alaric se précipita jambes nues hors de la chambre. Traversant le couloir, il dévala les marches étroites de l’escalier à la recherche de la seule personne dont il aurait aimé partager les passions.

🧶

Descendant les dernières marches qui la menaient à la salle servant à son père et à elle de logis, Eulalie ravala ses larmes. Après s’être assurée que son père avait eu une louchée du délicieux ragoût, elle s’était posée dans un coin de la pièce pour broder le symbole de leur condition. Une moue soucieuse sur les traits, le bourreau lui avait demandé de lui conter une histoire. Elle s’était exécutée docilement, énumérant de sa voix étouffée les péripéties d’un vaillant chevalier dont elle avait entendu le récit de la bouche d’un troubadour.

Quittant la chaise de bois inconfortable, son père s’était alors allongé sur l’une des couches de paille garnissant la salle. Une couverture relevée jusqu’au menton, il s’était assoupi sous le ronronnement des histoires d’Eulalie. S’assurant du sommeil profond de son père, la jeune femme avait profité pour emprunter l’une des mines avec lesquelles son père notait sommairement ses actes et les rétributions associées. Déchirant l’une des pages à l’arrière du carnet, elle avait rédigé une brève note à l’attention de son bien-aimé.

Se concentrant, elle avait utilisé des mots simples dans l’espoir que sa maîtrise rudimentaire de la lecture et de l’écriture ne lui soit pas préjudiciable. Alaric était un garçon éduqué, de ceux qui avaient eu des précepteurs. Elle, avait appris avec sa mère les bases que la génération précédente lui avait enseignées. Une fois son courage rassemblé, elle avait quitté la salle souterraine et avait gravi les étages jusqu’à la chambre d’Alaric.

Penchée contre le battant, elle s’était inquiétée de ce que penserait l’écuyer de son initiative. C’est incertaine qu’elle avait glissé le mot sous la porte, espérant que celui qu’elle aimait le trouve. À ce moment, tout avait basculé. L’oreille proche des gonds, Eulalie avait entendu les râles d’un homme. Un bruit qu’elle connaissait pour avoir surpris des échanges tarifés au détour de certaines ruelles. Ceux du plaisir et de l’exaltation des sens.

Croyant tout d’abord s’être trompée de chambre, la jeune femme s’était mordu les doigts de son impudence et de sa stupidité. Par sa faute, sa relation interdite avec Alaric serait découverte. Le jeune noble n’aurait alors pas d’autre choix que de nier leur liaison chaste et se moquer de l’audace et de l’imagination de la stupide fille du bourreau.

Une voix de femme était parvenue, un murmure étouffé. Suivie d’une supplique éraillée sortie de la gorge d’Alaric. Eulalie avait alors cru manquer d’air. Tandis qu’elle se nourrissait de restes après avoir servi un banquet, qu’elle avait subi les explorations désobligeantes des fils d’Herlëv, celui qu’elle aimait se prélassait avec une autre. Tout n’avait été qu’un mensonge. Le chaste, pieux et respectueux jeune homme qu’elle croyait connaître n’était en fin de compte qu’un libidineux soudard comme tant d’autres.

Son cœur s’était brisé. Fuyant lorsqu’elle avait entendu un hoquet étonné, Eulalie avait fui le couloir, redescendant en direction de la cour. Des pas pressés derrière elle, lui indiquaient qu’Alaric s’était lancé à la poursuite de l’espion ayant connaissance de ses activités dévergondées. Abandonnant sa maîtresse, l’écuyer pieds nus gagnait du terrain. Le souffle court, la jeune femme poussa la lourde porte de l’entrée des bâtiments et traversa la cour en direction de l’écurie.

Rejoindre sa chambre lui était impossible. Au moindre bruit, son père s’éveillerait et nul doute qu’il réclamerait de connaître les raisons qui avaient poussé sa fille à errer dans les couloirs. Le fils d’Aprelön ne mettrait pas longtemps à repérer leur manège et elle serait démasquée devant son père. La croyant perdue, celui-ci ne garderait pas longtemps patience. Hors de question de faire naître un bâtard, encore moins d’escroquer la famille en offrant une épouse impure à un cousin.

En plus de perdre Alaric, elle serait ruinée.

Passant devant les stalles des chevaux, Eulalie aperçut CœurDécume et CastelDivin. Les étalons la lorgnèrent avec intérêt pendant que ceux du Baron et de ses fils se mirent à ronfler de véhémence. Lorsqu’elle se rendait chez le Comte, elle prenait toujours un temps pour flatter l’encolure du cheval de son bien-aimé, son box leur servant d’endroit de rencontre clandestine. Une boule dans la gorge, la jeune femme se fit la réflexion que ce devait être le sentiment de sécurité qu’elle associait aux écuries qui l’avait poussée à entrer dans le bâtiment

Jurant de s’être tordu un orteil, Alaric pesta en pénétrant à son tour dans l’édifice plongé dans le noir. L’odeur de paille, de crottin et de cuir assaillit Eulalie qui trouva refuge derrière un ballot d’herbe séchée. Plaquant une main sur sa bouche, elle cessa de respirer

― Eulalie ? murmura son tourmenteur en avançant entre les ombres. Eulalie, je sais que vous êtes là. Répondez.

Froissant sa robe entre ses doigts, la fille du bourreau se retint de répondre à grand-peine. L’écuyer était bien au-dessus d’elle dans la hiérarchie sociale. Désobéir à l’un de ses ordres pouvait lui coûter très cher. Pour peu qu’Alaric ait mal pris son incursion dans cet instant très privé de sa vie qu’était sa chambre, elle pourrait finir entre les mains de son propre père. Une douleur dont celui-ci ne se remettrait jamais.

― Eulalie, je vous en conjure, je peux vous expliquer. Un sanglot monta dans la gorge de la jeune femme. Non, il ne pourrait jamais avoir une excuse pour… pour avoir… pour s’être…

Elle se tenait là, dissimulée par l’ombre des ballots. Ses mains tremblaient, et un voile d’incrédulité embrumait son regard clair. Elle avait toujours su que les élans du cœur étaient périlleux, surtout pour une fille de sa condition, mais elle avait cru, avec la naïveté de la jeunesse, aux douces promesses murmurées sous le clair de lune.

Elle l’avait aimé, cet homme qui se tenait là, éclatant de noblesse et de splendeur, même vêtu d’une unique chemise. Celui dont elle venait de surprendre les ébats lascifs. Le râle de jouissance d’Alaric avait ébranlé sa foi pieuse, fissurant les fondations mêmes de sa chasteté promise. Le jeune noble qu’elle avait adoré en silence, qui avait éveillé en elle les prémices d’un amour ardent, avait foulé leur serment d’une trahison aussi crue que la rosée matinale sur les feuilles de l’aurore.

Le voyant là, à moitié dénudé, plus aucun doute ne persistait en elle. Les larmes refusaient de couler, retenues par la force d’une prière intérieure, une supplication silencieuse pour la force et la guidance. Eulalie, élevée dans la ferveur et la vertu, ne pouvait concevoir la réciprocité de son amour que sous le sceau de la pureté. Et pourtant, là, devant ses yeux, l’homme qu’elle avait élevé sur un piédestal de vertus se révélait de chair et de désirs, ternissant l’aura de sainteté qu’elle lui avait attribuée. C’était un éveil brutal, qui lui prenait une part de son innocence pour la confronter à la complexité des affections humaines.

Persuadée qu’il n’était pas comme les autres, qu’il la traitait mieux car son âme recélait plus de bonté, elle s’était fourvoyée. Paupières closes, elle déglutit avec difficulté.

― Oh ma douce, se désola le timbre rauque d’Alaric juste au-dessus d’elle. J’ignore ce qui… pourquoi donc être venue à ma chambre…

Ce n’était pas une accusation ou un reproche. La jeune femme l’entendait à ses inflexions. C’était un regret exprimé à voix haute. Oui, au sein du château de Nuzeo, il avait bien caché son jeu, une seule nuit entre ses murs avait suffi à Eulalie pour démasquer ses véritables penchants. Serrant le poing, l’écuyer froissa un morceau de parchemin. Celui-là même qui avait scellé le chemin qu’ils empruntaient à présent.

La main d’Alaric se referma avec précaution sur son bras, la forçant à se relever et à sortir de sa cachette. Plus entreprenant que d’ordinaire, le sang sûrement échauffé de ses ébats, l’écuyer la ramena à lui, enfouissant son visage dans les cheveux brun clair emmêlés qu’il huma.

― J’imaginais que c’était vous, chuchota-t-il contre son oreille, la déstabilisant. Voilà bien un aveu que je n’aurais jamais cru vous faire. Le vin doit me monter à la tête et la chaleur de mon bain me faire perdre la raison pour vous confier cela. Qu’importe, peut-être alors me pardonneriez-vous.

Enserrée dans ses bras, Eulalie manqua plusieurs battements de cœur face à cette révélation des plus inconvenantes. Se sentant oppressée par cette étreinte tout aussi inappropriée qu’immorale, elle se laissa pourtant bercer par le souffle du jeune homme. Ses bras puissants l’entourant, il inspirait l’odeur de sa peau sans retenue.

Décontenancée, la fille du bourreau aurait voulu s’enfuir. Il était vrai qu’Alaric, durant le dîner, avait bu plus de vin que de raison, certainement pour s’occuper les mains et la langue afin de ne pas s’emporter sur ses hôtes. Ce comportement ne lui ressemblait pas. Lui, qui avait toujours fait preuve d’attention, de prudence et de respect, la maintenait à lui avec beaucoup trop de ferveur.

À moins que toutes ses réserves n’aient été qu’un leurre.

― Pourquoi me dire cela en toute indécence ? s’étonna-t-elle de s’entendre prononcer dans un sanglot.

― Parce qu’il me faudra bientôt partir en guerre et que mon bras sera guidé par ma foi et le désir de vous savoir une lunée mienne.

Sienne ? La bouche d’Eulalie s’assécha. Elle ne pouvait pas… c’était impensable… hors mariage… elle signerait sa perte ! Soudain, elle crut comprendre. Cette hypothèse la glaça.

― Vous en aimez d’autres, convaincu de me posséder afin que je garde ma vertu pour l’homme que j’épouserai…

― Non, parce qu’à présent j’ai conscience d’être ivre et qu’il me faut être honnête, la reprit-il en emprisonnant son menton entre deux doigts pour la forcer à le regarder. La langue déliée par le vin, je peux vous déclarer ceci : votre vertu sera mienne et je la gagnerai.

Prise de panique, Eulalie se dégagea vertement, la respiration saccadée. Les prunelles bleues d’Alaric, voilées par l’alcool, ressortaient sur son visage rougi d’effort. Les sourcils légèrement froncés, il la dévisageait de cette lueur envieuse et implacable qu’elle avait vue briller dans les yeux de plus d’un homme.

Il ne mentait pas, il la voulait, elle.

― Vous savez que… une seule fois et je serai perdue. Au moindre soupçon, mon père ou mes frères demanderont que… balbutia-t-elle, confuse. C’est impossible, Alaric. À moins que vous ne décidiez d’embrasser la profession de…

― Vous serez mienne, Eulalie. Une fois que j’aurai gagné votre communion sur les champs de bataille. Pour vous, je brillerai au nom de la foi d’Ogdal et une fois hissé dans les plus hautes sphères, je convaincrai les Moines Saints de vous accorder l’absolution.

Le sang dans les veines de la jeune femme s’accéléra devant ce discours enflammé. C’était la deuxième fois qu’il parlait de guerre. Vacillant un peu, Alaric montra un symptôme de plus de la boisson. Il avait raison, la chaleur et l’alcool ne faisaient pas bon ménage. Légèrement effrayée devant la tournure de leur conversation, Eulalie recula d’un pas prudent. Son geste parut vexer l’écuyer.

Cela ne changeait rien à ce qu’il avait fait, à ce qu’elle avait vu.

― Ne me fuyez pas, je vous en conjure.

La main d’Alaric se referma sur le bras de la jeune femme, juste assez pour l’immobiliser. La pulpe de ses doigts s’enfonça dans sa peau, juste assez pour ne pas lui faire mal. Sa réaction la déstabilisa et elle resta immobile. Avant ce soir, elle n’aurait pas cru l’écuyer capable de la malmener. Elle ne l’aurait pas cru non plus enclin à profiter du malheur d’une fille de paysan.

L’attention vague, l’homme qu’elle aimait la fixait, une lueur étrange dansant dans ses yeux. Un éclat qu’elle connaissait.

― J’aurais tellement aimé que ce soit vous. Pouvoir sans honte, ni vergogne posséder vos lèvres autant que votre cœur.

Toute pudeur semblant l’avoir quittée sous l’excès de vin, Alaric lui caressa la joue en même temps qu’il évoquait, engaillardi, ses dessins. Sentant l’affolement la gagner, Eulalie se mit à respirer plus vite. L’écuyer qu’elle côtoyait, avec qui elle avait badiné sans se laisser mugueter, n’aurait pas eu de tels propos envers elle. La décence le lui interdisait. Il avait été le seul à vraiment la respecter.

Une brûlure acide dans la gorge, la fille du bourreau balaya, affolée, l’espace qui l’entourait. Le ronflement régulier des chevaux, agités par ces présences incongrues, était le seul bruit à la ronde, leurs sabots frappant parfois le sol de contrariété. Elle se trouvait seule, dans une grange où il n’était pas compliqué de l’allonger dans le foin, sans chaperon, en compagnie d’un homme fait, uniquement habillée d’une chemise de nuit et cul nu.

La précarité de sa situation lui apparut dans toute sa splendeur.

Une idiote, elle n’était qu’une idiote. La salive bloquée dans l’œsophage, Eulalie ressentit une nouvelle brûlure tandis que sa vue se brouillait. Par amour, par faiblesse, elle s’était mise dans une position de laquelle elle ne pourrait s’extraire. Si l’écuyer lui prenait sa vertu, personne n’y trouverait à redire. La justice serait celle du Baron, qui, prenant parti pour son filleul, l’humilierait avant de les chasser, elle et son père.

Alaric pouvait bien lui faire des promesses, c’était le vin qui parlait.

— Non, ne pleurez pas, ma Douce, la conjura-t-il en essuyant maladroitement ses larmes d’un pouce trop appuyé. Je vous demande de me pardonner mon offense et de croire que, alors que je risquerai ma vie, ce sera dans l’unique espoir de nous voir unis. Si nous nous abandonnions aujourd’hui…

Le souffle de l’homme caressa la langue d’Eulalie, qui manqua soudain d’air. La respiration hachée, elle eut l’impression de chanceler sous sa poigne. Toutes ses idées s’embrumèrent sous l’arôme du vin épicé qu’il lui haletait au visage.

— Une fois seulement, j’aurais souhaité vous posséder.

Sa poitrine martelant douloureusement, Eulalie, la jeune femme, se mit à respirer par à-coups. Elle devait le ramener à la raison.

— Vous ne voulez pas de cela pour moi, contra-t-elle dans un murmure. Me voir perdue, bafouée et isolée sans votre protection. Cela fait des révolutions que je vois écuyers et chevaliers se targuer des vertus de leurs sœurs, de leurs femmes et de leurs mères, pendant qu’eux-mêmes courtisent les maîtresses le long des routes. Finalement, ce sont toujours les femmes que l’on finit par accuser de tromperies et de malveillance.

Passant une main dans ses cheveux, Alaric lâcha la prise qu’il maintenait sur son bras et l’approcha fermement de lui. Jouant de ses mèches, il colla son front parsemé de mèches noires contre celui de la fille du bourreau. Son corps entièrement tendu, il se moula à elle.

— Vous ne souhaitez pas qu’une vieille femme aigrie me touche dans mon intimité, pour ensuite partager avec mes frères et mon père que j’ai des lunes entre les cuisses hors mariage, argumenta-t-elle, au supplice.

Son nez pressé à celui d’Eulalie, l’écuyer parut se contenir à grand-peine. Les yeux fermés, il ronfla à la manière d’un taureau.

— Afin de me faire pardonner mes égarements et que vous ne vous mépreniez sur mon sujet, et en espérant que ma hardiesse me soit pardonnée, je vous jure ceci : Je ne profiterai pas des faveurs des servantes prêtées par cette maison, ni d’aucune autre, je ne toucherai nulle femme avant de vous avoir faite mienne. J’en fais le serment devant Ogdal.

 

🗡️

 Accoudé au rebord d’une fenêtre, Alaric guettait avec nervosité l’arrivée de son père. En contre-bas, dans la cours, la silhouette d’Eulalie, emmitouflée dans son manteau le plus chaud, distribuait aux poules du grain bien mérité. Embarrasser de son comportement, l’écuyer n’avait pas oser approcher la jeune femme depuis deux heptalunes. Depuis qu’il s’était éveillé au côté d’une Oral nue et inquiète de ne pas toucher la solde lui ayant été promise.

Un terrible mal de crâne le prenant, le futur chevalier avait eu les idées embrouillées, certains détails de sa nuit lui échappant. Sans plus de cérémonies et embarrasser de son comportement, Alaric avait congédié la pauvresse. Il s’était ensuite assuré auprès d’Augun que la fille du meunier ne rejoindrait plus ses appartements. Une demande qui avait renfrogné son parrain.

La boule au ventre, le jeune écuyer attendait à présent que son père se présente à la Baronnie d’Herlëv pour le mariage précipité de l’héritier et d’une fille de mage. De son point de vue, il admirait le spectacle grandiose, qui s’offrait à lui. Riche, le chevalier d’Aulnois n’avait pas lésiné sur la dépense. Afin de satisfaire l’épousée, aucun sacrifice n’avait été fait. Une camouflet pour les fiances démunies de la famille d’Augun.

Envieux, le Baron avait chaque lunée, assisté aux demandes les plus folles de sa bru, désire aussitôt accepté par son père que ne souhaitait pas faire pâle figure. Toutes extravagances de la Damoiselle, qu’il aurait fallu, de l’avais d’Augun et de ses frères, habitués dés à présents à plus de rusticité, étaient dès lors présentes à son mariage. Les invités arrivaient par groupes, avec leurs équipages et leurs montures, faisant étalage de leur richesse et de leur rang.

Au cœur du château de taille modeste, se côtoyaient nobles et roturiers, jongleurs et ménestrels, marchands et paysans. Le sol était recouvert de sable fin, pour amortir les chutes des chevaliers désireux de s’affronter dans des duels amicaux.

Au centre de la cour, un grand étendard flottait au vent, arborant les armes de la baronnie, symbole de la puissance et de l’honneur des Herlëv et d’Aulnois. Autour de cet emblème, des tentes recouvertes d’une fine couche de givre et des pavillons étaient dressés, pour abriter certains invités et les visiteurs.

Sur les côtés, des échoppes et des étals s’étaient installés, bijoux, armes, tissus et épices étaient proposer à la vente aux courtisans. Une semaine complète de festivité, avait été annoncée. Les cris des marchands, les rires des enfants et le brouhaha des conversations se mêlaient dans une joyeuse cacophonie.

Les chevaliers, amis du parrain d’Alaric étaient montés sur leurs chevaux caparaçonnés et s’entraînaient dans l’art de la guerre, pendant que leur Dame se promenaient ou pour attirés le regard de l’une ou l’autre Damoiselle prêtent à se marier en dessous de son rang. Ils lançaient des lances et maniaient des épées avec adresse et vigueur. Les pages et les écuyers les assistaient, portant leurs boucliers et leurs armes, parmi eux, le jeune homme reconnu plusieurs de ses amis qu’ils avaient laissés en même temps que l’automne.

― Y a-t-il quelque chose qui te tracasse, mon ami ?

Le timbre affecté d’Ayleri fit sursauter le jeune homme qui ne s’était pas attendu à voir apparaitre le cadet de la fratrie. L’écuyer aurait dû être avec son père et ses frères pour préparer Augun au serment le plus engageant de son existence.

Le plus jeune de la maisonnée d’Herlëv s’était fait fort absent ces dernières heptalunes, en particulier après la venue de l’un des Gardiens de la Flamme. Le chevalier était venu quérir les services d’Ubrök, qui avait abandonné Eulalie aux bons soins de la Baronnie afin qu’elle s’occupe des menues pénétitences en l’absence de son père.

Après tout, la jeune femme était vouée à cette vie.

La bouche sèche, Alaric ferma les yeux, ignorant un instant la question d’Ayleri. Pensant les pours et les contres, le jeune homme avait plusieurs lunées durant, envisager de se confier à son ami sur ce qui le tourmentait. La peur de sa réaction, l’avait toutefois empêché de trouver le courage de lui parler des sentiments déplacées qu’il avait envers Eulalie. Devoir évoquer avec le si chaste écuyer le moment partager avec Oral, n’arrangerait rien à ses fustigations.

― Pardonne moi, je ne voulais pas…

Un froissement de tissu, le claquement des talons d’Aylerie qui reculent, le froid intense de la honte dans son âme, Alaric se retourna. Croisant les yeux vert de son ami, il y lu une réel inquiétude. Longtemps, le futur chevalier avait pensé se confier au Moine Confesseur, bien qu’il connût par cœur les remontrances que celui-ci lui ferait. Un projet qui le glaçait jusqu’aux os. Parler à Ayleri lui semblait… plus naturel, malgré le penchant de plus en plus flagrant de son ami pour une voie spirituelle. Qui d’autres que son presque frère pourrait le comprendre.

― Non, attend, s’il te plait, l’arrêta le jeune d’Aprelön, une main tendue vers son ami. Il faudrait… j’ai à te parler.

Déjà à moitié détourner, le cadet d’Herlëv lui offrit l’une de ses esquisses de sourire qui avait le don de transparaitre l’absolution.

― Souhaite-tu un endroit plus intime ? lui demanda avec douceur Ayleri. Nous pouvons allez dans ma chambre, personne n’y verrait à redire. Je peux nous faire monter une collation.

La reconnaissance réchauffa l’âme d’Alaric qui acquiesça sans un mot. Se dirigeant vers l’étroit couloir desservant les chambres, les deux écuyers interpelèrent un serviteur venu en renfort pour le mariage et lui ordonnèrent de monter un plateau d’encas salé.

L’apparentions lui serrant les entrailles, le fils d’Aprelön pénétra dans la chambre de son ami. Lit double à courtine sans fioriture, une table de travail, une chaise de pauvre facture, un bassine drapée d’un linge, une armoire et un ensemble de toilette posé sur une commode étaient ses seules possession. Un pièce entièrement dédié au dénuement qui fit s’interroger un peu plus le jeune homme sur la voie que comptait emprunter Ayleri. Sur le lit, l’ouvrage des préceptes d’Ogdal donnait une bonne idée de lecture nocturne de l’écuyer.

― Parle-moi, rien de ce que tu diras ne sortira de cette pièce, l’encouragea son ami en s’asseyant sur la chaise.

D’un mouvement de la main, il invita Alaric à prendre place sur le lit aux draps impeccablement ouvert. Soudain, les inflexions compatissantes d’Ayleri, la simplicité de son vêtement de teinte verte et la sérénité qu’il dégageait, donnèrent au jeune home l’impression de se rencontre au confessionnal. Un présentement coula dans ses veines.

Ses cheveux bruns, mi-long encadrant son visage aux traits paisibles, son ami le détaillait avec patience. Ses fines lèvres ourlées d’une moue engageant, son ami attendait ses épanchements à la manière d’un Moine. Mains sur les genoux, il lissait le tissu de bonne facture de ses braies. Défroissant au passage sa chemise sur laquelle brillait un petite écusson représentant la Flamme.

Installé sur le matelas, Alaric clos un instant les paupières afin de chasser la vision d’Ayleri en habit de Gardien qui venait de lui apparaitre.

― Je ressens des sentiments… pour une jeune femme, annonça le cadet d’Aprelön au supplice. Une personne… hors de ma condition.

― L’une des suivantes venues accompagner Blania d’Aulnois ?

La supposition était faite sans animosité, ni jugement, calme et serein, son ami ne cherchait qu’à lui faciliter la tâche. Le soulagement gagna Alaric qui ne s’était pas rendu compte de sa fébrilité apparente, jusqu’à ce que la main d’Ayleri se referme sur son genou.

― Ce n’est pas grave, tant que tu contiens tes ardeurs.

Une bouffée de chaleur envahi le jeune homme. Là se trouvait bien le nœud du problème ! Il avait de plus en plus de mal à se contenir en présence d’Eulalie. Ce qu’il lui avait fait à leur dernier tête à tête. Son outrecuidance de lui avoue… non il ne voulait pas y penser !

Se prenant la tête entre les mains, Alaric repoussa les souvenirs qui essayaient d’effleurer la surface de son subconscient. Il ne voulait pas savoir jusqu’où son ivrognerie l’avait mené.

― Là est tout le problème, confessa-t-il la voix rauque. Je me perds en sa présence et me plonge dans le déshonneur de vouloir à faire mienne.

― Confie ta repentance à Ogdal, lui conseilla Ayleri en raclant sa chaise contre le sol pour se rapprocher. Si tes sentiments pour cette damoiselle sont purs, les Dieux de la Sainte Lumière guideront tes pas vers le renoncement ou le chemin menant à l’union.

Oui, c’était exactement son plan. Ce qu’il avait prévu pour gagner les faveurs et l’amour d’Eulalie, pour mériter d’une lunée, la voir porter sa progéniture sans avoir à rougir de bâtards. Les paroles de son ami résonnèrent en Alaric, lui confirmant la voie qu’il avait choisi.

― Ne veux-tu savoir de qui il s’agit ? s’enquit l’écuyer dans la langue frémissait à l’idée de se délier, de prononcer le nom de sa belle. Ne souhaite-tu pas connaître l’identité de cette qui occupe mes pensées.

― Non, mon frère, réfuta Ayleri qui se mit à lui flatter le dos de la main du pouce. L’ignorer m’est préférable, toutefois, sache que si mon aide t’est nécessaire dans tes dessins, mon bras t’ait acquis.

Il y avait… un certain chagrin dans son timbre, du regret aussi.

Se mordant le bout de la langue, Alaric chercha le meilleur angle d’approche pour pousser Ayleri à se confier à son tour. Le prendre de front, serait s’assurer son silence. Rouvrant les paupières, il attrapa de sa main libre son médaillon en même temps qu’il refermait l’autre sur les longs doigts osseux de son ami.

― Je compte partir avec l’ost qui ne manquera pas de se préparer pour le Benyir, ci-fait, il me faudra briller durant les batailles. Démarquer par mes prouesses, je pourrais mes rapprocher des Moines Saints afin de les conjurés d’accéder à la requête qui me mènera à l’amour de la damoiselle occupant mon cœur.

Le froncement de ses sourcils durcissant à peine ses traits fines et efféminé, Ayleri le contempla un instant avec réflexion.

― Ne m’en dit pas davantage ou je pourrai me méprendre sur l’identité de celle qui a ravi ton cœur.

Prit de panique à l’idée que son ami renoncer à le soutenir, s’il découvrait l’objet de ses pensées, Alaric comprit son erreur. Sans y penser, sa langue se joua de lui avant que son esprit ne l’arrête.

― Et toi, aurais-tu un secret à me confier ?

Brusquement, son ami ôta sa main de celle de l’écuyer, ses grand yeux vert le scrutant avec appréhension. Ayleri afficha la mine d’un chat qu’on plonge dans une baignoire. De lourd pas martelèrent les dalles du couloirs.

― Alaric ! Où est mon fils ! tonna la voix puissante et visiblement contrariée de son père. Alaric ! Allons mon garçon, sort de ta cachette.

Le cœur battant la chamade, le concerné sentit la tête lui tourner en réalisant sa posture. À cet instant, la porte de la chambre d’Ayleri s’ouvrit à la volée, faisant apparaitre le silhouette longiligne du Seigneur d’Aprelön. Les deux écuyers confus de relevèrent précipitamment.

― Ayleri, mon garçon, aurais-tu… Ah… Oh !

Les joues en feu, Alaric ressentit l’acuité du regard transperçant de son père évaluer la situation. Seuls dans une chambre, les deux jeunes hommes s’étaient tenus fort proche leurs mains se frôlant encore. Il aurait été facile de se méprendre sur ce qu’ils venaient d’échanger.

― Mon fils ! s’égailla faussement le Baron d’Aprelön se remettant de sa surprise. Quel plaisir de te revoir ! Deux révolutions déjà que tu ne nous à pas fais l’honneur de ta compagnie. Pirlön me demandait encore avant mon départ si j’étais certain que tu étais encore en vie ! Quant à tes sœurs, j’ai un plis de chacune de l’une d’elle qui tais destiner ! Je soupçonne Agrix de t’y annoncer une nouvelle que je redoute.

― Il faut bien un avantage à être né cadet, père, se reprit Alaric en avançant sur lui les jambes flagellants.

Qu’est-ce que le mécontentement caché derrière son apparente jovialité pouvait signifier qu’il s’imaginait ?

Richement vêtu, le Baron gratifia son fils d’une étreinte viril. Les cheveux noirs savamment coiffés, longiligne et bien fait de sa personne il attirait l’attention des dames aussi surement que du miel. Une façade dans laquelle beaucoup se laissait prendre au piège. De ce qu’il en savait, Alaric avait par au moins cinq fois, manqué d’avoir des bâtards en guide de petites frères. Des désagréments que son père avait balayer avec l’aide des potions de son apothicaire.

La mine mécontente, le chevalier examina la mise de son fils qui n’avait rien de commun avec la sienne. Son pourpoint de laine était taillé dans un tissus de moindre qualité, tout comme sa tunique ample sans manches aux armoiries de sa famille. Point de broderie ou de motifs en relief, de pierreries ou quoi que ce fut qui puisse faire honte à son hôte.

L’écuyer ne portait aucune trace de richesse sur sa cape en laine, qu’il portait fixée sur l’épaule par une agrafe, en lieu et place de celle en soie qu’il avait laissé au Palais. Toute son appartenance à une famille aisée avait été masquée dans sa tenue, hormis ses écus.

― Ton parrain t’astreint à bien des austérités.

Le Baron d’Aprelön désapprouvait, cela ne faisait aucun doute. Se martyrisant la lèvres, Alaric recherchait comment présenter les choses à son père. Au cours de son séjour, il avait appris que la situation financière de la Baronnie d’Herlëv était pire que ce que supposaient le Comte et les autres chevalier. Un soir où il avait trop consommé de vin, Ayleri l’avait mené dans les appartements privés du Baron pour lui montrer les livres de comptes. Dépité, son ami en était venu à lui confier les projets peu recommandables que son père nourrissait pour ses fils.

Un bateau avait coulé au retour du Benyir, et avec lui, l’un des plus gros investissement de son parrain.

― En tant que proche de la famille, il était impensable que je sois plus richement vêtu que le marié, argumenta Alaric à voix basse en jettant une œillade à son ami resté en retrait.

Un sourire ourla le visage dur, mais séduisant de son père.

― Tu es loyal Alaric, une qualité dont je peux être fière et que je suis reconnaissant à ton parrain d’avoir fait grandir en toi. C’est ce qui nous à rapproché et garder amis de si nombreuses années, lui et moi.

Un tel complément dans la bouche de son père, en particulier à son égard, était à savourer. Aussi l’écuyer se permet de s’en rengorger.

― Merci père.

― Messire D’Aprelön, salua le timbre enjoué d’Ayleri remit de sa surprise. Père vous attendait. Il se trouve au moment même entrain d’accompagner mon ainé pour ses préparatifs aux grandes épousailles.

Pas plus nanti que son ami, le puiné portait une tenue presque identique à celle d’Alaric, dont la simplicité fit froncer les sourcils du Baron. Celui-ci avait toujours eu une certaine propension au luxe et devait se désoler du piètre statut de son fils et de son entourage.

― Ayleri, lui répondit le Baron avec un signe de tête. C’est donc pour cela que je n’ai encore croisé aucun de tes frères. J’avais moi-même prévu de me changer. Je les retrouverai au mariage.

― Que nenni ! réfuta le cadet avec empressement. Père serait honoré si vous vous prépariez avec lui dans ses appartements, c’est lui-même qui m’envoie vous chercher. « Pour se rappeler le bon vieux temps des escarmouches a-t-il dit ».

Le chevalier éclata d’un rire gras que son fils ne connaissait que trop bien. Refroidit, Alaric resserra autour de lui sa cape, cachant inconsciemment ses armoiries. Ses avis que les deux anciens compères ne feraient pas que se préparer dans la chambre du Baron.

― Parfait, je me joins à lui dans l’instant, si tel est son désir. Néanmoins, il me faut d’abord aborder un sujet délicat avec mon fils. Si tu le permets, je souhaiterais m’entretenir en privé avec celui-ci.

Le sourire entendu appuyé d’un clin d’œil dont il gratifia Ayleri perturba le jeune homme qui se tourna sur son ami en quête de réponse. Discrètement, celui-ci lui fit signe qu’il ne comprenait pas davantage les sous-entendus de son père et ignorait de quoi il serait question.

― Nous sommes dans sa chambre, rappela Alaric dont le pouls battait trop fortement dans la gorge. Il serait impoli de…

― Oh et puis, qu’importe ! lança le Baron d’Aprelön en refermant le battant d’un impressionnant coup de talon accompagné d’un mouvement de cape. S’il t’es aussi proche que je le crois, il doit bien être au courant de tes frasques !

La bonne humeur de son père n’était qu’une illusion, l’écuyer pouvait le sentir. Il y avait dans chacun de ses mots une rancune d’Alaric ne connaissait que trop bien. Cette colère dissimulée qu’il à laquelle il n’offrait libre court que devant sa proche maisonnée.  Ça courtoisie n’était qu’illusion que son Père avait créer de toute pièce et maintenue à la face du monde, au point de tromper Comte, clercs et chevaliers.

Une image de son enfance, avant qu’il ne soit envoyé au palais du Comte comme page, revint au jeune homme. Il devait alors être âgé de cinq ou six ans, c’était juste avant que sa mère ne meure de sa dernière couche. Allongé sur le sol, le visage en sang et plusieurs os brisé, celle-ci suppliait son mari de fermer au moins la porte pour épargner leur descendance. Les mains d’Agrix lui bouchant les oreilles, le petit garçon avait à peine entendu les hurlements de son père répondre à ses suppliques. Un coup de pied dans le dos avait suivi, accompagné d’un cri. Puis d’un autre.

Les paumes de Luanël s’étaient posées sur ses yeux, au moment où Pirlön s’étaient précipité pour refermer le battant de la chambre et rassembler ses sœurs. Une scène courante dans la petite forteresse des D’Aprelön. C’était Verlä qui l’avait bordé ce soir-là.

Certes, ses sœurs étaient des modèles d’éducation et de vertu, toutefois, c’était dû à la dureté de ce qu’elles avaient vu leur mère endurer. Père n’avait jamais été un homme patient, et si en public, le couple de la Baronnie faisait figure d’exemple, l’intimité en était toute autre. Ainsi, jamais n’avait-il eu à toucher ses enfants, les remontrances infligées à sa femme suffisait d’avertissement à toute la famille.

Ses dents entaillant sa lèvre inférieur, le jeune écuyer souffrit d’imaginer la belle Eulalie soumise au même traitement. Car, si certaines de ses souvenirs hantait encore parfois ses nuits, c’étaient les cris de sa belle-sœur, tard le soir, qui l’empêchait de dormir paisiblement chez lui. Pirlön avait hérité les vices de leur Père avant sa fortune et son titre. Au grand malheur d’Hälni, son épouse qui lui avait déjà donné cinq enfants en sept révolutions d’union. Dont deux étaient des garçons.

Heureusement ses sœurs avaient eu plus de chance pour leur partis.

Ces attitudes dépravée n’était pas digne d’un chevalier et du serment qu’il prêtait. Pas plus que le comportement de certains avec qu’Alaric avait dû servir et qui ─ au détour des villages et de leurs envies ─ défloraient ou prenait par efforcement des paysannes. Des actes qui avaient rebuté l’écuyer et l’avait poussé à trouver lui-même un compromis plus acceptable pour céder à ses pulsions mâles. Falia s’était présentée comme un moindre de mal.

Prendre de force une femme n’était pas dans ce qu’il aspirait à être.

C’était ce qui l’avait poussée à évoquer la chose avec Eulalie, lui assuré qu’elle serait en sécurité en sa présence. Ou, tout du moins, qu’il s’y efforcerait.

― Ton parrain m’a écrit que tu refusais les hommages qu’il avait envoyé dans ta chambre, attaque de but en blanc le Baron d’Aprelön.

Manquant de s’étouffer, Ayleri agita sa main droite pour marquer le signe de la Flamme. L’écuyer recula d’un pas, tentant s’en doute de se faire oublier dans l’ombre d’un recoin. Figé, Alaric, qui n’en menait pas plus large, sentit ses yeux s’écarquillé.

― Père, je…

― Ne dit rien, j’imagine que les jeunes femmes disponibles dans cette… région plus reculée, ne sont pas à ton goût. Heureusement, on m’a rapporté que tu étais bien un homme et que tu avais appris à te servir de ton épée d’acier aussi bien que cette de chair à Nuzeo. Je suis là pour te rappeler que tu vas devoir apprendre à revoir tes prétentions, mon fils, cingla son père la mine sournoise en évaluant du doigt la facture des courtines. Là où tu vas, les compagnes de lits ne seront pas aussi mignonnes et propres. Les Souverains du Pacte viennent de transmettre à la Noblesse leur réponse à l’appel du Moine Elu qui encourage à une offensive libératrice sur le Benyir. J’ai joué de mes relations pour que ton ami et toi en faisiez partie.

― Nous partirons avant d’être adoubé ? rebondit Ayleri depuis le recoin prêt de l’âtre où il avait trouvé refuge.

― Non, mon garçon, non, s’amusa dans un petit rire le Baron d’Aprelön. Les troupes doivent prendre le temps de s’amasser. Je repartirai dès demain, après le mariage d’Augun avec le gros de la Noblesse. Alaric et toi attendrais que les bannerets de ton père se présente pour vous rendre en cortège à Nuzeo. Là, vous serez adoubés le lendemain de votre arrivée. Dans un cycle, maximum deux, nous prendrons la route de la forteresse de Cazkër.

La gorge d’Alaric se serra sous cette sentence. Quelque lunées à peine, moins d’une heptane, c’était tout ce qui lui restait à passer en présence d’Eulalie. Le monde parut s’ouvrir sous ses pieds. Il devait se réconcilier avec la jeune femme… il ne pouvait pas partir ainsi !

― Allons bon, fils, ne fait pas cette tête, le rabroua son père tandis que l’écuyer prenait conscience de sa bouche restée entrouverte. Il est de ton devoir de faire honneur à ta maison. Tu es un cadet, à chevalier, il te revient de faire le sacrifice de ta vie pour une cause plus grande que toi.

La salive resta calée dans la gorge d’Alaric alors qu’il prenait la mesure de ses paroles. Il importait peu à son père qu’il revienne de croisade, tant que ses agissements ne salissaient pas son nom et sa lignée.

― Rassure toi, la rente que je t’allouerais seras assez élevée que pour entretenir tes armes et tes vices.

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🧶

Assise sur la margelle du lavoir, en retrait du cops de logis principal, Eulalie frottait avec vigueur l’une des tuniques des chevaliers et écuyers, surement Körin, à en juger par la coupe et la taille. Ainsi que les taches qui en maculaient le col. De la mesnil, il était le seul à porter une barbe trop longue, bien qu’entretenue, qui menait directement les sauces et autres sucs de viande directement sur ses vêtements.

Il faudrait à la jeune femme bien plus de savon pour venir à bout de ses marques de gourmandise. Avisant de plusieurs petites auréoles violacées, elle frotta le pain de savon sur le tissu avec plus de force encore. Du coulis de prune de la veille… oui, il n’y avait plus de doute, cet habit appartenait au troisième fils.

La matinée était plutôt froide, bien que pas très humide pour la saison, ce qui ne manquerait pas de lui gercer les mains. La cour de la demeure s’était réveillée à l’aube, comme chaque jour. Poules et coq picoraient le grains jetés par les servantes, les cochons couinaient avec voracités dans les auges un peu plus loin.

La veille, la fête avait battu son plein, le mariage d’Augun d’Herlëv avait ameuté une partie de la Cour de Nuzeo. Eulalie avait vu de ses yeux le Baron d’Aprelön rejoindre son veille ami. À la meilleur table du banquet, Alaric avait profité de la compagnie des damoiselles de bonne famille, lui jetant parfois une œillade à la dérobée. Le voyant ainsi évolué au millier des belles en âge d’épousailles et à la grâce de cygne, elle avait compris l’erreur qui l’avait menée à croire aux promesses de l’écuyer.

Tous les chevaliers avaient débuté bien avant l’aube la chasse, la salle où elle dormait se trouvant en contre-bas, Eulalie avait entendu les hommes dévaler les escaliers, ou se taper vigoureusement les épaules dans la cour. Le jeune homme qu’elle convoitait était de ceux-là. Montant lestement CœurDécume, il s’était élancé derrière la horde.

Pendant que les hommes poursuivaient sangliers, daims, cerfs et autres venaison, leurs dames se prélassaient dans les tentes colorées. Derrière les oriflammes, une ombre longea le mur menant au cuisine et le cœur de la jaune femme se serra en reconnaissant l’arc vouté et la démarche mal assurée e la veille cuisinière.

Le père d’Eulalie était parti rendre la justice dans les baronnies alentours, abandonnant sa fille aux bons soins des d’Herlëv. Apprentie bourreau, comme chacun de sa fratrie, elle était chargée de menu pénitence. C’était elle, qui avait été chargée de punir Agnia pour le soi-disant vol d’une miche de pain trop cuite. Vingt coup de fouets qu’elle sentait encore vibrer dans ses os. Le bruit de la chair qui claque, se déchire, le sang et les sanglots… Eulalie soupira, elle détestait cela.

Toujours installée dans la salle basse qui lui était attribuée, elle avait été priée de se rendre utile, bien que sa présence entachât la maisonnée et faisait déjà courir des rumeurs. Dans la bourgade, personne n’ignorait ce qu’annonçait le fait de garder un bourreau à portée de main. Des célébrations, des grandes célébrations qui promettaient son lot de larcin et autres crimes. Les auberges s’étaient préparées à recevoir la Noblesse. Guerre ou mariage, cerfs et vilains restaient fébriles quand les plus nantis se rassemblaient.

Eulalie replongea ses mains rougies dans l’eau chaude, d’où s’échappait une épaisse vapeur et détrempa une fois de plus la tunique sur laquelle elle s’acharnait. La température de la cuve de bois, par rapport à celle du bassin agita ses terminaisons nerveuses et la dérangea.

Son père lui avait révélé qu’il était autant sujet de guerre que d’une union. Un gardien de la Flamme était venu quérir les services du bourreau voilà deux heptalunes et celui-ci avait en apprit plus que beaucoup durant son séjour dans la Commanderie. Une mission qui avait en partie contribuer à ce que la jeune fille de dix-sept ans reste à Herlëv. Le Commandeur refusait qu’une tentation aussi flagrante pour ses Moines ne pénètres dans l’enceinte de leur sain refuge.

L’un de chevalier, un mage ! s’avérait coupable de manquement à l’honneur. Ses frères, en majorité non mages, avaient donc dû faire appel au bourreau qui possédait les outils nécessaires à la souffrance et la purification. Les lames taillées dans les gemmes obscures étaient une rareté, seule possession de valeur du métier de son père, qui conférait au dynastie de bourreau un certain statut.

La guerre approchait, les Nobles adoubaient les jeunes garçons les uns après les autres. Ils liaient les dernières alliances qui permettrait de protéger l’une ou l’autre, fille, femme ou sœur, en l’absence de leur d’un chef de famille, les confiants à d’autres. Une caravane de pèlerins avait été attaquée au Benyir, mettant le feu à l’étoupe. Les embuscades se faisaient de plus en plus fréquente et un groupe de fanatiques avaient passé la frontière. Le Comte d’Ameriv bien que mage et ses hommes n’y avaient pas survécu.

Les Souverains du Pacte en appelaient donc à leurs bannerets.

Alaric allait partir… Eulalie avait encore surprise une discussion à ce sujet la veille, au diner. Distant en public, l’écuyer en était venu à se préoccuper d’elle lorsqu’elle astiquait les instruments de son père. Le lendemain des égarements du jeune homme avec la fille de ferme. Là, calé dans son dos, il avait désiré poser une main sur la sienne. Elle l’en avait empêché. Salir un homme si pur par sa simple présente la répugnait.

 Prévenant, il avait subtilement convaincu le Baron d’accepter Eulalie se charge de menues tâches afin de l’occuper. L’éloignant un peu des basses besognes que lui imposait sa condition, il avait convaincu Ayleri fils cadet, de prendre partit pour elle. L’un des arguments dont avait usé l’écuyer était qu’en la mettant au contact régulier de la pureté de savon, elle nettoierait son âme en même temps que son corps.

Les Dieux ne pourraient qu’en prendre compte au moment de peser les actions du Baron dans ce monde. Celui-ci s’était donc trouvé plus enclins à de meilleurs grâces envers la jeune fille.

Elle avait ainsi appris, l’heptalune précédente que les fiançailles d’Augun avec Blania d’Aulnois, seraient prochainement annoncées. Prude, réservée et sage, la jeune suivante de la Comtesse était un exemple de vertu. Pieuse et dévouée, la jeune femme de seize ans, ne rêvait que de mariage et d’alliance. Convaincue que son obéissance indéfectible servirait l’honneur de son père et le prestige de sa famille.

Exemplaire, Blania était la raison, au milieu des excentricités de ses amies qui piaillaient dans la cour de la forteresse comtale. C’était avec envie qu’Eulalie avait écouté les divagations de ces jeunes filles irréprochables qui prenaient le soleil sur un banc. Pendant qu’elle, attendait sagement le retour de son père et de son frère qui officiait dans les geôles. Loin de leur pieuses lectures, la fille du bourreau avait écouter et retenu les confidences des nobles damoiselles.

Bien que l’idée même de la consommation l’effraie, Blania n’avait qu’une hâte : porté un enfant, avait-elle souvent confié à ses amies. Fille de mage, elle ne possédait pas elle-même le don mais était jugée avoir le patrimoine nécessaire à élever la condition des Herlëv.

Mariée à Augun, elle n’aurait d’autre choix que de s’évertuer à être enceinte le plus de fois qu’il lui serait possible. Un petit mage complèterait à merveille cette prestigieuse lignée. Sans parler de la dote colossale que la jeune fille apportait avec elle.

La mortalité infantile était un fléau, aussi serait-elle condamnée à porter révolutions, après révolutions les enfants de son époux. Une perspective qu’Eulalie ne lui enviait pas. Sur les dix enfants qui avaient grandi au sein de Dame Isolde, seuls quatre avaient atteint l’âge adulte. Que des fils, une bénédiction que le Baron espérait voir se perpétuer.

Les familles de gens simple en attendaient bien moins de leur épouse. Un chevalier, lui se contentait généralement de deux ou trois enfants avant de déclarer une trêve au corps de sa femme. Il y avait des solutions pour cela. Des solutions dont la Noblesse refusait d’entendre parler.

Dans la cour le son des sabots un seul cheval. Relevant les yeux, elle aperçut la stature imposante et musclée, aussi noir que la nuit de CœurDécume. L’air en resta bloqué dans sa gorge. Le soleil levant la prenant à contre lunée, elle pouvait distinguée la tenue impeccable d’Alaric qui, le dos droit, la surplombait. Eulalie qui ramassa dans un panier le linge encore humide. Mieux valait pour elle de faire profil bas.

Que faisait-il ici ? Pourquoi n’était-il plus avec les autres ?

― Je partirais une fois le mariage célébré, lui annonça le timbre affecté de l’écuyer. Mon père m’en a informé hier. Les Souverains convoquent l’ost, mon adoubement est proche.

Il avait dit cela avec une hésitation qui donna une bouffée de chaleur à la jeune femme. Il s’en allait, il était venu lui faire ses adieux. Tout clôturer entre eux. Eulalie s’en était douté. Le vin déliait la langue de bien des hommes pour mieux les faires mentir. Prit dans les vapeurs de l’alcool, il lui avait fait des promesses impossibles à tenir.

― Ne direz-vous donc rien ? sautant de cheval, il teint CœurDécume par la bride. Il m’est visible que cela vous affecte.

Qu’avait-elle à dire, si ce n’était le saluer et accepter le sort qui serait le siens. Une fois Alaric partit pout les terres arides du Benyir, son père s’assurerait qu’elle épouse un homme de sa professions. Un bourreau qui prendrait soin d’elle et à qui elle offrirait de perpétuer la lignée. La simple idée de se retrouver peu vêtue dans les bras d’un homme qui ne serait pas celui qui lui faisait face l’effrayait et la désolait.

Posant sa main gantée de fer sur la joue d’Eulalie, l’écuyer parut ne pas trop savoir comment doser son appuie. Le contact du métal froid contre sa peau failli la faire trembler.

― Si je vous fais mal, par pitié, signalez-le-moi, souffla-t-il à voix basse contre son oreille, ce qui lui arracha un frisson. Je mets habituellement des gantelets pour me protéger des coups d’épée, pas pour les poser sur une peau délicat.

La proximité du jeune homme la dérangeait. Sentir sa main ─ soit-elle armurée ─ caresser son visage lui donnait des bouffées de chaleur, malgré le froid mordant et son absence de cape. Relevant à peine le regard, Eulalie vit qu’Alaric portait sa cotte de maille par-dessous une tunique au couleur de sa maison. Son bouclier et son épée étaient accrocher au flan de son cheval. Croisant ses iris bleu, elle s’aperçut que le dessous de l’œil du jeune homme était coloré d’une marque de coup et qu’un large estafilade lui barrait les pommettes.

― Vous êtes blessé ! réalisa-t-elle en essayant de se reculer.

― Ce n’est rien, une farce de Körin qui m’a fait terminer ma course trop prêt d’une branche, balaya Alaric en la maintenant un peu plus fermement. Ne bouger pas, je répugnerais de vous blesser.

Le fer de son gant la gênait, aussi bien qu’il la soulageait. Être séparer par cette barrière lui donnait l’impression de ne pas salir le futur chevalier par sa simple présence.

― Vous êtes écuyer, vous servez la Comtesse depuis des années, vous n’allez pas me faire croire que vous n’avez jamais eu à la toucher et mesurer votre force, laissa échapper Eulalie avant de comprendre sa bévue.

― Jamais ! s’offusqua l’écuyer de façon étouffée. Et par pitié, ne répand pas de telle rumeur ou s’en est fini de moi. Certes, j’escortes la Comtesse dans les rues de la ville, mais en tant que garde.

Le poids de la main entourée de métal se fit plus appuyée sur la joue d’Eulalie qui étouffa un hoquet. Aussitôt, la pression s’effaça et le gantelet ne reposa plus sur elle. Surélevant légèrement son poignet, Alaric donnait l’illusion de la toucher alors qu’il venait de se retirer.

Son absence la martyrisa dans son âme.

― Je savais que je vous ferais mal.

Son ton était teinté de regret. Fixant droit devant lui, un point invisible au-dessus d’elle, il n’avait pas posé un instant les yeux sur son visage. Bien du contraire, il semblait tout faire pour l’éviter. Une hypothèse qui brula de larme contenue les yeux de Eulalie. Il allait partir et se préparait à briser ses rêves les plus secrets.

― Vous ne me faite pas mal. Bien du contraire.

Sans un mot, mais avec un grognement contrarié, l’écuyer obtempéra entoura le visage de la jeune femme de sa paume. De mauvaise grâce, il lâcha la bride de son cheval et la tira d’une main en direction de la chapelle. Une fraction de seconde, Eulalie cru qu’il alla l’embrasser. Longeant les hauts murs de pierre, il la força à abandonner son panier entre deux tentes.

La petite construction en pierre, ornée de vitraux colorés, qui laissaient passer la lumière du soleil en un kaléidoscope de teintes miroitante, étaient un endroit que la jeune femme fréquentait peu. Au contraire d’Alaric qui, dans un rapide salut, se signa dès que la pointe de son pied foula les dalles de l’entrée. Une main sur la gorge, il articula une prière muette à la Flamme. L’hypocrisie de son geste fit remonter une bile acide dans l’œsophage d’Eulalie. Pêchant sans vergogne six lunées de l’heptalune, chevaliers et écuyers cherchaient la rédemption la septième venue. Une conduite que raillaient les membres de sa corporations et dont elle partageait l’indignation.

Elle est les sien, bien que méritant, étaient excommuniés.

― Votre signe de la Flamme, lui rappela à voix basse l’écuyer.

S’arrêtant sur le seuil, Eulalie se mordit la lèvre inférieur, jouant des gerçures qui la fendait.

― Je n’ai pas le droit de me trouver ici, avoua-t-elle.

Interloqué, l’écuyer croisa ses prunelles bleus pour la première fois de la lunée. Ses sourcils relevé en signe d’interrogation, il entrouvrit la bouche avant de réaliser ce qu’il son erreur. Elle, n’avait d’yeux que pour la marque violacée qui s’étendait sur la partie droite de son visage et la plaie suintante qui l’accompagnait.

Des traces de sang séché, essuyer à la hâte parsemait sa joue.

― Je prierais pour votre âme…

Fut tout ce qu’il réussit à articuler. Pour la première fois, il deviat pleinement prendre conscience de la situation de la jeune femme. Aucun sacrements ne lui serait accordés. La peau marbrée de rougit, Alaric paraissait s’apprêter à se confondre en excuse. Fermant un instant les paupières, Eulalie chassa cette vision de son esprit tout en priant secrètement que personne ne les aperçoit en si grande intimité.

― Je vous en remercierai.

Une pichenette de Gathrùn dans son dos la fit taire. Surement, était-elle accompagnée d’une œillade assassine.

L’odeur de l’encens la prit au nez, et Alaric sursauta en apercevant un Moine commencer à allumer les bougies qui serviraient à accueillir les fidèles. Il était bien plus tard que la jeune femme ne l’avait pensé. La tirant dehors, l’écuyer la poussa entre les ombres d’une petite alcôve.  Les chants grégoriens commencèrent à résonner dans l’air, la voix grave d’Alaric se mêlant ─ sans doute par habitude ─ à celle de l’assemblée dans leur mélodie simple et apaisante.

Entendre les prières ourler la langue du jeune homme, voir ses lèvres danser prêt des siennes tandis qu’il la couvrait de son corps éveilla quelque chose en elle. Une distance respectable les séparant, Alaric attendit que le flots de serviteurs et nobles dames se rendant à confesse se tarisse avant d’oser se mouvoir. Le parfum de cuir, de cheval et de sueur de l’écuyer avait empli l’espace, rendant Eulalie nerveuse.

― Il faut que je vous parle seul à seul, souffla-t-il en réduisant un peu la distance qui les séparait. Je vous en prie…

Le cœur de la demoiselle manqua un battement. Si cela se savait…

― Je ne peux pas. Mon père, il…

― Je vous en prie Eulalie.

Refermant ses mains gantées sur celles crevassées de labeur d’Eulalie, Alaric les porta à ses lèvres. La lueur enfiévrée qu’elle voyait briller dans ses iris ouvrit un puit profond en elle. Ce fut pourtant la balafre irrégulière aux bord parsemées de terres et de reste de mousse qui la poussa au blasphème.

― Il y a bien… une part des outils de mon père se trouve dans la pièce nous ayant été attribuée… Il y a là-bas… je n’aime pas cette coupure, s’étrangla-t-elle confuse.

― Alors mener moi là, la conjura-t-il le cœur au bord des lèvres.

Eulalie, guida Alaric, , à travers les couloirs étroits et sombres qui menaient à leur destination. La pièce, située dans les sous-sols de la baronnie, était un espace modeste mais fonctionnel, attribué à son père pour leur séjour temporaire. Chaque pas résonnait sur les dalles de pierre froide, un écho qui battait en rythme avec le cœur de la jeune femme, rapide et incertain.

L’air était frais et humide, une sensation qui se collait à la peau, et une odeur de terre et de moisissure imprégnait l’espace. Eulalie, d’une main légèrement tremblante, poussa la porte en bois robuste, révélant l’intérieur sobre de la pièce. Des murs nus, à peine éclairés par une petite fenêtre grillagée, laissaient filtrer un faible rayon de lumière qui venait mourir sur le sol de terre battue. Un lit simple, recouvert d’une couverture grossière, occupait un coin, tandis qu’une petite table et quelques chaises en bois complétaient l’ameublement spartiate.

Elle était, consciente de la proximité d’Alaric, sentait son parfum, un mélange de cuir et de foin, qui tranchait avec l’odeur confinée de la pièce. Ses yeux s’attardèrent un instant sur lui, observant la manière dont il inspectait leur environnement, son regard curieux mais respectueux. Elle sentait son cœur battre dans sa poitrine, un tumulte de sentiments qu’elle peinait à maîtriser. Elle ressentait une gêne palpable à l’idée de se retrouver seule dans cette pièce avec un homme, même celui qu’elle chérissait en secret.

À leur dernière rencontre intime, il avait eu des réactions déshonorante, dictée par le vin. Aujourd’hui, sobre, il se présentait pourtant à elle avec une promiscuité qui la dérangeait.

Ses oreilles captaient chaque petit bruit, le froissement de leurs vêtements, le souffle d’Alaric, tandis qu’elle luttait pour maintenir une distance entre eux. Sa voix trahit une légère nervosité quand elle l’invita à entrer dans la pièce. Un pincement dans son bas-ventre lui indiquait que ses frères et son père ne serait pas fiers de la savoir là, avec un écuyer. Imaginer leur désapprobation la terrifia.

Se dirigeant sur un broc d’eau, elle offrit une tasse de liquide limpide à Alaric, ses doigts effleurant brièvement ceux du jeune homme. L’exaltation de cette connexion fugace la poussa à se saisir d’une miche de pain et d’un quignon de fromage sur la table. Les lèvres pincées, elle se fit la réflexion qu’il aurait été poli d’offrir du vin à son visiteur. Denrée dont elle ne disposait pas.

Examinant la pièce aux murs nu, elle sentit son estomac se retourner en avisant des pochettes de peaux roulées dans lesquels se trouvaient soigneusement rangé le matériel de son père. À deux pas de là, la paillasse sommaire qu’elle occupait la nuit était garnie de draps propres et convenables. Une attention d’Agnia qui avait fait en sorte qu’elle se sente au mieux et qui avait souhaité lui offrir une couche douillette.

Eulalie se tenait là, partagée entre le désir de prolonger ce moment d’intimité inattendue et la peur de l’inconnu. Son monde sensoriel en éveil, vibrant au diapason de ses émotions confuses elle sursauta quand elle comprit que le jeune homme venait de lui parler.

― Pardon, bredouilla-t-elle troublée.

― Je vous ai demandé si vous souhaitez vous asseoir pendant que je vous servirai votre déjeuner.

Le sang lui brûlant le visage, Eulalie s’empourpra en acquiesçant. La voix de sa mère, néanmoins, la sermonna depuis sa tombe. Un écuyer, un jeune homme de rang plus élever allait la servir… elle, une simple fille de bourreau. Elle en eut la nausée. Refusant que leur dernier échange se passe ainsi, la jeune femme se dirigea sur les instruments de son père, d’où elle extirpa une trousse dédié à l’art de la sutures.

L’observant en coin, elle le vit alors effectuer un drôle de manège. Attrapant tout d’abord le couteau posé avec la miche de pain de la main gauche, il en changea aussitôt. Découpant des tranches épaisses, bien plus gourmande que ce dont Eulalie avait l’habitude, Alaric se trompa une nouvelle fois de main. Sourcils froncé, la jeune femme commença à être prise d’un doute.

S’asseyant sur le lit, à la gauche de l’écuyer, elle commença à sortir le matériel dont elle aurait besoin lorsqu’un léger coup de coude, lui fit dévier le fil qu’elle passait dans le chat de son aiguille. La mine revêche, le futur chevalier paraissait se débattre sans relâche pour garder sa main gauche immobile, heurtant de façon régulière son coude à celui de la jeune femme. Prise de court par les accès de chaleur que lui provoquait sa présence, elle essaya de ne pas faire montre d’impolitesse en lui soulignant son comportement.

Lui jetant des œillade à la dérobée, Eulalie évalua le travail qui l’attendait pour rendre le fils d’Aprelön convenable à son père. En ayant terminer avec le pain, celui-ci s’attaqua au fromage avant de, contre toute attente, prendre place sur la chaise la plus proche d’elle.

― Je vous présente mes excuses pour vous déranger sans cesse, lui murmura Alaric le jeune homme, en lui présentant sa collation. D’ordinaire, Ayleri se place toujours à ma gauche pour éviter que j’importune d’autre de nos camarades.

Le souffle de l’écuyer prêt de son cou lui donna envie de bondir.

― Ainsi que cacher le fait que vous êtes gaucher, releva-t-elle sans osée le regarder. Ne nier, pas. Vous côtoyer dans un espace restreint suffit pour comprendre l’évidence. Le Baron d’Herlëv ne s’en aperçoit pas, car il se trouve à la place d’honneur lorsqu’il vous met à sa droite.

La paume brulante d’Alaric se referma sur son genou, que ses longs doigts entourèrent. Quelle impudence. La sensation de la peau du jeune homme échauffant le tissu de sa robe mit à mal Eulalie, dont le cœur manqua plusieurs battement. Si quelqu’un venait à entrevoir son manège à la surprendre !

― Pitié, ne le dit pas si fort. Osez-vous imaginer ce qu’il adviendrait de moi si l’on apprenait que…

La prise du jeune homme se resserra, la pulpe de ses doigts s’enfonçant malgré lui dans les articulations de la jeune fille. Une peur sous-jacente teintait la voix de l’écuyer. Presque une supplique.

Il ne faisait pas bon d’être gaucher, cette différence était associée au malin et à ses vices. Raisons pour laquelle beaucoup cachait cette particularité qui, d’après son grand-père était en réalité très commune.

La tête tourna à Eulalie en sentant la respiration d’Alaric s’intensifier et lui caresser le cou. Sans qu’elle ne comprenne pourquoi, sa proximité la mettait de plus en plus en émois.

― Que vous utilisez la main du diable ? Comment avez-vous fait pour le masquer à votre maitre d’armes toutes ses révolutions ?

― Le Baron le sait, tout comme Ayleri, ses frères, mes compagnons d’armes et le Comte. Il est difficile de cacher de masquer ce vice, lorsqu’on se bat pour sa vie. Il me revient à chaque fois que, dans la frénésie d’un affrontement… je m’oublie.

La souffrance dans sa voix s’accentua, tout comme la pression de sa main sur les jupes de la jeune fille. Sans y penser, trop préoccuper par ses secrets et prit dans ses réflexions, l’écuyer s’était mis à caresser du pouce le creux de son genou. Un endroit encore inexploré par des mains habiles qui fit irradier une douce émotion d’excitation dans le corps de la jeune femme qui se tortilla.

― Je vous jure que votre secret est en sécurité avec moi, Alaric. Néanmoins, je vais vous demandez de calmer vos ardeurs et de me relâcher, ceci est inconvenant.

Elle jeta une œillade à l’écuyer qui, les yeux étonner la dévisagea. Sa main pivota, glissant sous la cuisse de Eulalie qui ne sut retenir un soubresaut. Paniquée, elle jeta un coup d’œil à la pièce vide.

― De quoi parlez-vous ?

― Votre main, se surprit-elle à glapir.

Sourcil froncé, il parut circonspect, avant de paraître à son tour prit au dépourvu. Prestement, sa paume la quitta et une affreuse impression de vide l’envahit en même temps qu’elle ressentit une moiteur en elle. Fermant les paupières, le souffle court, elle se rappela avoir pourtant vérifier la phase lunaire hier soir. Ses menstrues n’étaient pas proches. Toutefois, ses cousines lui avaient enseignés que de trop fortes émotions pouvaient déclencher la purification du corps. Mortifiée à l’idée de ne pas avoir mit ses linges et que sa robe serait tachée lorsqu’elle se lèverait, Eulalie se renferma sur elle-même.

Seule la voix d’Alaric, passa par-dessus sa honte.

― J’ignore comment vous présenter des excuses assez sincères et complètes pour que vous songiez seulement à me pardonner cet égarement. Je… il m’est impossible de comprendre ce qu’il m’a pris Eulalie. Jamais je ne vous aurais… traiter de la sorte. Voilà, sans doute pourquoi les clercs considèrent que la gauche est guidée par le malin. À ma droite, vous n’auriez eu à subir…

Subir ? Ô non, elle n’avait pas subi. À son grand désarrois ! Elle ne sentait plus que le froid du vent d’hiver transpercer sa robe pour la marquer des aiguilles gelées de son absence. Ce qu’il avait ardemment fait naître en elle ne pouvait pas être l’œuvre du mal. Du moins l’espérait-elle. Ne lui avait-on pas enseigné que les Dieux Fourbes cachaient leur malices dans les plus agréables des tentations ?

― Vous ne sembler pas à votre aise, que vous arrive-t-il ?

― Rien, Alarci… absolument rien… pleurnicha sans le vouloir Eulalie. Ne prenez pas garde à…

― Par Ogdal et les Saints, vous pleurez !

🗡️

Se levant prestement, l’écuyer s’agenouilla devant la jeune fille et lui attrapa les mains. La voir ainsi le visage inondé de larmes le désarmait. Il était seul responsable du désarrois qui prenait la malheureuse. La posture dans laquelle il l’avait mise faisait de lui un bien piètre chevalier. Et dire que son adoubement approchait…

Elle releva sur lui ses pommettes rougissante et le cœur du jeune homme manqua un battement. Il songea aux conseils d’Ayleri qui le priait de résister à ses désirs les plus primaires. En forçant Eulalie à le conduire dans un endroit aussi intime alors que la Barronnie bruissait des dernières festivité, il exposait son honneur et tout celui du bourreau. Ubrök n’était pas homme à froisser les Ogdal et les Moines, malgré sa condition. Temples et chapelles lui étaient peut-être interdit, cela n’en faisait pour autant un hérétique.

Confus de con comportement, Alaric prit garde en remettant une mèche égarée derrière l’oreille de sa belle. La mine baissée, elle sanglotait en silence tandis qu’il l’observait. Avoir six sœurs lui avait permis d’acquérir les connaissances nécessaires pour apaiser les chagrins que la condition féminie imposait. Excepté lorsque son comportement en était la cause. Cadet de la fratrie, il n’avait jamais été la source du moindre mal pour ces ainées qu’il vénérait.

― Ne me prenez pas pour une dévoyée, je vous en conjure, le pria Eulalie dans un hoquet étouffé.

Alaric sursauta à cette supplique. Quel Dieu Fourbe la piquait ?

― Vous ? s’étonna-t-il avec candeur. Comment le pourrais-je ? Vous êtes l’être le plus pure qu’il m’est été donné de rencontrer.

Elle posa sur lui ses grands yeux nimbé de larmes.

― Je suis fille de bourreau, le contredit-elle dans un souffle. Impure, souillée. Rien que vous touchez de la sorte porte sur vous la marque de mon infamie. Pour vous laver de m’avoir approchée, il vous faudra mille confessions et batailles au nom d’Ogdal et des Saints. Mon existence, comme celle de tout les miens est une offense nécessaire.

Comment pouvait-elle pensé pareille chose d’elle-même ? Il ne connaissait pas d’être plus pieu et respectueux. À ses côtés, Moines et Saints ne pouvaient rivaliser. Rougissante, elle refusait les moindres approches, ne cédaient à nul vice ou caresse. Refusait la chair et craignait de nuire à l’âme du dévoyer qu’il était. La honte gonfla dans l’âme d’Alaric qui sentit ses mains se refermer un peu plus sur les doigts délicates et abimés par le travail de sa belle.

― Si vous êtes une offense Eulalie, Rois, Reines, Moines et autres chevaliers et Seigneurs ne sont que les envoyés des Dieux Fourbes pour mener notre monde vers la Voie Noire.

Les petites mains se retirèrent de sa prise.

― Ne dite pas cela ! Higdrï grandit à l’Est et seule notre foie peut désormais sauvés les âmes qui en sont prisonnières. Il n’y a que votre présence et celle des vos frères chevaliers qui les libèrerons des faux Dieux que venèrent ses prêtres hérétiques.

Se recroquevillant sur elle-même, Eulalie posa ses iris sur la pochette où elle avait posé son aiguille. La candeur émanant d’elle frappa Alaric qui se fustigea d’avoir profiter de ses faiblesses pour la toucher de façon inappropriée. L’imminence de son départ le rendait fou, guidant ses gestes vers le plus absolu des outrages.

La jeune fille appartenait à un père, conservait en elle l’honneur de deux frères et de leur lignée. Elle ne pourrait être sienne avant qu’il n’ait gagné sa main et son âme sur les champs de batailles du Benyir.

― Si vous pensez ainsi, ma Dame, faites votre office. Non pas en rendant la justice d’Ogdal sur terre, mais en soignant de vos remèdes un humble serviteurs des Saints. Que, la lunée venue, je n’ai à souffrir au combat d’une estafilade ancienne et peu vaillamment gagnée.

Séchant ses larmes d’un revers de poignet, Eulalie acquiesça avec solennité. De gestes aussi précis que lent, elle sortit un flacon au liquide ambré et odorant. En versant un peu sur un carré de tissu propre qu’elle avait préparé, elle tamponna avec une certaine tendresse la plaie d’Alaric pour l’assainir. Ci-fait, elle le prévint de la morsure désagréable de l’aiguille qui pénétrerait dans sa peau malgré l’anesthésiant.

Les dents serrées, l’écuyer accepta plusieurs goulée de lait de pavot que la jeune fille lui présenta après le premier point. Le liquide blanchâtre avait un goût infecte qui lui coula sur la langue et resta dans sa bouche. Tendu il endura les longues minutes que prit sa belle à lui recoudre le haut de la pommette. Il sentait l’aiguille pénétrer sa peau, une sensation aiguë et précise qui se mêlait à une douleur sourde et lancinante. Chaque pénétration lui rappelait sa vulnérabilité, une sensation étrangement déstabilisante pour un guerrier en devenir.

Qu’en serait-il lorsqu’il deviendrait chevalier ? Qu’elle morsure aurait sur lui la lame d’un ennemi ? Jusqu’ici, il n’avait enduré que de légères contusions ou coupures dues à des maladresses de ses frères d’armes. La réalité de sa condition le rattrapait. Il en avait vu, des chevaliers mutilés, arborant de longues et vilaines cicatrices. Son père et son Parrain eux-mêmes étaient restés marqués dans leur chair.

Alaric essayait de se concentrer sur sa respiration, de garder ses muscles faciaux détendus, mais c’était un défi face à la sensation du fil glissant sous sa peau, tirant et serrant la plaie. Il sentait la tension du fil à chaque point, un rappel constant de la fragilité de sa condition humaine. Floue devant lui, Eulalie arborait à présent un fin pli entre ses sourcils clairs. Le bout de la langue dépassant à peine du bord de ses lèvres ─ signe de sa concentration ─, elle humidifiait à intervalle régulier les brins du fil. Sa présence, l’odeur de savon qu’elle dégageait, l’aidait à endurer le supplice.

Pour l’écuyer, chaque piqûre était un test de sa résilience et de sa capacité à endurer la douleur, un élément inévitable de sa vocation de chevalier. Une préparation à ce qui l’attendait dans les terres arides du Benyir. Il gardait les yeux fixés sur la bouche tentatrice de la jeune fille, essayant de se distraire de la sensation du métal froid et du fil qui se frayaient un chemin à travers sa peau.

Il pouvait sentir le sang chaud couler lentement sur sa joue, un rappel visqueux et humide de sa blessure. L’odeur métallique se mêlait à celle, plus douce, des herbes médicinales utilisées pour nettoyer la plaie. Alaric, malgré la douleur et l’inconfort, ressentait un certain orgueil à savoir qu’à cet instant, toutes les pensées d’Eulalie étaient tournées sur son unique personne. Une vanité dont il devrait se confesser.

Brusquement, ses pensées commencèrent à s’embrouiller alors que la fille du bourreau lui chuchota ce qu’il devina être des mots d’encouragement. La tête lui tournait et la saveur dérangeante du lait qu’il avait ingérée s’intensifia sur sa langue. Quelque chose n’allait pas. Vacillant, il se rattrapa au bord du lit, la main d’Eulalie se refermant sur son poignet tandis qu’elle le fixait avec inquiétude.

Agitant les lèvres, la damoiselle lui parlait, les mots se mélangeant à au bourdonnement sourd qui gronda dans ses oreilles. Les mains froides d’Eulalie pressèrent ses joues et ses iris affolés papillotées. Se sentant tomber, Alaric puisa dans ses dernières forces, obligeant ses membres devenu lourds à le hisser sur le lit. Sa vue se brouilla. La sensation agréable d’un bras longeant son abdomen lui donna l’impression d’être plongé dans un cocon de bien-être. Absorbé par le vide et une sensation de bien-être comme il n’en avait jamais ressenti, l’écuyer s’abandonna.

°°°

Alaric émergea lentement d’un sommeil profond et lourd, les vestiges de l’engourdissement voilant encore ses sens. Sa conscience flottait, comme suspendue entre le rêve et la réalité. Il percevait un murmure mélodieux, une comptine chuchotée près de son oreille avec mélancolie. Cette voix il connaissait bien, elle hantait ses songes et ses nuits. Bercé par les inflexions qu’il chérissait, l’écuyer mit plusieurs minutes à identifier sa propriétaire.

Prit dans la torpeur de sentir ses membres engourdit, ses paupières si closes qu’il ne pouvait les ouvrir, il chercha le souvenir du timbre de sa mère. En vain. Ce n’était pas non plus Agrix ou Constia, Glaïs, Verlä, Luanël ou Blaniän ses sœurs. Plus gutturales et raffinées, les filles d’Aprelön chantaient avec plus d’assurance. Non, les notes timides semblaient danser dans l’air, apportant avec elles un sentiment de tranquillité et de sécurité. Il y avait une douceur dans ce chant, une intimité qui réchauffait son cœur.

La caresse d’un doigt sur sa joue ramena une de ses mèches en arrière. Un frisson parcouru tout son corps, l’éveillant au vice. La chaleur d’une main lui frictionna l’épaule, remontant jusque dans sa nuque. Ses envies mâles répondirent à l’appel.

Eulalie. Il s’agissait d’Eulalie.

À moitié enfoncé dans ce qu’il identifia comme un matelas de paille rugeux, Alaric prit conscience d’une présence contre son dos. Un corps chaud et délicat pressé contre lui. Une silhouette si petite qu’elle ne le comblait pas entièrement. Il sentait la chaleur d’une respiration régulière, le frôlement léger des cheveux de la fille du bourreau contre sa nuque.

Paralysé par une hésitation tendre et confuse, il lutta pour ouvrir ses yeux encore embués par ce qui devait être un accès de vin. Eulalie, la jeune fille qu’il aimait, était là, si proche, et pourtant lui semblait si inaccessible. Cela ne pouvait être qu’un rêve, une hallucination due à sa surconsommation de boisson durant la chasse. La pestilence de sa propre sueur mêlée aux effluves de CœurDécume ne trompait pas.

Dans cet état semi-conscient, il était prisonnier de ses fantasmes, du doux mirage créé par son esprit engourdi. La sensation de la proximité de sa belle était à la fois réconfortante et déroutante. Il se sentait enveloppé dans une bulle de tendresse et d’affection, un sentiment tellement fort qu’il en était presque douloureux. Pourtant, l’écuyer savait que l’enfant d’Ubrök ne se serait jamais abandonnée à une telle dépravation. Que dans sa pureté virginal, elle ne saurait ainsi mouler son corps au sien.

L’effroi traversa Alaric, en même temps que le doute stimulait son être. La caresse de la pulpe des doigts d’une femme se jouait dans ses cheveux, les enroulant avec une tendresse inégalable. Où se trouvait-il ? Avec Falia, dans l’une des écuries du Compte ? Ou avait-il céder aux sous ses sens avinés à Oral, la mignonne que son Parrain envoyait chaque soir rejoindre sa couche et qu’il congédiait ?

Examinant le peu qu’il percevait dans la pénombre, le jeune homme décela une seconde couche, un sol de terre battues et des pochettes de cuir jalonnant les recoins de ce qui ressemblait à une cellule. La mémoire lui revint en même temps que la picotement lui martelant la pommette. Eulalie, c’était bien son chant religieux qui s’élevait dans son âme. Une prière à Ogdal pour ramener son bien-aimé.

Tout en prenant lentement conscience de la réalité, Alaric resta immobile, craignant de briser le charme de ce moment fragile et précieux.

Un lit. Il se trouvait dans allongé dans une couche avec Eulalie.

La saveur infecte du breuvage qu’elle lui avait fait boire se rappela à lui, l’obligeant à sa racler la gorge. Le corps moulé au siens sursauta dans un mouvement de pudeur non feint et le beau visage d’Eulalie apparu par-dessus lui derrière un rideau de mèches brunes.

― Qu’Ogdal soit remercier ! s’étrangla-t-elle en plaquant une main fraiche sur son front. J’ai cru vous avoir empoisonné !

― M’empoisonné ? Vous ? répéta-t-il d’une voix pâteuse.

Prenant conscience de leur position précaire, Alaric se releva tant bien que mal sur un coude. La tête lui tournait et il n’arrivait pas à se rappeler comment il en était arrivé à mettre la jolie fille du bourreau dans une position aussi compromettante. Maudissant le mauvais vin qu’ingurgitait les autres écuyers durant leurs parties de chasse, il se frotta le visage dans l’espoir de se réveiller.

La pression ferme des mains d’Eulalie sur ses épaules le convint de rester immobile le temps de reprendre ses esprits.

― Ne bouger surtout pas, lui intima-t-elle la peur dans le voix. Je crains vous avoir administrer trop de lait de pavot. Mon père m’en a donné les dosage seulement… j’ai dû vous croire plus robuste que vous ne l’êtes. Par les Saints, Alaric, pardonnez-moi…

La détresse de la jeune femme lui vrilla les entrailles. Son estomac se retourna, grondant de famine, vide, il fit remonter la bile dans la gorge du jeune homme qui s’appuya un peu plus dans la paille mal compactée. Comment Ubrök et Eulalie pouvaient dormir dans pareilles conditions ?

― Comment cela il a disparu ? tonna la voix du Baron quelque part dans la cour. Il s’agit de mon filleul ! Vous ne pouvez pas avoir perdu le cadet d’Aprelön !

Sifflant entre ses dents, Alaric se retourna sur la grille donnant sur l’extérieur. La nuit était déjà tombée et une unique chandelle éclairait la pièce où il se trouvait. Un silence inhabituel régnait dans l’édifice.

― Il y a eut un appel du Roi Öktol durant votre absence, bredouilla Eulalie en lui passant maladroitement une main sur la joue. Un mage Gardien de la Flamme est venu rappeler au souverain tout les chevaliers et hommes d’armes disponibles. Tous les convives ont plié baguages avec leurs suites. Le Gardien à décider d’attendre les Barons et derniers combattant en lieu et place de courir la lande à leur recherche.

― Et ils viennent de s’apercevoir de ma disparition, conclu Alaric qui sentait la nausée le gagné à mesure qu’il essayait de se relever.

― S’il vient à savoir que je vous ai empoisonné, se désola Eulalie dont les vêtements s’étaient froissés au cours de sa veille. La position de mon père ou la clémence que me porte les Barons ne pourront rien pour moi. J’ai attenté à votre vie, c’est la corde qui m’attend…

Sa voix se brisa sur ses dernières paroles. Les membres encore engourdit, l’écuyer prit sur lui de se redresser un peu plus, cherchant son souffle avec difficulté. Il devait absolument trouver une autre version à ce qu’il s’était produit. La jeune fille avait raison, la différence entre leur range la rendrait irrémédiablement coupable. Elle serait jugée pour avoir risqué impunément la vie d’un chevalier du Comte.

Au dehors, il pouvait entendre son père, Ayleri, les fils d’Herlëv et son parrain beuglé des ordres pour le retrouver. Il était accompagné d’un mage et auraient vite fait de le retrouver. Le jeune homme devait trouver une solution et vite. Une solution qui préserverait l’honneur de sa belle.

― Dites m’avoir amené ici en découvrant ma blessure. Nous plaiderons l’inconscience spontanée et si le mage Gardien se dévoue à me soigner, je le supplierai de conserver notre secret. Il est serviteur d’Ogdal et saura lire la vérité dans mon esprit.

― Un serviteur dit l’avoir vu descendre dans les souterrains il y a plusieurs heures déjà !

Répercutée en écho par le vide du couloir, la voix d’Ayleri résonna avant qu’Alaric ne puisse prendre le visage ravagé d’inquiétude d’Eulalie entre ses mains. Agenouillé sur la couche, il se concentra sur ses traits brouillés par le lait qui lui paralysait encore les sens. Lui prenant la main d’un geste gourd, il lui embrassa les phalanges avec empressement.

― Je ne laisserai personne vous faire du mal Eulalie.

― Alaric ! appela impérieux le timbre grave de son père. Alaric, mon fils te trouves-tu là ? Alaric !

Prostrée sur l’étroit matelas, la fille du bourreau se retourna tremblante sur la porte de bois lorsqu’elle celle-ci fut enfoncée d’un coup de pied. La masse imposante de Korïn apparut dans l’encadrement, sa mine belliqueuse se fondant d’un sourire salace en découvrant la scène.

― Eh bien mon pourceau, railla le fils du Baron. Et nous qui nous inquiétions de ton sort ! Il est ici mes Seigneurs ! En bien galante compagnie ! Bien que personnellement, les attraits de cette petite ne soient pas suffisant pour me faire risquer mon âme.

La dernière phrase avait été prononcée sur le ton de la confidence. Une inflexion graveleuse accompagnée d’une évaluation peu flatteuse des courbes d’Eulalie ponctuant ses paroles. Les épaules de ma malheureuse s’affaissèrent, ses yeux se baissant autant par gène que par habitude. Manquant de percuter son ainé, Ayleri resta interdit dans l’ouverture béante de la pièce, bien vite rejoint par les Barons d’Aprelön et Herlëv.

Une main sur sa gorge, Alaric s’en remit à la Flamme.

🧶

Confuse, Eulalie évita de regarder les Seigneurs qui se présentaient à la porte. Les rires gras et évocateurs des fils d’Herlëv suffisait à son humiliation. Paupières clauses, elle avala avec difficulté le peu de salive qu’il lui restait. Sans était fait de son honneur, des projets de mariage que nourrissait pour elle son père et ses frères. Avant le prochain cycle, le Comté entier serait au fait de la position déshonorante dans laquelle elle avait été trouvée.

Quoi qu’elle dise, elle ne pourrait prouver son innocence.

À moins s’accepter l’infamie de la vérification d’une matrone. Cette idée la terrassa. Entourant ses genoux de ses bras, la jeune fille se fit le plus discrète possible.

En voyant Alaric s’effondrer face à elle, Eulalie avait paniqué. Couchant l’homme qu’elle aimait sur son lit, elle l’avait veillé la lunée durant. Hydratant ses lèvres avec régularité, et vérifiant sa température, elle avait fini par s’assoupir à ses côtés. De lui-même, son corps s’était moulé à celui du futur chevalier, bouleversant quelque chose en elle. En s’éveillant, une pulsion incontrôlée l’avait menée à jouer avec ses boucles noires. Une boule dans son bas ventre s’était faite ardente et la poussant plus près de lui.

― Moi qui craignait pour ta vie, mon fils, commenta le Baron d’Aprelön vêtu de ses plus beaux atours. Je constate que mes avertissements sur la rudesse des compagnies qui t’attendent ont eut sur toi plus d’effets qu’escompter. Ma foi, il est vrai que la mignonne est tentante. Encore plus que ne l’était sa défunte mère.

― Il s’agit de la fille d’Ubrök, le bourreau, cracha le Baron d’Herlëv. Allons mon filleul, m’aurais-tu parler de tes préférences, je t’aurais trouvé bien mieux que cette petite impure.

Le matelas bougea sous Eulalie, la forçant à ouvrir les yeux.

― Ce n’est pas ce que vous croyez, bafouilla l’écuyer qui venait de se séparer d’elle, la langue pâteuse.

Dans un mouvement mal assuré, Alaric voulu se relever, s’empêtrant les jambes dans les pieds de la chaise se trouvant à côté du lit. Tendant les mains devant lui, il chuta lourdement sur le sol. Ses bras lâchèrent sous le poids de son corps, et son menton cogna sur le sol. Les points qu’elle lui avait fait dans la matinée sautèrent et la blessure qu’il avait à la pommette se réouvrit. Cette vision rappela à Eulalie la trop grande proximité qu’il y avait eu entre eux.

Mue tant par sa culpabilité, que par le besoin oppressant de le toucher, elle jeta sauta à son tour du matelas et s’agenouilla prestement à ses côtés pour examiner la plaie. Le cœur au bord de lèvres, elle sentit l’odeur puissante de sa sueur l’envelopper et se perdit dans les grands yeux bleu impuissant qui la fixaient avec horreur.

Plus personne ne croirait à leur innocence à présent.

Attrapant des deux mains le visage de l’écuyer Eulalie lui releva pour mieux l’examiner. Une entaille réouverte était toujours plus délicate à refermer qu’une première blessure. Le liquide chaud et un épais ruissela sur les paumes et les poignets de la jeune fille, tachant sa robe. Il lui était impossible de voir l’entaille, aussi souleva-t-elle l’ourlet de sa robe pour l’éponger. La mâchoire serrée, Alaric siffla entre ses dents.

― Mademoiselle la bourelle ! tonna son père en la saisissant par les épaules. Veuillez remettre vos jupes et lâcher immédiatement mon filleul. Votre présence ici n’était que tolérée !

― Ô je vous en prie, Père, laissez la donc faire, minauda Korïn.

La peau d’Alaric s’échauffa sous ses doigts. Relevant sur lui ses prunelles qu’elle avait baissées elle vit en lui un embarra dont elle n’aurait jamais cru qu’un homme pouvait souffrir. Pas après la bravade dont il avait fait preuve le soir où elle l’avait trouvé dans les bras d’Oral. La vérité lui apparut aussi vive et cuisante qu’une gifle : ils étaient en public. Il était à son tout souillé de sa présence.

― Lâchez Mademoiselle, se mêla le Baron d’Aprelön, c’est un écuyer qui sera bientôt adoubé, pas un enfant qu’on materne. Avoir des cicatrices est le lot des chevaliers.

D’un mouvement brutale, Körin la prit par le coude et la remit sur pied avec l’aide d’Augun. Ayleri, un bras autour de la taille de son ami l’aida à se dépêtrer et lui présenta un morceau de touille imbibé d’eau. Une expression à présent sévère sur ses traits, Alaric se racla la gorge en passant en revue l’état des manches de la jeune femme.

Cette distance qu’il mit entre eux la terrassa.

― Vous devriez mettre votre robe à tremper immédiatement dans l’eau froide. Le sang ne s’effacera pas, si vous le laisser sécher.

Eulalie ne savait plus où se mettre. Le tissu de sa robe, détrempée de liquide tiède, collait à sa peau. D’un coup dégrisé des effets du lait de pavot, Alaric avait adopté un certain recul qui se ressentait jusqu’à son langage corporel. Les épaules arquées vers l’arrière, il paraissait vouloir mettre le plus de distance entre eux. Alors qu’ils se trouvaient coincé dans l’espace réduit entre la table et sa famille qui les entourait.

Il n’y avait plus rien de ce qu’ils avaient partagés. Rien qui pouvait lui laisser croire qu’elle n’avait pas imaginé l’intimité qui les avait unis une fois les portes closes. Devant son père et son parrain, face au monde, Alaric la traitait avec la même retenue pompeuse qu’il devait appliquer à chaque de ses interactions avec une jeune fille. Pour la préservé, pour qu’elle conserve son honneur.

En un instant, leur complicité s’en était allée.

Malheureusement les chevaliers ne seraient pas dupes.

― Veuillez me pardonnez, écuyer d’Aprelön.

Baissant les épaules, elle le regarda à peine par-dessus ses cils. Son attitude déplu à Alaric qui se mordit le bord de la lèvre, certainement pour éviter de la reprendre sur sa soumission.

Augun s’approcha d’elle. Refermant fermement son pouce et son index sur la mâchoire de Eulalie, l’héritier de la Baronnie lui tourna la tête vers lui. La pression de ses doigts la blessant. Demain, elle porterait les marques de sa colère. Soudain, elle craint pour son intégrité.

― Pour qui te prends-tu bourrelle pour ainsi toucher le fils d’un Baron ! Aurais-tu oublié ta place ? Tu n’es rien qu’une impure.

La poigne d’Augun s’enfonça un peu plus dans ses joues, irradiant une douleur dans ses os malmenés. Le visage fermé, Alaric attendait stoïque sa pomme d’Adam jouant dans sa gorge. Une main appuyée contre sa blessure, la touille clair se gorgeait de sang, diluant sa couleur pourpre en une teinte plus claire.

― Votre père sera bien embarrasser de vos manières ! gronda le Baron d’Herlëv en la toisant l’air mauvais.

Humiliée, la jeune femme sentit le bord de ses cils se bordé de larmes. Toute sa vie, on lui avait appris à garder sa place à rester discrète et se faire oublier. Elle avait enduré les railleries à laquelle sa classe social invitait, les humiliations d’une inventivité et d’un rabaissement d’une rare cruauté. La violence physique, en revanche, n’avait jamais été utilisée sur elle. Elle était la fille du bourreau, personne ne la touchait.

― Allons père, soyons charitable, plaida soudain Ayleri d’Herlëv. Cette enfant n’a fait que porter secours à Alaric. Nul doute qu’elle ne pensait pas à mal.

― Oh, certes, notre petit jouvenceau n’a pas dû avoir grande mal, ironisa Korïn en caressant sa barbe grasse. Mes avis que ce soit bien le contraire qui l’a animé pendant que nous courrions le cerf !

― Nous ne pouvons permettre cela, invectiva Gathrùn. Pas au sein même de notre maisonnée ! Si cela se savait, tous se rirais de nous.

Une pierre tomba lourdement dans les entrailles de Eulalie, les faisant chavirés. Les insinuations dégradantes lui firent tournés la tête, et elle vit les joues d’Alaric se coloré sous la colère. Avoir fait d’elle sa maîtresse ferait de lui la risée de l’Ost.

― Par respect pour ton père, je t’ai permis de rester dans cette maison. Il va en être tout autrement à présent !

Le Baron claqua des doigts et l’expression d’Alaric se fit inquiet. D’un haussement de sourcil, il sembla en appeler à son père, qui, en retrait derrière Eulalie ne disait mot. Le temps de trois grains de sable, elle espéra que l’écuyer lui viendrait en aide.

― Augun, rappel sa place à cette péronnelle.

La douleur de la prise de l’héritier d’Herlëv disparu une fraction de seconde, bien vite remplacée par la brûlure d’une gifle qui la secoua jusque dans ses os. Maintenue par le Baron, Eulalie en accusa le coup sans s’effondrer et une larme traitresse roula sur sa joue.

― Il est peut-être temps de te faire connaître la justice que les tiens appliqués, jeune fille, lui susurra son Père à l’oreille.

Sa mâchoire lui faisait mal, vraiment mal. Elle pouvait sentir dans sa chair chaque parcelle qu’Augun avait meurtrie. Une ombre de tristesse dans ses yeux vers Aylery d’Herlëv la toisa avec dépit. Il était le plus doux de la fratrie, le plus compréhensif, celui qui vouait sa vie aux Saints et à Ogdal. Poings serrés, Alaric assistait impuissant à la scène, inquiétude grandissante dans le regard. Il ne pouvait se retourner contre son Seigneur. Körin, lui, jubilait.

Une grande partie des instruments de son père se trouvaient dans la pièce. Mal utilisé, chacun d’eux pouvait engendrer de grandes mutilations, ou infections. Cela en était fait d’elle.

― Elle n’a fait que me venir en aide, mon parrain, s’empressa de rappeler l’écuyer en avançant d’un pas chancelant. Je crains de m’être trop aviné sur le chemin du retour et…

Il ôta la touille de sa plaie, dévoilant son aspect irrégulier. L’entaille avait cesser de signer, de là où elle se trouvait, Eulalie pouvait voir qu’elle n’était pas très profonde. Mais aurait nécessité de refermer les points de suture, afin de ne pas endommager son visage.

― Oui, on se doute bien qu’elle s’est occupée de toi, ronfla Korïn les yeux porcins. Là est bien le problème jeune freluquet.

― Allons, cessons ses manières, s’écria d’une voix portante le Baron d’Aprelön dans le dos d’Eulalie. Nous pouvons régler tout ceci en famille, après tout, n’ai-je prévu d’offrir l’une de mes dernières nées à l’un de tes fils Glùndrùn. Si mon fils souhaite les charmes de cette petite avant son départ, je consens volontiers à les lui offrir !

― Permettre à Alaric de faire mésalliance avec la fille d’Ubrök ? glapit le Baron d’Herlvëv rougeaud.

― Qui d’autres le saura hormis nous ? argua le père d’Alaric sous la mine atterrée de ce dernier. Ce n’est pas cette jouvencelle qui se venteras auprès de son père, ses frères ou le Comte de s’être dévoyée. Körin ! Prend donc les affaires de la mignonne et mets les dans les appartements de mon fils. Le Gardien m’a dit qu’Ubrök était déjà en route pour Nuzeo, nous partirons d’ici deux lunées, pour lui rendre sa fille. En attendant, que mon Alaric profite de ses largesses avant son départ pour le Benyir et le combat contre les infidèles.

Le cœur de Eulalie se fissura. Alors c’était ainsi qu’elle perdrait son innocence ?  Non pas dans les obligations d’une nuit de noce, mais en tant que putain ? Non. Non ! Elle ne lui appartiendrait pas. Pas à lui, comme cela ! Il ne pourrait pas ! Alaric était trop…

Défait, le jeune homme la contempla avec une compassion empreinte d’impuissance. Aucune trace d’étonnement ne se dépeignait sur ses traits. Il s’avait. Les mœurs des Seigneurs n’étaient un secret pour personne. Souvent, ses frères lui avaient enjoint de se méfiez des hommes. En s’allongeant à ses côtés, qu’avait-elle pu lui faire miroiter sans le vouloir. Voilà pourquoi il avait été si affligé de retenir ses pulsions à son égard : pourquoi volé ce qui était offert de bon cœur.

Elle se souvent de ses paroles * J’aurais tellement aimé que ce soit vous. Pouvoir sans honte, ni vergogne posséder vos lèvres autant que votre cœur. * Il avait l’autorisation de son père, la bénédiction de son Seigneur. Rien de prévalait hormis l’union consacrée par Ogdal. Un bien qu’elle n’obtiendrait jamais. * Une fois seulement, j’aurais souhaité vous posséder. *

Elle était perdue. À présent que sa situation était annoncée, que l’arrangement était officiel, bien que ses consommations restent officieuses, l’écuyer ne risquait plus rien. Nul courroux ou représailles. Aucune obligation de mariage. Pire encore, si leur échanges intimes venaient à être connu en pleine lunée, la faute lui en incomberait à elle.

Le Comte ne prendrait jamais partit contre ses vaisseaux. Pas pour un bourreau ou sa fille.

― Sers toi, mon garçon elle t’appartient !

Trahie par l’homme qu’elle aimait, elle ne put que se laisser trainer par Korïn dans les étages. Son regard fixé sur Alaric qui lui présentait ce qui lui parut être des excuses muettes. Impuissante, elle regarda Körin, Gathrùn et Augun porter ses affaire dans les appartements du jeune homme. Ses maigres possessions furent placées à côté du grand coffre d’Alaric, un recueil des préceptes d’Ogdal usé d’être lue chaque soir était posée sur sa table de nuit. Plusieurs savons et une poudre à barbe assortit d’un coutela ornaient une petite table.

Sous les ordres du Baron, Agnia assista à la scène en remplissant la baignoire d’eau chaude aux huiles odoriférantes. L’esprit embrouiller, la servante l’aida à se déshabiller derrière la petite tenture, n’osant comprendre ce qu’il se passait. Elle aida Eulalie à entrer dans la cuve, et se pencha aux plus prêt de son oreille afin de ne pas être entendue.

― Y-a-t-il eu une cérémonie à la chapelle ?

Si seulement. Au moins aurait-elle obtenu une issue honorable à sa bêtise qui l’avait menées à se morfondre pour l’écuyer qui s’apprêtait à la rejoindre. Non, Alaric valait bien mieux qu’elle. Il deviendrait chevalier, et n’aurait pas à embrasser la fonction de bourreau. Les Barons avaient raisons, jamais elle ne pourrait avouer à son père ou ses frères ce qu’il allait advenir cette nuit et celles qui suivraient.

Son silence parla pour elle.

― Par Ogdal ! souffla Agnia en lui déposant un baisé sur le front. Je… Jög, le chef des palefrenier est un veille ami, un fervent défenseur de la foi, laisser moi lui parler de tout ceci…

Eulalie voulu protester. Non, sa honte ne sortirait pas d’ici. Pas tout de suite du moins. Pour peu que son… futur amant reste discret, elle espérait que jamais la populace ne le sache.

― Non, écoutez-moi Damoiselle, je vous en prie. Nous pouvons vous préparer un cheval, des provisions et quelques habits. En filant dans la nuit, personne ne pourra nous accusez, mais vous aurez gagné un temps précieux. Vous avez des compétences recherchées… En passant le détroit d’Iyön, vous pourrez trouvez d’autre personne de votre profession, vous marier, avoir une autre vie.

S’enfuir ? Incrédule, Eulalie releva ses yeux brouillé de larmes sur la servante et fixa son visage compatissant. La ridée main d’Agnia se referma sur la sienne. Partir. Loin de ses frères, de son père… Pourrait-elle faire cela pour leur éviter la honte ? Il n’existait aucun portrait d’elle. Pas encore. Perdue au milieu de centaines de serfs, vilains et autres travailleurs, personne ne saurait la reconnaitre. Oui, c’était solution. Seulement… Tous ceux de sa profession se connaissait entre eux. Un mari finirait-il pas par lui demander son ascendance ?

Pouvait-elle abandonner Alaric ? Repousser l’amour chaste qu’elle éprouvait pour lui ? Oui, s’il la salissait cette nuit, elle en serait capable.

― Bien sûre, Eulalie, pour cela, vous devrez attendre que l’écuyer D’Aprelön soit endormit et vous faire discrète.

Attendre qu’il s’endorme… cela signifiait que… prise d’un vertige, la jeune femme porta sa main à bouche pour étouffer un sanglot. Une heptalune auparavant, il l’avait presque prise. La lunée entière, elle l’avait passée, lovée contre son corps à s’inquiéter pour lui. À cet instant, la simple idée qu’il allait la toucher la révulsait, alors même qu’elle se mourrait de sentir encore une fois ses mains parcourir son corps.

― N’ayez pas de crainte, la rassura la voix chevrotante d’Agnia. Les hommes se ventent, seulement, nous, les femmes, savons qu’une fois l’affaire faite… ils s’écroulent aussitôt sur l’oreiller. S’il n’a pas toucher de femmes depuis son arrivés, cela ira vite.

Ainsi avait-elle au moins une chance dans son malheur.

― J’y perdrais mon honneur.

― Il est déjà perdu, se désola la servante en lui frottant le dos.

Les gonds grincèrent et dans l’interstice entre le tissu et le mur, Eulalie aperçut la silhouette d’Alaric pénétré dans la chambre. Sur le seuil, Körin beugla le nom d’Agnia qui s’excusa promptement avant de le rejoindre. Le battant refermé, les relents animaux de la chasse et de sueur d’homme qu’elle avait apprécié au matin la prirent à la gorge.

― Je suis navré de devoir vous imposer une telle infection, s’excusa fermement l’écuyer sans oser ouvrir le rideau. J’ignore si l’eau est encore chaude, et à vrai dire, je m’en moque, tant que vous me permettez de m’y glisser une fois que vous aurez fini.

Sa supplique la fit se ramasser dans la baignoire. Il allait la rejoindre. Faire preuve d’une telle pudeur et d’un semblant prévenance, en sachant ce qu’il prévoyait de lui faire, juste après la fit renifler de chagrin. Il avait toujours été propre sur lui, un aspect qu’elle appréciait. En cela, il lui rappelait ses frères et son père, qui comprenait le plaisir qu’avait une femme à se trouver prêt d’un homme à l’allure soignée.

Si elle devait tout perdre ce soir, elle le ferait en sorte d’au moins en conserver un part d’honneur. Un feu s’éveilla dans le creux de son ventre, un espoir étouffer. Cet homme était le même que celui qui avait juré gagné sa vert sur les champs de batailles. Qu’il brillerait au nom de la foi d’Ogdal et une fois hissé dans les plus hautes sphères, convaincrait les Moines Saints de leur accorder une union.

― Vous ne souhaitez pas m’y rejoindre ? Je croyais que vous auriez hâte de faire votre officie.

― Ne jouez pas à cela Eulalie, l’averti Alaric dans un soupir malheureux. Pas avec moi. Je vous ai juré être un homme honnête et privilégié la droiture, je le ferais.

Il y avait quelque chose dans sa voix… une sorte de tristesse qui poussa Eulalie à sortir de la baignoire dans un clapotis d’eau et une vague de parfum à la rose. Se drapant du tissu que lui avait laisser Agnia, elle approcha de rideau auquel l’écuyer, au plus près de la cheminée, lui tournait ostensiblement le dos. La pestilence qu’il dégageait lui souleva le cœur. Le lait de pavot avec accentué la production de ses fluides durant son évanouissement, rendant sa peau poisseuse.

La chaleur du foyer irradiait, elle dû faire appel à tout son courage pour refréner sa pudeur et tira la séparation en tissu. Tant pour se donner la place de contourner le jeune homme, que pour s’éloigner de son odeur corporel, elle se glissa sans l’interstice.

Quitte à ce qu’il la prenne cette nuit, autant qu’elle décide elle-même de lui montrer les courbes généreuses auquel collait le drap qui se faisait plus transparent à chaque pas. À son grand étonnement, Alaric, au lieu de la lorgner sans vergogne, se détourna pour se retrouver face à la baignoire.

― Aujourd’hui, vous avez la permission de votre père et de votre Seigneur pour…

― Et je n’en ai cure, avoua-t-il penaud. Ceux-ci me contrarient autant que vous. Croyez-moi, ce n’est pas cela que je souhaite pour notre avenir. Vous méritez bien mieux que d’être traitée aussi durement.

De la détresse, comprit Eulalie. Voilà ce qui teintait la voix de l’écuyer, un dénuement qui la rendait plus nerveuse que la perspective de ce qui allait arriver. S’approchant un peu plus des flammes, elle desserra sa prise sur le tissu humide pour se réchauffer. Presque hypnotiser par la vapeur qui s’échappait encore de la cuve, Alaric ne prêta aucune attention à ses épaules qui se dénudèrent.

― Ne me désirez-vous pas ?

― Nier avoir envie de vous posséder, Eulalie, serait une insulte. Toutefois, ce soir, c’est dans ce bain que je rêve de me plonger. Autant pour laver mes offenses que pour être certain de ne plus vous incommoder.

Une boule se resserra dans la gorge de la jeune fille. Comment avait-elle pu croire qu’il perdrait le respect qu’il lui portait.

À moins que…

N’y tenant plus, le jeune homme avança de trois pas et tira sur lui le rideau, les ombres vacillantes crées par les bougies, firent deviner à la Eulalie rougissante les formes de son corps alors qu’il retirait sa tunique. Se délestant de ses braies, il pénétra dans la baignoire avec un soupire d’aise qui éveilla une langue de feu en elle.

― Et une fois que vous aurez fini ?

Prenant un morceau de toile au fond de la cuve, Alaric attrapa un pain de savon et se mit à se frictionner avec force. Les relents animaux se confondant à présent avec celui odorant de musc. Entassés sur le sol, les vêtements de l’écuyer, eux, ne cesserait d’empester.

― Je vous demanderais de sortir un drap de mon coffre, ainsi qu’une tunique propre et une fois présentable, je déplacerais cette puanteur dans le couloir, là où les domestiques pourrons la trouver.

Le faisait-il exprès ? Oui, sans nul doute.

― Vous savez de quoi je parle, le reprit-elle enrouée d’appréhension.

― Je me ferais une couche sur le sol et m’assurerai que vous conserviez votre vertu. Ayleri m’a assuré veillez à ce que ses frères soient repus et vous laisse tranquille. Après-demain, nous nous mettrons en route et je vous ramènerais à votre père aussi pure que la lunée de notre rencontre. Quoi que bien moins innocente.

Le tissu qui la couvrait s’écrasa sur le sol dans un bruit de succion. Il ne la toucherait pas. Alaric resterait un homme d’honneur et lui permettrait d’aspirer à une vie respectable. Son cœur chavira une fois encore pour le jeune homme, une part de son âme s’alanguissant de ne pouvoir le récompenser pour sa retenue. Peut-être, avec toutes la pudeur qu’il lui restait, pourrait-elle avoir le courage de lui offrir un chaste baisé.

― Ensuite, il me faudra vous faire mes adieux.

🗡️

Muette, la jeune femme ne bougea pas d’un pouce, sa respiration lente et régulière indiquant que le trouble l’avait quitté pour être remplacer par de meilleur sentiments. Alaric préférait cela. La voir dans la tourmente, voir son visage marqué de la main d’Augun et ses prunelles impuissantes le juger avec mépris l’avait blessé plus profondément qu’une lance n’aurait pu le faire.

Constater la façon dont ses possessions avaient été mêlées aux siennes l’avait rempli d’amertume. En particulier alors qu’il l’avait trouvée dans un bain. Une chemise de nuit brodée attendait sur le lit, ébauche d’un simulacre de consommation des noces. Rien de tout cela n’était sous le saut du sacré. Pas de mariage, de chapelle ou de vœux, uniquement une enfant apeurée.

Il la voulait. Mais pas comme cela. S’il devait s’unir à elle, s’était en gagnant son respect et son affection. Il ne préférait pas parler d’amour. Lui-même ignorait ce que cela signifiait réellement. L’acceptation, son égard et sa permission de la faire sienne lui suffirait. Pour cela, il lui faudrait gagner la communion. Faire en sorte qu’elle rejoigne les rangs des fidèles d’Ogdal, afin d’être accueillie dans les rends des serviteurs des Saints.

― Pourquoi ? murmura-t-elle. Vous me désirez, je l’ai senti à votre main sur mon genou, vos… ardeurs lorsque vous m’avez suivie jusqu’aux écuries et que… Je suis à vous. Alors pourquoi faire cela.

Oui, cela devait lui paraitre insensé.

― Parce que mon plus grand souhait est de vous avoir pour épouse, Eulalie. Ou, si je ne peux avoir cela, une concubine qui serait heureuse de me voir rentrer chaque soir. Prendre l’un des actes les plus sacrés qu’Ogdal nous ait donné, dans la douleur, ne m’intéresse pas.

Immobile, elle cilla à l’écoute de son discourt, mais ne rétorqua rien. Elle ne souhaitait pas être sa femme, pas plus que partager son lit. La fille du bourreau était de ses enfants sages qui acceptaient sans scier leur sort. Sans doute devait-elle d’ailleurs déjà connaître le nom de l’homme à qui elle serait promise. Les exécuteurs ne se mélangeaient pas. Il espérait qu’en se montrant prévenant, qu’en se battant pour leur avenir, cela pourrait une lunée changer. Et que la nuit, les prières de la jeune femme, si elle en faisait, irait vers lui.

L’eau avait refroidit et ses vêtements l’incommodait. Pourtant, il ne pouvait pas sortir de la baignoire, pas tout de suite. Pas alors qu’elle se trouvait nue de l’autre côté du rideau et qu’il n’avait rien pour se couvrir. Avec la lumière des chandelle, rien n’échapperait à la vue de Eulalie, tout comme lui, à la lueur des flammes pouvaient deviner ce qui aurait dû rester cacher à la vue d’un homme.

― Pouvez-vous me donner un drap et vous couvrir ?

La demande la fit sursauter et, resserrant autour d’elle ses bras. Eulalie partit chercher dans son coffre une fine cape. Il lut l’hésitation dans ses mouvements, quand elle déverrouilla celui du jeune homme et en découvrit le contenu.

― Fouiller sans vergogne, l’invita-il en se rinçant une dernière fois. J’ai conscience que vous ne me déroberiez rien et ne profiterez pas de cette intrusion dans une part de mon intimité.

Aucune remarque ne se retourna contre lui. Elle était bien trop timide pour cela. Précautionneuse, Eulalie extirpa plusieurs tissus pour en faire un tas, puis revient vers le rideau pour passer une main. Elle lui présenta tant linge pour se sécher qu’une tunique et une paire de braie propre.

― Si vous êtes aussi honnête que vous le prétendez, susurra-t-elle alors qu’il quittait la cuve, il serait injuste que vous dormiez sur le sol.

Le visage détourné, elle regardait la cheminée, évitant soigneusement de poser ses yeux sur lui ou sur la couche qu’elle venait de l’inviter à partager. Cachant d’une main ses parties viriles, il s’empara de ce qu’elle lui tendait d’une main, prenant son poignet de l’autre. Un hoquet de surprise, sans crainte aucune, lui parvint.

― Venez-vous de me proposer votre lit ?

― Uniquement si vous me promettez d’être le chevalier que vous soutenez vouloir devenir. Votre… épée entre nous serait un gage de bonne foi qui me serait agréable.

Son cœur manqua un battement. Se rendait-elle seulement compte de ses sous-entendus ? Non, elle était bien trop innocente pour cela. Il fallait qu’il change de sujet, immédiatement. Qu’il trouve un moyen de lui faire relever ses grands yeux clairs et timorés. La voir s’astreindre à la soumission lui serrait le cœur.

― Mon épée entre nous serait surtout le certitude que l’un de nous doivent soignez l’autre au cœur de la nuit. Une muraille de coussins odorants seraient préférable à cette dangereuse coutume.

Elle rit, et le monde d’Alaric retrouva des couleurs.

― Je me contenterais pour ce soir de recoudre pour la seconde fois votre joue, alors.

°°°

Allongé entre ses draps, dans le noir, Alaric ressassait l’incident qui s’était produit durant la lunée. Sa pommette le faisait souffrir. Ëtre recousu deux fois de suite n’était pas une partie de plaisir. Pas bonheur, Eulalie maniait très bien le fil et lui avait prodigué les soins adéquats. Son visage ne serait donc pas abimé. En l’accompagnant à ses appartement, Ayleri s’était désolé de ce qui arrivait à son ami et la demoiselle de son cœur.

Fin observateur, l’écuyer d’Herlëv avait deviné ce qu’il se cachait derrière la proximité d’Alaric et le fille du bourreau. Les aveux qu’il lui avait fait la veille l’avait mené sur la bonne voie.

L’âme lourde, il avait observé Eulalie faire ses prières avant de se coucher. Agenouillé de l’autre côté du lit, il avait fait de même, sans pouvoir fermé les yeux. Mains jointes, il avait supplié Ogdal de ne pas le soumettre à la tentation que représentait la jeune femme. Évitant soigneusement de détailler les courbes de sa belle, il s’était astreint à détourner ses pensées de la chair. En vain.

Le souffle régulier de la fille du bourreau hantait ses songes, l’empêchant de clore les paupières. Quelque minutes, lui tournant ostensiblement le dos, elle avait sangloté dans son coussin. Ne pas la consoler lui avait été une torture. Rouler au bord du matelas, lui présentant son ignorance avait été l’un de ses actes les plus difficiles. Afin de ne pas accentuer son mal-être ─ et les coussins n’étant pas présents en nombre suffisant ─ Alaric s’était allongé par-dessus la couverture.

Brusquement, l’écuyer prit conscience que le silence avait remplacer la respiration calme et sereine d’Eulalie. Se redressant sur les coudes, il hésita en santant la coucher bouger sous les mouvements discrets de la jeune fille. Le grattement d’une flamme suivit. Un bougeoir à la main, couverte d’une fine chemise et d’une cape à peine plus chaude, Eulalie s’approcha des braises encore fumante de la cheminée pour se réchauffer. Déposant sa bougie sur un coffre, elle se frotta les mains, ses grands yeux perdu dans les restes rougeoyants. Le feu s’était éteint il y avait une bonne heure de cela et la chaleur s’en était allée.

Afin d’éviter de l’effrayer, de la faire se sentir prise au piège, il n’avait pas refermé les courtines du lit. Enroulé dans sa cape, il avait subi jusqu’alors les assauts mordants des courants d’air de la demeure. Conservant la maigre chaleur qu’il avait accumulée, pieds nus, il se leva pour traverser la pièce, uniquement vêtu d’une fine chemise. Sur sa peau, ses poils s’hérissèrent au contact de la fraicheur de la nuit. La lueur de la bougie souligna les courbes de celle qu’il aimait, rendant sa tenue indécente. Reculant d’un pas, l’écuyer ne savait plus que faire. Qu’Ogdal lui vienne en aide, comment pourrait-il rester un homme d’honneur avec cette enfant dans ses appartements ?

Si cela se savait une lunée, le bourreau lui demanderait réparation pour son honneur. Elle n’était pas encore à lui, pas officiellement. Il s’assurerait qu’une lunée, elle le soit. Il ne pouvait se résoudre à imaginer sa vie sans la tendresse, le lit et la position qu’apportait une femme. Le bonheur qu’il ressentirait à partager sa vie entière avec la tendre Damoiselle. Des baliverne, selon son père, aux yeux duquel, seul comptait la dépravation.

Eulalie aurait dû lui être innascible. Mais il avait un plan. Par rapport à ce que sa naissance avait prévu pour elle, se marier à un chevalier de second ordre serait une bénédiction.

Frigorifiée, son invité le fixa d’une œillade presque désespérée, les draps lui avait fait profiter jusqu’alors de température plus clémente. Ses yeux rougit indiquait que les larmes qu’elle avait versées n’étaient pas feintes, tout comme les marques séchées au coin de ses paupières. Un hématome violacé prenait la moitié de son visage et ne tarderait pas à se parer d’autre couleurs.

La voir ainsi réveillait en lui un besoin viscérale de protection.

― Voulez-vous que je rallume le feu ? s’entendit-il prononcer.

S’il faisait cela, la lueur, plus vive du foyer la nimberait de sa couleur orangée. Dévoilant un peu plus ce qu’il se cachait sous la trop fine chemise qui dansait sous les courants d’air. Décidément, ses réflexes chevaleresques ne manqueraient pas de le mettre dans l’embarra une fois encore. Les paupières basses, Eulalie semblait lire la dualité qui se jouait en lui.

― Vous ne voulez pas de moi dans votre lit, l’accusa-t-elle.

― Je ne vous veux pas ainsi, se défendit-il en la contournant respectueusement pour prendre une buche.

Enfin, si, il l’avait désiré, mais pas comme cela !

― Est-ce ma position qui vous rebute ? prononça-t-elle la voix étranglée. J’ai conscience que ma simple présence est synonyme de souillure. Seulement, vous ne m’aviez jamais laissé paraître… avant ce soir… lorsque vous m’avez tourné le dos…

Replaçant une mèche derrière son oreille, elle referma, au supplice, son petit poing sur un pan sa cape bleue. Attirant le regard d’Alaric sur la chemise de nuit où pointaient deux auréoles roses. Prit de remord en prenant conscience qu’il l’avait contemplée, le jeune homme détourna ses prunelles et se concentra sur sa tâche.

― Ne suis-je pas… Pardonnez-moi, écuyer D’Aprelön.

S’écartant pour lui laisser plus d’espace, elle avisa du lit et en écarta les courtines pour s’assoir sur le matelas. Estomaqué par ces paroles, le jeune homme s’empara du tisonnier pour raviver les braises. Une main sur son médaillon, il souffla un appel aux Saints. Sans le vouloir, elle se faisait tentation. Elle si timorée, choisissait bien mal de se montrer téméraire en cet instant. Ses frères et son père avait pourtant semblé la mettre en garde sur la nature de bien des hommes.

― Il ne s’agit que d’une question d’honneur, Eulalie. Et appelez-moi Alaric, car j’aime les inflexion que vous mettez dans mon prénom.

Rejetant en arrière ses cheveux dénoués, elle le toisa d’un air blessé. La marque foncée sur son visage rendant son expression plus sombre qu’elle ne l’était. Il y avait quelque chose dans son regard, une lueur acérée qui lui disait qu’elle prenait à cœur ce qu’il venait de dire.

― Vous avouez-vous-même que je ne suis pas digne de vous.

L’accusation l’estomaqua. Non, elle se m’éprenait ! Ce n’était pas cela ! Il n’avait cure de ce qu’on dirait de lui. C’était son statut à elle, ce qui lui arriverait si… s’ils… qui lui importait ? Il était peut-être temps de lui apprendre les réalités de sa conditions de femme. Le métier de son père ne la protègerait pas toujours.

― Parce que vous pensez que s’il me vient l’envie de vous déflorer, votre statut pourrait m’en empêcher ? Non, Eulalie, ce n’est pas votre condition qui est en cause. Comme vous avez pu l’entendre ce soir, certains ne s’en préoccuperont pas. C’est la raison pour laquelle vous dormez à mes côtés cette nuit. Car, pour beaucoup, une femme ne reste qu’un moyen d’accéder au plaisir.

― Et pourtant vous ne vous permettez pas même de me voler un baiser ou… vous pressez contre moi entre les draps, murmura pour elle-même la jeune fille.

Elle parut aussitôt regretter ses paroles. Levant le menton, elle le regarda de cette innocence candide qui le touchait, tandis qu’il ne savait que répondre. Déglutissant bruyamment, il se souvint de la chaleur de son corps moulé au sien. De son souffle sur sa nuque et ses doigts fins jouant dans ses cheveux. De la réaction de sa virilité à ses attentions…

― Je suis bon juge de caractère, se défendit-elle à mi-voix en rajustant son assise sur le matelas de laine. Vous ne me ferrez aucun mal… je… je le sais maintenant… vous-même m’avez juré que vous ne profiteriez pas des faveurs des servantes prêtées par cette maison, ni d’aucune autre.

Son audace fit lâcher à Alaric la buche qu’il tenait à la main. Venait-elle de le traiter de faible et de mettre en doute sa virilité ? N’avait-elle aucune idée de ses charmes et de la jouissance qu’elle pouvait représenter pour un homme tel que lui ? Un écuyer voué au célibat car le jeu du mariage se prévalait d’alliance et de fortune ? D’enlèvement, dans certains cas bien connu ! Un homme dans la fleur de l’âge à qui deux Seigneurs avaient donné l’autorisation de la prendre.

Que lui prenait-il ?

― Je… si vous voulez de moi, venez vous installer à mes côtés une fois ce feu rallumer. Avant votre départ, je consens à vous offrir une part de ce que tout homme désire… à la condition que jamais cela ne sorte de cette chambre.

Qu’Ogdal le pardonne, où les mènerait cette conversation ! Prit de nausée, Alaric imagina l’une de ses sœurs tenir de tels propos à un homme. La chute de sa famille et le mariage forcer de la damoiselle en serait la finalité. Le croyait-elle si pure ? Si innocent ? N’avait-elle compris en le surprenant avec Oral dans ses plus odieux retranchement, qu’il n’était qu’un homme fait de chair ?

Faisait-elle tout cela car il lui avait tourné le dos ?

― Vous rendez-vous seulement compte de votre invitation ? s’inquiéta-t-il en se relevant. Vous vous trouver dans ma chambre, sur mon lit, dans une tenue… que je ne saurais qualifier. Puis, tenez des propos qui me pousse à vous rejoindre sur les draps. Je ne suis pas un Saint, Eulalie. Aucun homme ne l’est.

― Allez-vous me faire du mal, Alaric ? Prendriez-vous plus que ce que je ne consentirais à vous donner ? le défia-t-elle le timbre tremblant.

Que la Sainte lumière le guide ! Si Eulalie se mettait, pas sa faute, à jouer au jeu des hommes, elle finirait par en pâtir. Il partirait bientôt pour le Benyir, combattre Higdrï. Qui savait pour combien de cycles, des révolutions ? À qui pourrait-elle se permettre de telles maladresses en son absence ? Il ne pouvait l’abandonner, en la laissant croire que la retenue d’un homme signifiait qu’il ne pouvait pas se montrer intransigeant.

Décider à lui donner une leçon s’en trop la rudoyer, il estima devoir lui faire peur. Surement le regretterait-il car cela nuirait à leur relation, à ses chances qu’elle l’attende, qu’elle souhaite une lunée être sienne. Seulement, il ne pouvait pas la laisser croire aussi naïvement qu’elle pouvait se jouer ainsi des hommes. Car, la prochaine fois, ce ne serait peut-être pas à lui qu’elle tiendrait de tels propos. Peut-être serait-ce à son promis ou à un jeune homme dont elle apprécierait la compagnie.

Cet homme-là, ne se retiendrait peut-être pas de la trousser.

Priant Ogdal de lui pardonner et de donner à Eulalie la bonté de comprendre son geste, Alaric rassembla ce qu’il y avait de plus sombre en lui. Carrant les épaules, les yeux obscurcissent par la détermination, il fondit sur elle. Écartant les courtines d’une seule main, il la fit basculer de l’autre en même temps qu’il lui emprisonnait les poignets.

Il entendit le glapissement de la jeune femme, piégée sous lui et vit brillant dans la lueur de flammes ses prunelles apeurées. Écartant les genoux, il se cala sur elle de façon à bloquer le bassin étroit de sa prisonnière entre ses cuisses. Entre ses jambes, la pauvre se mit à tenter de se débattre en se contorsionnant, en vain. Toute sa vie, Alaric avait été formé à l’art de la guerre et des batailles. Immobilisés une adversaire n’avait aucun secret pour lui. Enserrant un peu plus sa prise sur la peau délicate de Eulalie, il espéra ne pas y laisser de marque.

Le souffle court de la damoiselle s’arrêta dans un hoquet en sentant l’autre main du jeune homme se refermer sur sa taille. Le torse pressé sur sa poitrine, il savoura la douceur du tissage de la chemise blanche à présent offerte. Les idées quelques peu embrouillées, il s’arcbouta sur Eulalie dans l’espoir qu’elle cesse de gigoter. Il fallait à tout prix que les sensations que leurs corps frictionner l’un contre l’autre produisaient sur lui s’arrête. Mit au supplice, il déglutit bruyamment en se rappelant la volonté première de cet assaut qu’il devrait confesser à un Moine et dont il ne pourrait jamais se pardonner l’effet.

― À présent, comprenez-vous mieux les risques que je vous exposais, Eulalie, lui chuchota-t-il à l’oreille. Vous m’avez été offerte, que je désire conserver votre vertu ne signifie pas que je peux me contenir jusqu’à y arriver.

Une goutte humide coula de la joue contusionnée de la femme qu’il aimait contre la sienne et vint s’écraser sur sa bouche. Ses lèvres coutèrent la sensation chaude et la saveur salée de la preuve de la peur manifeste de la jeune femme. Une larme.

Par Ogdal, qu’avait-il fait ? Ses pectoraux, uniquement séparés par deux fines couches de tissus, des seins bombés en dessous de lui, captèrent les battements affolés du cœur de sa captive. Inspirant profondément, Alaric sentit les ardeurs qui s’étaient éveillées en lui à son contact, disparaitre aussi vite qu’elles étaient apparues.

― Vous ne voulez pas faire cela, Messire D’Aprelön.

Un doute perça la certitude que Eulalie aurait voulu mettre dans ses paroles. L’ombre d’un doute qui lui balafra l’âme.

― Je ne suis encore qu’Ecuyer, la reprit-il à bout de souffle alors qu’une part de lui combattait les images dégradantes qui lui venait.

― Vous avez dit me ramener à mon père aussi pure que la lunée de notre rencontre, argumenta-t-elle en caressant sa peau de son souffle aux accents de roses. Vous n’en avez pas envie, je le sais. Pas comme cela.

Si ! Ô si, il rêvait de s’emparer de sa peau, de plonger en elle et de la faire sienne, pour une nuit. Pour bien plus encore. C’était ce qui hantait ses songes et le forçait à se rendre à confesse. Cette idée lancinante qui le torturait et s’encrait chaque lunées un peu plus en lui. Surtout, à présent qu’il savait comment l’épouser. Elle lui avait été offerte.

L’espoir lui était permit de s’unir à elle pour la traiter en épouse, la chérir sans avoir à regretter de lui avoir fait perdre son honneur.

Il ignorait si ce fut de l’amour, le vrai. Mais il pouvait en sentir le désir. Une part animal en lui, la voulait tout de suite. Cette impulsion venue des Dieux Fourbes qui guidait les mains de ses compagnons quand il efforçait une malheureuse de passage. Une tentation venue de Voie Noire, qui lui soufflait qu’il ne risquerait nul déshonneur, que ses Seigneur le protégeraient.

― Vous ne connaissez pas les hommes.

― Assez bien que pour savoir que vous ne le voulez pas vraiment, sinon, cela serait déjà fait. Ceux qui se moque de leur acte, n’y réfléchissent pas. Vous souhaitez uniquement me faire peur, pour me donner une leçon.

Soulevant le torse, Alaric chercha les iris bleus noyés de larmes et y trouva une attraction qui chavira son cœur et sa détermination. Ses mèches brunes entourant son visage bien fait, les mains immobilisées au-dessus de sa tête, Eulalie brillait par sa beauté et sa soumission. Sa bouche, entrouverte dans un invite l’appelait au rythme où son corsage dénoué se soulevait.

°°°

Une douceur humide se répandait entre les cuisses maintenues fermées de la jeune femme, maintenant qu’Alaric au-dessus d’elle avait retrouvé une lueur d’humanité au fond de ses prunelles. L’odeur mâles qu’il dégageait par-dessous le parfum de son savon la rendait folle. Combien elle avait crainte d’être prise à humer ses habits lorsqu’elle les lavait. La bouche sèche, Eulalie se surprit à ressentir des choses inconvenantes pour l’écuyer. Des idées venues des Dieux Fourbes dont son père et ses frères s’outrageraient de la savoir instigatrice.

La main d’Alaric, posée sur sa taille la brulait plus surement que des braises, déclenchant en elle des envies que sa proximités et son souffle sur sa bouche accentuait, la mettant au supplice. Le cœur de la jeune fille rata un battement. Le sentir la toucher ainsi, elle l’espérait depuis des cycles. Chaque lunée, sa peau avait manqué sur la sienne. Une punition qu’elle s’était infligée au nom de l’honneur. S’abandonner ainsi à un homme n’était digne d’aucune femme bien élevée. Elle se conduisait en gourgandine. Elle salissait son nom, mais également celui de l’écuyer, en même temps que son âme.

Pour cela, elle se mortifiait. Que lui avait-il prit de chercher dans ses bravades à ce qu’il refermer sur elle sa grande paume calleuse.

Il ne lui voulait pas de mal, ne faisait que l’avertir des ennuis qui pouvaient l’attendre. Elle pouvait le sentir dans son âme, dans l’hésitation et la fébrilité qu’elle sentait à présent dans ses gestes. Les lèvres mordues à sang, il se contenait en la dévorant d’une expression qu’elle avait cru ne connaitre que trop bien. Or, elle découvrait qu’une faim comme en éprouve les hommes pouvait être teintée d’une tendresse et d’une hésitation qu’elle n’y avait jamais vue.

Ô, elle en avait vu, des vieux barbons avides de fraicheur négocier dans les ruelles sombres. Elle avait lu, et s’en était sentie salie, ce besoin des Moines enfermées dans le cloitres, quand elle accompagnait son père pour certaines besognes. Elle l’avait décelé chez de nombreux écuyers lorsqu’ils évaluaient lequel repartirait avec la plus jolie des servantes proposées par leur Seigneur.

Mais ce qu’elle lisait dans les yeux embrumés d’admiration d’Alaric, ce qu’elle avait deviné dès leur rencontre, ne lui avait jamais paru aussi respectueux et sage. Au cœur de la nuit, tandis qu’il lui avait tourné le dos, elle avait cru que toute leur chaste relation n’avait été qu’une illusion. Que ses promesses n’étaient que veines déclarations pour dissimuler sa pitié. Il partait pour le Benyir, aussi ne le rêverait-elle peut-être jamais. Savoir s’être refuser à lui, lui avoir repousser le moindre baisé aurait été un remord sur son âme.

Elle avait chéri sa retenue, jusqu’à douter de son bien-fondé. Lorsqu’il s’était éloigné d’elle, là ou tout autre homme aurait chercher la proximité. Quand il ne s’était pas permit ce qu’elle lui avait elle-même offert plusieurs heures plus tôt, elle s’était inquiétée de savoir son attirance sincère.

Là, prisonnière sous lui, toute son innocence s’envolait. Ne restait plus que la volupté de ses caresses. Alaric remonta sa main libre sur les marques faites par Augun et, tendrement, en traça les contours de la pulpe de ses doigts. Tournant la joue, elle prolongea son contact, se laissant bercer dans la douceur de son geste. Que son père lui pardonne ! Elle se comportait en vulgaire courtisanne.

Elle voulait tout de lui.

― Embrassez moi, Alaric, mais ne fait rien que votre conscience ne vous permettrait pas, l’invita-t-elle sans considérer les conséquences de ses paroles. Vous ne prendrez rien que l’on ne vous offre pas, alors je vous donne ceci.

Ondulant sous lui, elle réaffirma sa volonté, au moment où la bouche pulpeuse du jeune homme fondait sur la sienne. Réclamant d’avantage, il passa sa langue entre les dents de la damoiselle sans qu’elle ne s’y attende, approfondissant leur baiser. Prise d’une frénésie venue de la Voie Noire, elle se laissa emporter dans la danse qu’il leur imposa. Son corps ferme se frotta à celui fébrile de la jeune femme. Le goût suave du gingembre glissa sur sa langue. Voilà donc ce qu’Alaric avait consommé qui lui échauffait les sangs au point de manquer de lui faire commettre une folie.

Une chose dure frotta contra son nombril et leurs bouches se séparèrent instantanément. Relever sur ses avant-bras, l’écuyer là contempla hébéter avant de la relâcher.

― Je ne peux pas ! s’exclama-t-il en se relevant prestement. Qu’Ogdal pardonne cela. Eulalie, retournez entre les draps !

Embrumée dans ses passions, la fille du bourreau resta incrédule. Quel homme pouvait ainsi renoncer à une invite manifeste ?

― Alaric, je…

― Non, ne dites rien. C’est le chagrin et les ardeurs de la lune pleine qui vous éveille ainsi. Retournez entre les draps avant que nous ne commettions une folie.

Soudain, la précarité de sa position frappa Eulalie aussi surement que la foudre. Allongée sur le lit d’un homme, les courtines à moitié refermée, elle se présentait comme un cadeau, offert à un invité de marque. Ce qu’elle était. L’échange qu’il venait d’avoir, si elle se l’était représenter comme une chaste compensation à sa retenue, n’était rien d’autre que ce dont ses frères et son père ne cessait de la mettre en garde.

Elle avait mise en gage sa vertu !

Tout ce qu’elle avait manqué de jeter au feu, tout ce à quoi elle aspirait lui apparut. Vivre dans la droiture d’un union avec un homme qui la respecterait et ne la battrait pas. Un époux qui partagerait la profession de ses frères et de son père. Quelqu’un qui l’apprécierait pour se qu’elle était, pour ses compétences et non pour ses simple charmes. Un rêve pieu, chaque homme ne désirait qu’un lit réchauffé par une présence, un repas servit à son retour et des héritiers

Elle, se devait de rester chaste pour son futur époux.

Elle ne pourrait jamais prétendre à être cela pour Alaric. Malgré ses promesses. D’une ligné trop noble et riche pour être associée à celle de la jeune fille, il ne possédait pas le statut nécessaire à prétendre à elle. L’épouser le rétrograderait. Quoi qu’il rêve, quelle que soit ses ambitions, il n’obtiendrait pas sa communion. Chevalier puiné ils devait se contenter de ce que ses Seigneur voulaient bien lui accorder. Ou ce que les femmes aux mœurs légères offraient de bonne grâce en échange de quelques pièces.

Ce qu’elle avait failli commettre.

― Au nom de la miséricorde, pour le salut de mon âme, Eulalie, entrez sous ses draps, reprit le jeune homme au supplice.

Le cœur palpitant et l’esprit tourmenté, elle observait Alaric dos au mur de la fenêtre, sa respiration irrégulière trahissant son trouble. Un bras reposait lourdement sur ses yeux, tandis que dans sa main libre, sous son col relâché, il serrait fermement sa Flamme d’argent émaillée, symbole de sa foi et de sa chasteté. Il marmonnait des mots de prière, peut-être cherchant réconfort ou pardon. Une fine traînée de sang, s’échappant de sa blessure à la pommette, serpentait le long de son cou, telle une larme écarlate. Eulalie, submergée par un mélange de pitié et de répulsion envers elle-même, le regardait avec une profonde tristesse.

Elle ne pouvait s’empêcher de se sentir coupable d’avoir entraîné un homme aussi pieux et honorable dans un moment de faiblesse. Dans un élan impulsif et contraire à toute bienséance, elle l’avait poussé vers une violence et une passion dont il ne semblait ni avide ni désireux. Par son geste audacieux, elle avait éveillé en lui des désirs qu’il lui avait avoué ne pas vouloir assouvir sans honneur. Le poids de son geste imprudent pesait lourdement sur son âme pieuse et timorée, la laissant avec un sentiment d’angoisse face à l’impact de ses actions sur le cœur pur de l’écuyer.

― Je ne voulais pas cela, avoua-t-elle en se relevant pour s’emmitoufler maladroitement dans sa cape. J’ai à présent conscience de la position dans laquelle je vous ai mise et m’en excuse. Je croyais… je pensais pouvoir agir avec vous… Oh par les Saints, Alaric, pardonnez cet égarement. J’ai cru…

Avalant péniblement, Alaric parut prendre ses excuses comme une insulte. Le souffle court, il ne lui répondit pas.

― Vous êtes si pieux, et ce que l’on dit de votre famille est si… J’ai entendu que vous étiez proche de vos sœurs, que vous les respectiez… j’ai pensé que songeant à elles, à comment vous souhaiteriez qu’elles soient traitées vous…

― Oui, Eulalie, moi-même je m’en croyais capable. Ainsi vous ai-je fais en toute bonne foi des promesses. Il est vrai qu’Agrix et moi sommes si proche que nous passons de très nombreuses soirées seuls. Et que je ne voudrais pas qu’elle soit traitée de la façon dont je viens de… Mais ! Elle est ma sœur… ainsi, la finesse de sa robe de chambre m’importe peu.

Mise à mal par ce qui ressortait de cette confession, la jeune fille entrouvrit sa cape pour évaluer l’état dans lequel elle s’était présentée à lui. En prévision de ce qu’ils pensaient se passer, les Seigneurs lui avait fait monter une fine robe de chambre ne lui appartenant pas. Effrayée, elle aperçut que celle-ci permettait de deviner plus que l’arrondit généreux de ses seins. Refermant son bouclier de tissu, elle s’en enveloppa.

― Je ne m’étais pas imaginée…

― Qu’un homme vous regarderait comme une femme ? se moqua-t-il avec amertume.

Alors, elle n’était que cela. Son cœur se tordit dans sa poitrine. Elle s’était donc trompée dans ce qu’elle avait cru lire en lui.

― Que vos déclarations à mon égard étaient vraies.

Affligée de ses propres illusions, elle lui tourna le dos pour s’en retourner entre les draps. Écoutant le jeune homme s’affaler sur le sol, elle enfuit son visage dans l’oreiller. La gorge nouée, elle s’apprêtait à sangloter quand la voix rauque d’Alaric la surprit.

― Vous n’avez pas conscience de ce que vous représentez.

🔥

Agenouillé sur la terre glacée, Oglev paumes levées vers les étoiles, priait Ogdal de guider sa main et ses paroles. Parcourant le nord du Duché de Kireön, ses frères et lui répandaient au sein des Barronnies et Vicomtés la parole des Saints et l’appel du Roi Öktol. L’importance des Comtes et Ducs obligeaient les Chevaliers de la Couronne à gérer eux-mêmes la hautes Noblesses du Pacte.

D’après ce qu’avait entendu les Gardiens, les Couronnes enverraient chacune soixante des cent Chevaliers Rouges vivant au Palais, en plus des cinquante chargés de l’ordre dans les pays. Sur les six cents Chevaliers de la Couronne du Pacte, les deux tiers s’apprêtaient à risqués leur vies aux côtés de leur rois. Un sacrifice qui encourageait leurs bannerets à se soulever. Partout dans les provinces, les jeunes écuyers étaient adoubés afin de renforcer les rangs de la chevalerie.

Les Gardiens de la Flamme, eux, grâce à leur vision progressiste de la prêtrise, avaient su gagner le respect des Nobles, autant que des simples habitants. Là où ils passaient, nul viol ou pillage, bien du contraire. L’argent qu’ils distribuaient en aumônes faisaient dire à certains qu’ils étaient l’égal des Saints. Une comparaison hérétique que les glaçaient. Venu de tous les Pactes, des dizaines de jeunes garçons ou hommes, devenaient Postulant Gardien chaque heptalune.

Au dernier recensement, ils étaient des milliers à porter la Flamme bleue au sein du Pacte. À eux seuls, ils représentaient une grande partie de l’armée du roi. Excepté que les seuls dont ils étaient les vassaux, étaient Ogdal et les Saints. Pour le reste, nul loi ne les obligeaient à obéir à la Couronne. La Corporation s’en était affranchie, ce qui ne plaisait pas à tout le monde.

― La Commanderie de l’Exko n’est plus très loin, fit remarquer Caspiänn en le rejoignant après sa ronde. Veux-tu que nous montions ici un campement ou que nous rejoignons nos frères ?

Oglev passa une main sur sa joue et sa barbe mal rasée crissa, lui chatouillant la paume. Le choix était difficile.

― Bien que je désire autant que toi dormir dans une couche propre au milieu des ronflements de mes frères, je crains que ce détour nous éloigne trop de notre prochaine étape. Nous avons encore plusieurs Baron à visiter avant de rejoindre le détroit.

Un sourire débonnaire gonflant son visage ombré d’une barbe claire, Caspiänn lui adressa un clin d’œil. D’une main, il commença à défaire les attaches maintenant leur tente à la monture. Soucieux de faire sa part, Oglev augmenta l’intensité de sa sphère de lumière et créa un bouclier pour y réchauffer l’air. L’un des nombreux avantages d’être mage, était de ne pas dormir dans le froid, à moins d’être épuisé.

Demain serait une lunée difficile. Il leur faudrait parler à un Baron dont la mère avait été choisie comme « souvenir » lors d’un voyage au Benyir du précédent Seigneur. La peau métissée, les yeux noirs d’encre, on disait de l’homme qu’il avait une fâcheuse tendance à s’adresser à ses serviteurs en Benyiien. Sans compte les histoires qui voulaient qu’il possède des exclaves au sein de son domaine. Pratique interdite dans le Pacte depuis la signature d’un traité deux ou trois siècles plus tôt.

Ce n’était pas pour rien que le Commandeur y avait mandé Oglev et Caspiänn. En tant que mage, il avait le pouvoir de prendre le dessus par la force si cela s’avérait nécessaire. Un édit royale, signé de la main de tout les Souverains, autorisaient même les Gardiens et Chevaliers de la Couronnes à fouillé l’esprit des Nobles en cas de doute sur leur fidélité. Une première qui mettait à mal les convictions des combattants d’Ogdal.

Certes, ceux-ci comprenaient la nécessité de ne pas permettre à Higdrï de s’infiltré dans les esprits des Seigneurs, afin de ne pas contaminer ceux de leurs serfs. La guerre justifiait bien d’autres moyens, comme la torture. Cependant, contrairement aux Chevaliers Rouges, les Gardiens comparaient l’acte de pénétré un esprit comme le viol de la pensée. En cas de procès, les Commandeur et Administrateur d’une Commanderie demandaient à chaque fois l’autorisation à l’accusé de pratiquer une sonde mentale. Ce dernier se faisant plus suspect en cas de refus.

― Dis moi ce qui te tourmente, mon ami, sollicita Caspiänn qui, agenouillé, dressait leur couchage sans recourir au don.

Le pouvoir d’Ogdal était une chose sacrée à ne pas abuser.

― Ai-je donc l’air si distrait que cela ? se lamenta Oglev en se relevant avec lassitude. Mes dévotions ne donneront rien ce soir.

― Allume donc le feu, celui-ci sera bénéfique à tes réflexions et nous parlerons autour de notre frugal repas.

Une bonne humeur constante plaquée sur son visage, Caspiänn tira sur la dernière corde soutenant leur abris de fortune. L’une des plus grandes qualités du chevalier était de voir en permanence la bonté chez les autres. Les solutions lui apparaissaient de façon évidente, tant et si bien qu’il était réputé pour ses conseils judicieux. De ses dires, cette philosophie lui venait de l’endroit où il avait grandi. Un lieu mystérieux dont il refusait de parler outre mesure.

S’exécutant, Oglev format un petit tas de bois mort ramassé pendant la ronde de son ami. Il lançant une pichenette de pouvoir, il embrasa les brindilles, laissant la nature faire son office. D’un pas ferme, il alla chercher la sacoche de cuir qu’il avait abandonné sur sa monture. Il en sortit une miche de pain et un morceau de fromage. Leurs outres avaient été remplies à la rivière, là où ils avaient fait un brin de toilette.

― Allons, je t’écoute, l’invita une nouvelle fois Caspiänn en tapotant la terre à côté de lui. Il n’est pas bon pour un homme juste de garder pour lui tant de ressentiment.

― Je m’inquiète de ce que nous aurons à affronter demain, capitula Oglev en présentant un quignon de pain déchiré à son ami. Il est de notoriété publique que le Baron d’Exval voit d’un mauvais œil la construction de la Commanderie de l’Exko. Je ne t’apprendrais pas ce que l’on dit d’autres à son sujet. Tu as beaucoup voyagé toi aussi.

Mâchonnant un morceau de fromage, le grand et large guerrier prit son temps pour répondre. Une affaire aussi délicate demandait de mesurer ses mots. Quant bien même leur amitié était profonde.

― Je comprends tes craintes, j’ai moi-même affronter Higdrï et vu ses vices. Nous ne pouvons nous permettre de conclusions hâtives et devront être attentif au moindre geste ou réaction suspecte.

― Je redoute que nous ayons à pratique une sonde mentale, avoua Oglev dont le pain collait au palet tant il avait la bouche sèche. Je respecte le don qu’Ogdal nous a donné, m’en servir pour profaner l’esprit d’un homme m’apparaitrait comme un affront.

― Hormis s’il s’agit vraiment d’hérésie, le raisonna Caspiänn avec douceur. Auquel cas, il est de notre devoir sacré de faire valoir la voie d’Ogdal, des Saints et des Dieux Pures. Car nous en sommes les Gardiens.

Son ami avait raison, Oglev le savait. Cela apaisa son âme.

― Tu as raison, je le sais, pardonne-moi, le pria-t-il avec reconnaissance. Apprendre ce qu’il se passait dans les montagnes, du moins ce que les espions de la Couronne soupçonne qu’il se passa m’a été difficile. Nous avons tout deux été sur ses terres, mon frère. Certes, nous avions à nous battre contre ce que nous pensions être des brigands, je n’imaginais cependant pas l’ampleur de la perfidie.

Passant un bras dans le dos de son ami, Caspiänn le ramena à lui, de sorte à ce qu’Oglev puisse poser sa tête sur sa large épaule. L’un des avantages d’être chevaliers, de vivres auprès de ses frères, étaient que l’ont était jamais seul. Que ce soit à table, dans un lit, dans la prière ou les tourments, une main effleurait en permanence la vôtre.

― Il n’y a rien à pardonner. Ce que nous avons vu là-bas nous à tout deux perturbés, à chambouler la vision de chacun des nôtres qui à poser le pied sur le sable et compris ce qu’il s’y passait. Les mœurs sont étranges et impies. Ce pourquoi nous devons les sauver.

― Hélas, certains de nos nobles Seigneurs ne sont pas mieux que les hommes à la peau tannée vivant sur ses terres, grinça Oglev.

D’un geste fraternel, Capiänn lui embrassa la tempe.

― Raison pour laquelle nous nous devons de sauver leur âme.

🗡️

Le cœur d’Alaric battant la chamade, il avala péniblement la salive qui restait coincée dans sa gorge. Ça y est, il y était enfin, l’adoubement, il touchait son rêve du bout des doigts. Cet instant, il en rêvait depuis qu’il était en âge de tenir l’épée de boit que lui avait sculpté son père. Il se souvenait encore quand, à sept révolutions, il avait aperçu pour la première fois l’entrainement des chevaliers dans la cour à son arrivée au Palais du Comte. Cette fois, c’était son tout.

La veille l’écuyer s’était purifier en prenant un bain. Puis avait revêtu une tunique blanche. Il avait passé la nuit entière en prière et en méditation dans la petite chapelle privée du Comte, en compagnie d’Ayleri. Leurs armes et de leurs futures pièces d’armures posées sur l’autel, attendant d’être consacrées avant de leur servir.

Debout dans la grande salle du Palais, Alaric attendait que son Seigneur commence la cérémonie rituelle. Pour cette occasion, la pièce, déjà somptueuses de tapisseries brodées d’or et d’argent et de tapis persans, avait été décoré de couronnes de fleurs et de guirlandes colorées. Toute la cour était présente, vêtu de leurs plus belles toilettes, nobles et chevaliers, Dames et Damoiselles, marquant l’importance de l’évènement. Cependant, il ne n’avait vu qu’elle.

Eulalie. Sa robe de facture simple était d’un bleu de lac qui faisait ressortir ses yeux, un laçage enserrant sa poitrine mettait en valeur chaque de ses repirations. Dans un coin reculé, cachée dans l’ombre, elle était aussi resplendissante qu’un matin de printemps et devait sentir aussi bon. Venue avec son frère pour un interrogatoire, ils s’étaient arrêtés derrière une porte dérobée restée entrouverte. Les traitres et les tortures se faisaient de plus en plus courantes ses dernières heptalunes, lui avait confier l’un des Gardiens logeant au Palais.

À l’aube, avant la célébration solennelle où Alaric avait communié pour recevoir sa tunique écarlate de chevalier et sa haubert, l’écuyer avait été dû se confesser. Emplit de contrition, il avait avoué au Moine Confesseur les pensées impures qui le prenait chaque fois qu’il croisait Eulalie et la tentation à laquelle il avait été voué. Dormir avec elle, sans pouvoir la toucher. Son souffle caressant parfois la nuque du jeune homme, avait été une torture de tous les instants.

Il aimait la fille du bourreau. Une hérésie en soi.

Il s’était repentit de combien il avait hésité, dans les quatre nuits qu’ils avaient partagées, à glisser la main sur les courbes chaudes qu’il devinait sous les draps. Des instants de torture qu’il avait endurés pour conserver son âme et préserver celle d’Eulalie. Combien, il savait que durant la cérémonie, il n’aurait de pensées que pour elle, quand toute sa vie il avait attendu ce jour.

À son grand étonnement, le Moine l’avait félicité de sa retenue dans des bafouillements qui laissait présager ce qu’il pensait de cette situation. Le serviteur d’Ogdal l’avait enjoint à ne pas céder à la tentation qu’elle représentait en ce lunées. Qu’à chacun des allèchements des Dieux Fourbes, il devrait dévier son attention de la belle pour la remettre sur les Saints. Pour ce qui était de ce qui se passerait à la suite de son adoubement, le prêtre lui avait conseiller de maitriser les échanges qu’il aurait avec la Damoiselle.

Elle n’était pas pour lui, et le condamnerait à la damnation.

Ne trouvant la force de salir son parrain devant Ogdal, Alaric avait omis de préciser les circonstance qui l’avait mené à partager le lit de la jeune femme. Éludant qu’il en avait été de la protection de son honneur. Ce qui n’était pas un mensonge.

Le Comte, vêtu d’une longue robe de soie azur aux couleurs de sa maison et coiffé d’un chapeau orné de plumes, se racla la gorge pour prendre la parole. Ramènent par la même Alaric à ses devoirs. Sur sa droite, l’écuyer aperçut son père afficher l’un de ses sourires carnassiers. Par chances, ses prunelles sombres ne pouvaient pas apercevoir Eulalie. Le Baron se rengorgeait d’imaginer les libertés qu’avait pris son fils. Il ignorait que le jeune homme, comme chaque soir, dormirait dans le dortoir avec les autres chevaliers. Songeant à la fille du bourreau qui s’assoupirait dans sa propre demeure. À l’abris des manigances de leurs pères.

― Alaric D’Aprelön, mon très cher, tu as servi loyalement ta maison et tu as montré courage et détermination dans toutes les épreuves que tu as traversées. Aujourd’hui, après tant d’efforts et d’entrainements, tu es prêt à être adoubé et à devenir chevalier.

Dans un silence monastique, le Seigneur de Nuzeo se tourna vers le Baron d’Herlëv. Fier comme un pan, son parrain honorait en cette lunée deux de ses protégés.  Le Compte lui tendit le baudrier d’Alaric.

― Baron Glùndrùn d’Herlëv, je vous demande de faire l’honneur de l’adoubement à votre jeune écuyer et filleul.

Son parrain prit le fourreaux et s’approcha du jeune homme pour lui passer, ses joues rondes sous sa barbes se gonflants d’orgueil. Körin et Gathrùn, chevaliers contrairement à son propre frère Pirlön qui n’avait pas même prit la peine de se déplacer, lui fixèrent des éperons d’argent aux talons de l’écuyer. Son père s’avança pour lui remettre un écu déjà peint de leur armoiries. Un faste ostentatoire et inutile.

― Alaric D’Aprelön, toi qui t’apprêtes à être chevalier, récite ton serment mon garçon. Sur ton honneur, jure de ne jamais le trahir, s’exclama le Comte pour l’assemblée.

Le cœur au bord des lèvres, l’écuyer manqua une respiration et pria Ogdal de ne pas faire trembler sa voix dans cet instant solennel.

― Je jures, de croire à tous les enseignements du Corps d’Ogdal et d’observer ses commandements. De protéger le Corps, ses Saints et ses Moines. De respecter tous les faibles et m’en constituer le défenseur.

Sans qu’il ne le veille, son regard chercha celui d’Eulalie, qui debout derrière la tapisserie, le fixa avec une intensité qui lui fouetta les sangs. Le souvenir de la douceur des lèvres rougies de poudre de coquelicot contre sa bouche, manqua de le faire bégayer. Il devait à tout prix se détourner d’elle et suivre les enseignements de son ordre.

― J’aimerais le pays où je suis né. Je ne fuirai jamais devant l’ennemi. Je combattrai les infidèles avec acharnement. Je remplirai mes devoirs féodaux, à condition qu’ils ne soient pas contraires à la Sainte lumière. Je ne mentirai jamais et resterai fidèle à ma parole.

Un nouveau coup d’œil, et il se perdit dans ses prunelles. Pour elle, il avait dû l’être, plus que son devoir ne lui ordonnerait jamais.

― Je serai libéral et généreux. Je resterai toujours le champion du droit et du bien contre l’injustice et le mal.

C’était fini, le soulagement le terrassa en même temps que l’appréhension de ce qui restait à suivre :  la collée, signe d’acceptation de son entrée dans la chevalerie. Les frères d’Herlëv lui tendirent heaume et lance, et il aperçut de coin de l’œil Eulalie lui adressé une œillade brûlante qui réveilla en lui le mal. Sa langue jouant sur sa lèvre inférieur, elle se fit sans le savoir plus tentatrice que jamais. Lui seule, savait lire en elle qu’elle redoutait autant que lui ce qui arrivait.

S’agenouillant devant son parrain, il repoussa les pensées qui le menait à Eulalie pour se concentrer sur la douleur qui ne tarderait pas à le prendre. Son parrain ne serait pas tendre. Il ne pouvait pas flancher. Sa honte resterait sans nom, s’il venait à montrer le moindre signe de faiblesse. Ce moment, il l’avait attendu toute sa vie. La mine goguenarde, le Baron d’Herlëv leva le bras pour lui asséner un coup puissant du plat de la main sur la nuque. La souffrance lui coupa le souffle et remonta dans son échine. Alaric n’en fit aucune démonstration. Il avait réussi.

Il était chevalier.

Le Comte s’avança pour lui remettre une épée, la sienne, celle qui marquait à présent sa condition et qui serait son alliée la plus fidèle dans les batailles à venir. Alaric prit l’arme avec déférence et gratitude, le contact métal froid contre ses doigts lui donna envie de pleurer. Enfin, il avait atteint tout ce qu’il avait désiré accomplir. Évitant de presser trop fort la lourde lame contre son cœur, il se tourna pour croiser les prunelles douces d’Eulalie.

Non, pas tout. Il lui restait à épouser cette femme. À la convaincre de porter ses enfants afin que son nom ne soit pas uniquement transmis et entacher par les actes de Pirlön. À présent qu’il avait un avenir et la possibilité de gagner sa communion, il ne tenait qu’à lui de conserver durant son absence les sentiments de la jeune femme.

― Maintenant, vous êtes un chevalier, Alaric D’Aprelön, déclara son seigneur en levant les bras en signe de bénédiction. Vous devez vivre avec honneur, loyauté et bravoure. Vous devez servir Ogdal avec dévotion et être toujours prêt à défendre les opprimés et à combattre l’injustice. Relevez-vous, mon ami.

Fier et ému, il se redressa pour remercier le Comte qui, entourant le visage du jeune homme de ses mains, lui octroya un baisé sur la bouche. Ce signe de vassalité et de fidélité le perturba, une part de lui-même se refusa à tourner ces pensées sur Eulalie. Les rapports entre femmes étaient proches, avait-il remarquer, mais rarement autant que ceux qui unissait écuyers, chevaliers et Seigneur. Dormant dans le même lit, se tenant la main ou partageant bol et écuelle, certains de ses amis étaient plus intimes que beaucoup ne le devenait avec leur épouse ou concubine.

Lui-même l’était avec Ayleri.

Reculant, il laissa sa place à son ami qui, fébrile, attendait son tour pour être honorer. Alors que leurs yeux se croisèrent, Alaric pu lire la crainte de son ami quant à cette ultime partie du rite sacré. Âgé de plus d’une quarantaine de révolution, le Comte n’avait rien d’attirant, aussi rassura-t-il son ami d’un signe de la main convenu entre eux.

Il ignorait pourquoi le cadet d’Herlëv se montrait toujours tant dans la retenue que partager la vie légitime d’un autre homme le mettait mal à l’aise. Heureusement, sa tension était moindre que lorsqu’ils partageaient les bains avec les chevaliers qu’il servait.

Sans qu’il ne songe plus à l’assemblée où à son ami recevant à son tour ses éperons, il croisa le regard d’Eulalie en se dirigeant à sa place. Au second rang, derrière la Comptesse de Nuzeo, il eut du mal à se détacher des grands yeux d’un bleu outrancier. Sa tête surplombant celle de sa jeune sœur, Hölvi fronça les sourcils devant son manège. Baissant ses prunelles grises sur la tresse épinglée en couronne de sa cadette, l’apprenti bourreau se renfrogna.

 Dans son dos, la Vicomtesse, mère du chevalier qu’il avait servi six révolution durant, fit mine d’épousseter l’auber d’Alaric. Et en profita pour lui administrée pincette douloureuse au creux du bras. La souffrance irradia dans ses nerfs avant de refluer. Épouse d’un noble pouvant se targuer du titre de chevalier, Dame Montmörzy était une femme de poigne de l’âge du Comte à qui son époux et sa place auprès de la Comtesse avait appris à ne pas s’en laisser compter.

Mère de huit garçons et sept filles, elle connaissait le jeu des hommes et maniait menait le Vicomte par le bout du nez. Fine stratège, elle s’amusait à faire tourner en bourriques les petits pages, dont Alaric avait fait partie. Surveillez « ses garçons » comme elle nommait ses préférés était l’une de ses particularités. Aussi avait-elle, elle-même confier Alaric au soin de l’un de ses fils, le chevalier Gontränn, lorsqu’il en avait eu l’âge.

― Pensez-vous réellement que je n’ai pas remarqué votre petit manège ? minauda celle-ci à son oreille. Les autres sont peut-être aveugle, mais cela fait un temps que je surveille vos actions avec cette péronnelle, mon petit. Si je suis heureuse que vous ayez renoncer à vos prétentions de rejoindre les Gardiens de la Flamme, ce n’est pas pour vous voir vous compromettre avec cette mignonne.

La menace de la Vicomtesse le heurta de plein fouet. Cela, il n’en doutait pas. On disait que la Dame Montmörzy avait la fâcheuse tendance de négocier des alliances à ses garçons. Des positions qui lui était toujours profitable. Pages et écuyers n’étaient que des pions sur son jeu. En une seule soirée elle pouvait faire intégrer l’un des leurs Gardien Postulent, ou en envoyé un autre au Corps des Moines, lui faisant oublier tout acte de chevalerie, s’il venait à la décevoir.

La cérémonie terminée, Alaric accusa les nombreuses accolades de ses pairs qui le félicitèrent. Se coulant en direction de l’un des couloirs de service, il capta le regard interloqué d’Ayleri. Eulalie et son frère avaient disparu juste après l’avertissement de la Vicomtesse. Éperdu, le chevalier ne songeait plus qu’à la retrouver pour la saluer. Qui savait quand adviendrait son départ pour le Benyir ?

Les troupes s’amassaient aux portes de la ville. Des champs entier accueillaient à présent des forêts de tentes. On disait que ce n’était que le prémisse d’une grande armée. Undiev se soulevait. Les gens de Nuzeo rejoindraient la forteresse de Cazkër en Werl-Niia, de là, les troupes seraient coordonnées pour marcher sur Higdrï.

Voyant du coin de l’œil Ayleri lui emboiter le pas et se jouer de la foule paillant des félicitations, Alaric se sépara d’une Damoiselle qui venait de l’accoster. Prétextant se rendre urgemment aux commodités, il passa derrière une tapisserie parfumée de bouquets de fleurs. D’un pas vif, il traversa pour trouver une alcôve où faire mine de se soulager si son ami le rattrapait. Eulalie ne pouvait pas être loin. Elle ne pouvait pas être rentrée chez elle sans lui avoir parler. C’était impossible. À moins que son frère ait deviner quelque chose et…

Le chevalier fraichement adoubé secoua la tête, refusant d’y penser. Bien décider à la retrouver, il descendit en direction des cachots. Là où opérait Hölvi depuis deux lunées. Les cris des prisonniers avaient empêché une partie de la garde de dormir. Fort agréablement, ceux-ci ne parvenaient pas jusqu’aux appartements du Comte. Aussi le jeune homme avait pu se recueillir dans le silence pour son préparer à cette lunée.

Dévalant les marches de pierres humides, il s’arrêta en apercevant la silhouette gracile d’Eulalie. Le pas chancelant, la jeune fille transportait un lourd seau en bois rempli d’eau. Étonnée, elle se retourna en entendant les pas du jeune homme. Ses grands yeux s’écarquillèrent en l’apercevant et elle déposa son fardeau avant de ramasser ses jupes.

― Que faites-vous ici ? s’étrangla-t-elle à mi-voix. Votre père vous a fait préparer un somptueux banquet ! Les chevaliers vous feront chercher ! Et Hölvi qui…

L’inquiétude qui perçait dans son timbre et la peur qu’il voyait brillés dans ses iris mirent à mal Alaric.

― Il fallait que je vous voie. Ne me féliciterez-vous pas pour mon adoubement ? questionna-t-il sans savoir trop quoi ajouter.

― Félicitation, Messire D’Aprelön, chuchota-t-elle les joues roses.

Entendre pour la première fois son titre, de sa bouche lui fit chavirer l’âme. Prononcer entre ses lèvres, il avait une saveur qu’il ne retrouverait nul par ailleurs. Seulement, il préférait entendre une former d’intimité ourler sa langue, plutôt qu’un nom formelle.

― J’espère restez Alaric, pour vous.

― Ce ne serait pas correct.

Sans crier gare, Alaric entrelaça ses doigts de ceux d’Eulalie qui hoqueta de surprise. Rapprochant sa hanche, il poursuivit cette indiscrétion en passant une main derrière ses reins. La plaquant contre lui, il sentit un feu dévorant ruisseler dans ses veines. Empourprée, Eulalie resta docile, ne faisant pas mine de se dégager.

― Vous ne devriez pas faire cela, frissonna-t-elle les yeux détournés.

― Non, mais j’en ai envie, et vous aussi, se justifia-t-il en inspirant contre l’une de ses mèches. Je vais bientôt partir et je veux me souvenir de chaque détail de votre être. Égoïstement, je me dois de vous demander de me jurer d’attendre mon retour. De me laisser une chance d’obtenir votre communion. De ne laisser personne vous offrir à un autre.

Inconsciemment, il caressa de son pousse la main d’Eulalie, qu’il avait attrapée, celle-ci trembla à sa demande. Pas de peur, fut-il soulagé en la sentent pressée à son tour ses doigts. Il savait que c’était beaucoup demander. Qu’en tant que femme, elle n’aurait son mot à dire. Toutefois, la simple idée d’imaginer un autre poser le regard sur elle lui était insurmontable. La rapprochant de lui, il nicha son nez dans le cou blanc où pulsait les battements effrénés du cœur de sa belle.

― Jurez le moi, Eulalie.

La respiration hachée de la jeune fille lui répondit. Il l’a senti s’alanguir entre ses bras, sa petite main empoignant l’ourlet de son haubert. Le visage en cœur de sa belle caressa son menton, cherchant instinctivement ses lèvres.

Quand le charme se brisa.

― Ô Alaric, tu n’as pas fait ça ! le rabroua durement le timbre chagriner d’Ayleri. Dis-moi que tu n’as pas fait ça.

Le repoussant, Eulalie recula de trois pas défaillant, les traits cachés sous ses mains. Surpris dans l’inconvenance, le chevalier d’Aprëlon se retourna sur son ami qui le fixait l’air grave. Les cheveux noués d’un ruban vert, le cadet d’Herlëv avait dégagé son visage fin et féminin. Une moue mélancolique déformant ses lèvres pincées, il franchi la dernière marche.

― Dis-moi que tu ne lui as pas ravis son honneur ?

Au martyr, la fille du bourreau hoqueta entre ses doigts. Une colère injustifiée plongea Alaric dans les tréfonds de ce qu’il avait de plus sombre. Il avait espéré une dernière fois, voler un baiser à sa belle. Posé sa marque afin qu’elle ne l’oublie pas. Son ami avait tout compromis.

― Bien sûre que non, se défendit-il avec verbe, se gardant bien d’avouer combien il le désirait. Pour qui me prends-tu ?

― Alors c’est pour le mieux. Son frère se trouve à trois cachots de là, imagine ce qu’il adviendrait de toi, si tu étais pris sa sœur entre les bras ? le résonna-t-il en se massant la tempe. Au pire elle serait perdue et au mieux tu finirais bourreau. Crois-tu que cette vie te scierait mon ami ? À toi qui viens à peine de recevoir tes éperons ? Comment vivrais-tu d’affronter le bannissement de notre ordre ?

Pétrifié, Alaric sentit les courant d’air des étages inférieurs lui lécher la peau. Les relents de sang et d’humidité se firent plus fort, plus entêtant et son esprit lui rejoua une scène qu’il avait souhaité de toute son âme oublier. « Le trépa du chevalier » était la pire des sentences.

― Eulalie ? appela l’écho de la voix grave et ferme du fils cadet d’Ubrök. Le sceau est-il trop lourd pour toi ?

Un doigt sur la bouche, Ayleri secoua la tête, indiquant à la jeune fille de répondre sans mentionner leur présence.

― Trouver une excuse à vos larmes, lui conseilla-t-il en empoignant Alaric par sa ceinture. Ce n’est pas de moi que votre frère apprendra ce qu’il sait jouer ici.

Les joues ruisselantes de larmes, Eulalie acquiesça en silence, ses prunelles évitant de croisé celle de son chevalier. L’application avec laquelle elle l’ignora lui transperça le cœur plus surement qu’une lame.

― Je… je me suis… tordue la cheville… bredouilla-t-elle en s’essuyant de ses paumes. J’arr… j’arrive… Hölvi.

La voir souffrir ainsi terrassa Alaric qui fit un pas dans sa direction, main tendue pour une fois encore éraflé sa robe. Le tirant en arrière, Ayleri l’en empêcha. Sa haute stature lui conférent plus de force, son ami l’obligea à passer l’angle des marches en colimaçon.

― Ma sœur ? paniqua l’apprenti bourreau. J’arrive !

― Elle et son honneur seront perdu si nous restons ici, l’avertit dans un murmure le cadet d’Herlëv contre son oreille. Suis-moi et je te promets de faire en sorte que tu puisses lui faire tes adieux.

Disparaissant avec discrétion dans l’escalier, Alaric éprouva ce qu’il identifia comme un sentiment de trahison en voyant Eulalie en proie à la terreur. Les pas du cadet d’Ubrök résonnèrent dans le couloir et le froissement de tissu typique d’une étreinte les suivit. Les sanglots de la jeune fille redoublèrent face à la démonstration de son frère.

En proie aux Dieux Fourbes, le chevalier se surprit à envie Hölvi de pouvoir ainsi la tenir contre lui.

― Viens ma sœur, je vais regarder à cela.

🧶

Encore groggy, Eulalie s’éveilla un matin de plus avec un manque qu’elle ne savait expliquer. Passant à tâtons sa main entre les draps rugueux et froid de son lit, elle soupira en constatant une fois de plus sa solitude. Encore cette nuit, elle avait senti avec plus d’acuité le souvenir de la peau d’Alaric D’Aprelön sur la sienne.

S’était rejouée encore et encore la sensation de sa main jouant avec le tissu de sa robe, décortiqué le regard brulant qu’il lui avait jeté durant son adoubement. Cet échange qui avait allumée en elle une passion qu’elle souffrait de devoir contenir. La réaction à présent familière de son corps avait trahit son attachement au chevalier. Un phénomène qu’elle remerciait les Saints de ne pas avoir rendu visible chez les femmes.

Se recroquevillant entre les couvertures, elle chercha à revivre chacun de leurs échanges de la veille avant de se mettre au labeur. L’aube ne pointait pas encore par les fenêtres et elle entendait déjà son frère et leur père s’afférés. Honteuse, elle se rappela qu’il était de son devoir de les nourrir. De leur facilité la vie, en particulier aujourd’hui.

Il avait été décidé la veille de l’exécution des traites. Hölvi en avait retiré tout ce qui était possible.

Le mal pour lequel les femmes étaient connues, celui de la luxure, la poussa à soupirer en pensant aux ronflements discrets d’Alaric. À l’odeur suave qu’il avait laissé sur les coussins de son lit. N’y tenant plus, Eulalie plongea la main sous son oreiller et en extirpa l’une des tuniques du chevalier. Celle-là même qui était encore imprégnée de son parfum. Une relique trouvée au milieu de son coffre à son retour chez elle.

Un effet si personnel que si ses frères ou son père venait à le découvrir en sa possession, elle serait perdue. La portant à son nez, elle y huma la force de se lever.

Officiant jusque tard dans les cachots avec Hölvi, Eulalie avait espionné à intervalle régulier les festivités du banquet. Masquée par une tapisserie, elle avait suivi des yeux Alaric et Ayleri d’Herlëv se rendre au dortoir. Peu après, son frère était venu la chercher pour regagner leur chaumière en périphérie de la ville. Le voir disparaitre ainsi en compagnie de plusieurs autres chevaliers lui avait gonflé le cœur.

Au moins le jeune homme ne s’était-il perdu dans les plaisirs de l’amour tarifié. Cette nuit du moins. L’idée qu’il puisse s’adonner à de tels égarement la torturait. L’âme en peine, Eulalie savait ne pas pouvoir se faire d’illusion quant à un avenir commun. Dans les lunées à venir, Alaric partirait pour le Benyir et elle, ne mettrait pas plusieurs cycles à être mariée.

La chandelle s’était consumée, sans qu’elle ne trouve la paix. Au cœur de la nuit seulement, bercée par les ronflements puissants de son frère et de son père, elle avait fermé les yeux. Son coussin détremper des larmes qu’elle avait versée en repensant à ce qu’il s’était produit.

Broc et bassine à la main, Eulalie s’installa devant la petite table de la maisonnée et commença ses ablutions. Passant une robe propre par-dessus sa chemise, elle veilla à flairer bon la lavande et le coquelicot. Sa mère, avant de mourir, lui avait appris à fabriquer un élixir. Ce n’était pas car ils étaient excommuniés et vivaient dans le sang et la souffrance que les bourreaux devaient se négliger.

Elle découpa un quignon de pain et des morceaux de fromage. Elle les disposa en tranches parfaites sur une large planche de bois. Derrière un rideau, elle entendait le grattement des lames qu’on aiguise. Elle espéra que les condamnations des prisonniers donneraient lieux à des exécutions rapides. Mordant dans l’une des tartines, la nourriture simple se colla et sa langue et le goût subtile du laitage lui fit regretter les mets qu’elle avait goûté dans les marmites d’Agnia.

Au dehors, elle pouvait déjà entendre les badaud s’agiter, la foule ne tarderait pas à s’amasser sur la plus grande place. Les cheveux attachés sous un foulard assortissent à sa tenue, elle s’empara de la planche et traversa la séparation. Les sourires fatigués des hommes l’accueillir et Hölvi lui tandis une chope de vin coupé d’eau. L’odeur de la graisse pour cuir associées à celle de la limaille saturait l’air.

― Tu es une sainte, ma fille, la remercia le bourreau en tendant la main en direction du déjeuner.

Cela elle en doutait, détournant le visage, elle ne pu affronter l’air fière de son père. S’il apprenait une lunée à quelle décadence elle s’était abandonnée… Ce à quoi elle se surprenait à rêver ! Il la renierait.

― Grâce à votre éducation père, renchérit Hölvi en posant sur une œillade qu’elle trouva un peu trop acérée. Vous êtes un exemple.

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Pénétrant dans la cour de la petite baronnie, les deux Gardiens évaluèrent d’un seul regard la situation se présentant à eux. À leur arrivée dans le domaine, il ne leur avait pas échappé que les paysans transportant des fagots avaient de bien piètre allure. Émaciés, les yeux caves, vêtements en aillons, ils s’étaient jetés sur leurs genoux au passage des montures carapaçonnée d’un blanc immaculés. À la vue de la Flamme bleu flottant sur les capes et tabards des chevaliers, beaucoup s’étaient mit à trembler. Certains priant dans une langue aux accents chantant qu’Oglev n’avait pas eu de mal à reconnaître.

Par praticité, la plupart des Gardiens maniaient les langues du Pacte. Ceux, comme Caspiänn et lui qui avaient combattu au Benyir, en avaient acquis les rudiments. Sourcils froncés, son ami et lui avaient conclu d’un hochement de tête de se couvrir d’un bouclier en entrant dans la Baronnie. Seuls Ogdal et les Dieux Pures savaient quels personne le Seigneur d’ Exval avait ramené des terres de sa mère. Ainsi de jusqu’où allait sa corruption.

Les claquements réguliers des sabots sur la terre compacte attirèrent l’attention de plusieurs serviteurs. L’un d’eux, un homme à la peau mat, se précipita à l’intérieur, clamant des paroles qu’Oglev interpréta comme une avertissement. Le dos dressé sur leur monture, Caspiänn et lui avaient conclu de ne pas en descendre avant d’avoir fait impression auprès du Baron. Rennes serrées entre les mains, ils ne durent attendre pas plus d’un sablier à thé.

La mine partagée entre l’étonnement et la perplexité, le Seigneur d’Exval se présenta à eux vêtu d’un lourd manteau doublé de renard. Âgé d’une trentaine de révolutions, il avait gardé les cheveux long et détachés, la souplesse des boucles entourant son visage ne cachant pas ses origines. Au Benyir, les femmes grillaient de l’huile pour assouplir ainsi leur cheveux. Placée en retrait de lui, une femme d’une cinquantaine de révolution, les yeux baissés comme il était de coutume dans le désert, l’accompagnait. Juste derrière elle, une jeune fille n’ayant pas dépassé les quinze révolutions se cachait à demi.

― Baron d’Exval, nous sommes Messires Caspiänn et Oglev, Gardiens de la Flamme, se présenta le premier en apaisant d’un caresse son cheval. Nous venons à vous, mandés par le Roi Öktol afin de vous prier de nous rejoindre, vous et vos vassaux dans la croisade à laquelle lui et les Couronne du Pacte aspirent contre Higdrï.

Du coin de l’œil, Oglev vit plusieurs serviteurs amassés dans la cour frémir. Chancelant légèrement, la mère du Seigneur referma sa main sur celle de la jeune fille.

― Mes respects, Gardien, les salua ce dernier en arquant le dos en une révérence. Permettez-moi de vous présenter ma mère Dame Sarazaï et ma fiancée, Damoiselle Laïola. Toutes deux sont issues du Benyir et converties à la foi des Dieux Pures et la voie d’Ogdal.

S’empressant de faire une révérence, les deux femmes se rapprochèrent l’une de l’autres sans quitter les chevaliers de leurs yeux noirs. La plus jeune, en âge d’être mariée avait un fugace instant posé ses prunelles remplie d’espoir sur son futur époux. Les larmes aux bords des cils, il frémissait à peine. Une inquiétude sincère brillait dans ses iris. Il n’aurait pas été étonnant qu’elle voit d’un bon œil des épousailles avec un Seigneur du Pacte plutôt que l’un des hommes de son pays.

― Nos hommages, Dames d’Exval, reprit Oglev. Toutes nos félicitations pour votre prochaine union. Bien que nous ne puissions que vous conseilliez de la hâter en vue de l’affaire qui nous préoccupes.

― Nous vous attendions, s’empressa de précisez le Baron. Nos relations avec le Benyir nous offrent plus d’informations qu’à beaucoup. Des nouvelles préoccupantes me sont parvenues en même temps que Damoiselle Laïola et nous nous sommes doutés de quelle serait la réaction des Souverains à celles-ci. Je me suis permis de rassembler le peu de chevaliers et hommes vaillant travaillant sur mes terres.

Tiens, tiens, songea Oglev en inclinant la tête sur le côté. Ainsi donc il y avait peut-être une raison logique au piètre état des effectifs du domaine. Dans ce cas, où se cachaient ses fameux vassaux.

― Qu’Ogdal vous en remercie, accepta Caspiänn les paupières étrécies. Pourrions-nous nous entretenir avec ceux-ci, s’ils sont déjà rassemblés. Cela vous évitera de vous encombrer de cette tâche.

― Ils… ils se trouvent à la frontière du domaine, intervint Dame Sarazaï d’un timbre si hésitant et suppliant qu’Oglev eut envie de dégainer son épée. Nous… nous avons autre chose à vous montrer…

Les femmes n’étaient pas sensées s’adresser à un homme au Benyir. Encore moins si celui-ci n’était pas de sa famille et qu’elle n’y avait pas été invitée. Aux œillade inquiète qu’elle jetait sur son fils avec une précipitation calculée pour ne jamais croisé son regard, le chevalier se fit la réflexion qu’il en était de même avec l’ancien Baron. Après tout, un prétendu chevalier qui ramenait une épouse en guise de souvenir de ses conquêtes ne devait pas posséder beaucoup de moral.

L’air peiné avec lequel l’actuel Seigneur évalua sa mère et la jeune fille accrochée à ses jupes rassura Oglev. Rajustant sa position sur sa monture, Caspiänn ne paraissait pas en mener plus large. Imaginé les atrocités que Dame Sarazaï avaient subies lui faisait trépigner sur sa scelle. Du peu que le Gardien avait réussi à extorquer à son ami sur sa terre natale, il apparaissait que les femmes y étaient bien plus respectées que nulle part ailleurs.

― Pardonnez ma mère, Gardiens, s’excusa le Baron. Mon père ne fut pas un homme juste et beaucoup de ses tords restent à réparés. Il y a ici des serviteurs de toutes confessions. J’ai moi-même affranchis derniers exclaves quand l’Exval m’est revenu en héritage, il y a une révolution de cela. Beaucoup croient encore en Higdrï et bien qu’ils soient hérétiques, leur pratique et saine et sans corruption.

Les chevaliers arborèrent une grimace en échangeant un regard.

― Quelle est donc cette chose que vous désirez nous montrer ? releva Caspiänn dont l’habituel jovialité avec disparu.

― Qui, précisa le Seigneur en se tournant sur sa demeure. Alors que je rassemblais mes vassaux, plusieurs de mes serfs sont venu me trouver pour me faire part de leur suspicion quant à un espion infiltré dans mon domaine. J’ai aussitôt pris plusieurs de mes gens et nous nous sommes rendus chez l’homme. Il a opposé une résistance, mais à six contre un, nous l’avons mis aux arrêt. Par chance, il n’est pas mage.

Sautant de son cheval, Caspiänn devança Oglev. Par mesure de sécurité, celui-ci renforça le bouclier qui les entourait. Un pas vif, il rejoint son ami, épée sur la hanche, dagues à la ceinture et poignard dans la chaussure. Les détenteurs du don ne devaient jamais manquer de prudence. Éveillés d’esprit, les deux femmes s’effacèrent de l’entrée pour les laisser passer et le Baron prit la tête de la colonne.

― J’ai envoyé un message à Kireön afin de mander le bourreau, il y a trois lunées, mais nous sommes éloignés. Conservant quatre de mes sujets pour assurés des tours de gardes, j’ai envoyé les autres rejoindre l’Ost directement au port de peur d’être accusé de trahison si par malheur, je ne me présentais pas. Votre venue me soulage de ce fardeau.

Se pressant dans les entrailles sombres de la petite baronnie, Oglev vit les serviteurs disparaitre telles de sombres sur leur passage. Aussi redoutés que respectés, les Gardiens de la Flamme paraissaient effrayés les Benyiiens présent. Certainement un effet de la présence dangereuse que la Corporation représentait depuis plusieurs siècles dans le désert.

Caspiänn sur ses talons, il descendait lentement vers les cachots. Son compagnon aussi silencieux qu’alerte, avançait une détermination coléreuse gravée sur son visage. Ses pas se perdaient dans le silence, à la manière de ceux d’un fantôme, une discrétion qu’Oglev lui enviait. Ses propres claquement de bottes résonnaient dans les couloirs de pierres.

Les escaliers étroits et en colimaçon menaient aux profondeurs humide de la fortification. Mal éclairé, il obligea les Gardiens à invoqué une sphère lumineuse. Un glapissement terrifiés dit écho dans l’air froid. Higdrï abhorrait la magie, presque autant que le Corps des Moines d’Ogdal en condamnait l’utilisation par ses Moines, au point de les reclure. Dame Sarazaï ne devait pas avoir eu affaire souvent aux détenteurs du don. Un rictus cinglant au coin de la lèvre, Oglev songea qu’elle devait s’être signée du symbole de la Flamme en guise de conjuration.

― L’un de vous est un mage, comprit le Baron dans la voix duquel perça une appréhension teintée d’admiration.

― Les deux, confirma le chevalier avec raideur.

― Vous pourrez donc savoir ce qu’il en est de ses secrets sans la présence d’un bourreau ? s’assura le Seigneur.

― Nous saurons tous de ce que détient votre prisonnier, certifia le second Gardien dans la large stature avait du mal à se mouvoir dans l’étroit couloir. Un esprit ne peu résister au pouvoir octroyé par Ogdal.

Oglev, dont les sens étaient aiguisés par des années de formation et de combat, pouvait presque sentir la peur imprégner les murs de pierre. En tant que mage, il lui revenait de rapporté urgemment ce qu’il apprendrait à un Commandeur. Un bourreau s’avérait unitive lorsqu’on possédait la capacité de pénétré l’esprit d’autrui. Utiliser son don pour cela mettrait à mal sa conscience, le poids de l’éthique pèserait sur son âme.  Caspiänn s’en servait avec autant de prudence et respect, seulement, il ne pouvait une fois de plus se défiler lorsque son ami lui proposerait son aide. Il en irait de son honneur et de sa bravoure.

Leur marche les conduisit devant une lourde porte en bois cloitées, gardée par deux soldats à la mine sombre. Sûre de lui et du statut que lui octroyait sa tenue, Oglev hocha la tête en signe de reconnaissance. Les hommes ouvrirent aussitôt le battant et s’écartèrent les yeux équarquillés pour regarder passer les Gardiens éclairé de leur sphère pénétrer dans la cellule.

À l’intérieur, une faible lumière de torche révélait la silhouette d’un homme enchaîné, le visage marqué par la rage et la fatigue. Relevant la tête le nez froncé, il s’agita en croisant les iris dures d’Oglev. Son attention incrédule descendant sur la tenue des Gardien, il la détailla avec dégoût. Au moment où son attention se porta sur le globe son visage se décomposa, trahissant une d’angoisse mêlée de défi.

― La mal ! Le mal est ici ! hurla-t-il dans un Benyirien guttural en tirant sur ses chaines. Les meurtriers ont apporté le mal !

― Caspiänn, demanda Oglev d’un ton ennuyé où perçait sa compassion que sa foi l’obligeait à ressentir. Aurais-tu l’obligeance ?

Une salve de pouvoir fusa à travers la cellule, écrasant l’espion contre le mur humide où ruisselait un filet d’eau. Entravé par la poussée que lui imposait le Gardien le prisonnier essaya de se débattre, en vain. Repoussant l’air penaud qu’il prit en présence d’un innocent, Oglev s’approcha lentement, ses pas résonnant sur le sol de pierre. Concentré, il referma les traits de son visage pour n’exprimer qu’une conviction sans faille. Face à lui, prit d’un effroi qui l’obligea à se laisser aller dans ses braies, le captif se mit à bredouiller une prière.

Le Gardien ferma les yeux un instant pour chasser cette vision de son esprit. L’odeur sûre de l’urine lui monta au nez, l’aidant à se reprendre. Ce qu’il s’apprêtait à faire, était un acte de dévotion envers Ogdal. Un sacrifice qui permettrait peut-être de sauver des centaines, voire des milliers de vies de ses frères et citoyens du Pacte.

Présentant deux doigts, il les posa sur le front de l’homme. Un frisson parcourut son corps alors que ses sens exacerbés par la magie s’étendaient, tissant des liens invisibles avec l’esprit du prisonnier. Les pensées, les souvenirs et les émotions de l’homme affluaient dans son esprit, un flot d’informations chaotique qu’il devait démêler avec soin. Une arme de défense qu’apprenait tous les serviteurs d’Higdrï afin d’embrouiller ceux qui pourrait les capturer.

Conscient des croyances et des préceptes des Gardiens de la Flamme, le traitre lui imposa des images de tortures, d’abus et de viol de femmes qui répugnèrent Oglev. En le mettant en colère, l’homme savait qu’il distraire le mage d’information importante. Formé à ne pas permettre aux émotions de le submerger, le chevalier inspira pour garder son calme. La main bienveillante de Caspiänn se posa sur son épaule pour l’y aider. Son pouvoir se mêla à celui de son frère, lui fournissant le soutient dont il avait besoin.

Dans cet échange où les cris du Benyien vibraient avec intensité, le Gardien chercha la moindre information à rapporter à la Corporation. Sondant les profondeurs de l’esprit de l’espion pour révéler l’étendue de sa trahison, il trouva enfoui profondément au milieu d’images insoutenables, ce qui aurait dû rester caché. Sentant son propre cœur battre au rythme des révélations, Oglev manqua brusquement d’air.

Ses lèvres frissonnant de sa découverte, contenant la révulsion qu’il éprouvait, le Gardien se concentra sur les organes du prisonnier. Par sa volonté, il les arrêta dans l’acte de justice que lui avait enseigné ses Commandeurs. Le cliquetis des chaines accompagna le bruit sourd du corps sans vie de l’espion qui s’avachi sur ses entraves.

Ce qu’il savait à présent ne pouvait être transmit par la une discussion mentale avec ses supérieurs. Pas plus que ne pouvait l’être l’appel à l’Ost, les appels d’esprits n’étaient pas sécurisés. Ouvrant les paupières, le chevalier planta ses iris dans ceux si particulier de Caspiänn. Les yeux réduit à deux fentes, son ami lui offrit toute son attention. Une main toujours posées sur l’épaule d’Oglev, il lui ouvrit son esprit.

« Il nous faut rejoindre la Commanderie de l’Exko, maintenant. »

L’atmosphère s’imprégna d’une gravité lourde. Eulalie, partant s’asseoir dans un coin de la pièce, tendit son repas à son frère, tête basse. Observant silencieusement son père et Hölvi, préparer leurs instruments pour l’exécution publique imminente, elle se sentit souillée. Ses pensées tourbillonnaient en direction d’Alaric et des dépravations auxquelles elle s’était adonnée avec lui. Le cœur de la jeune femme était lourd, non seulement à cause de la tâche macabre qui attendait sa famille, surtout de l’opprobre qu’elle apporterait sur eux si ses égarements étaient découverts.

― Hölvi, vérifie encore une fois le tranchant de la hache, s’il te plait, commanda son père en agitant vers lui une main portant les marques de nombreuses années de labeur. Il faut que tout soit parfait. La tension est partout et la foule ne sera pas clémente envers nous au cas où le travail ne serait pas fait correctement.

― Oui, père, répondit son frère, la voix teintée d’une fatigue résignée.

Perturbée, Eulalie se tourna sur son père une mine d’incompréhension. Pinçant les lèvres, son frère lui fit un signe de dénégation. Un coup à l’âme, la jeune femme reporta son attention sur les instruments qu’elle s’était machinalement mit à ranger. Ce n’était pas que sa famille la tienne à l’écart, elle le savait. Bien du contraire. Hölvi et père ne faisait que la protéger.

Il s’était passé quelque chose dans le monde très restreint des bourreaux. Elle pouvait le sentir. À chaque fois que cela se produisait, leur maisonnée s’emplissait d’une ambiance pesante qu’elle avait appris à reconnaitre. La mort était une compagne constante dans leur foyer, elle n’apportait cependant pas autant de mystère d’ordinaire. L’idée de voir son frère, qu’elle aimait tant, embrasser ce sombre métier lui donna soudain envie de pleurer. À moins que ce ne soit la perspective de son propre mariage avec l’un de leur confrère.

Le frottement régulier de la lame de la hache contre la pierre à aiguisé l’apaisa soudain. C’était pour elle un bruit réconfortant. Lorsqu’elle était enfant, leur mère leur chantait à ses frères et elle, des berceuse pendant que le bourreau affutait ses ustensiles. Ce constant la perturba.

― Eulalie, prépare ma cagoule et mon habit, s’il te plaît, demanda doucement son père en vérifiant d’une œillade qu’elle se soit réservée un morceau de pain et de fromage. Et mange ma fille, tu sais que tu ne peux pas te permettre d’avoir l’estomac vide.

Eulalie hocha la tête, se levant pour accomplir cette tâche qui lui changerait les idées. Dans son esprit, l’image d’Alaric partant pour la croisade au Benyir se superposait à celle des hommes qu’ils allaient exécuter. Père et Hölvi étaient les seuls, avec les proches conseillés du Comte de Nuzeo à savoir ce que les espions avaient avoués sous la torture.

Se mordant le bout de la langue, elle supplia Ogdal de lui pardonner.

― Qu’on… qu’on dit les prisonniers ? s’informa-t-elle d’une voix qu’elle voulait désinvolte et qui lui parut néanmoins tremblante.

Son attention rivée sur les vêtements de son père, elle échappa à la mine sévère que devait lui adresser son frère. Eulalie plia avec application la cagoule qu’elle rangea dans une besace de cuir. Tendant devant elle la tunique lie de vin ornée d’une dague brodée sur le cœur, elle essaya de faire passer sa curiosité pour une simple sujet de conversation.

― Tu n’as pas à le savoir, ma fille, la réprimanda un peu sèchement le bourreau, lui arrachant un frisson. Allons, ne réagit pas comme cela, ce n’est pas comme si Hölvi et moi avions l’habitude de te rudoyer.

Son ton adoucit, elle entendit son père se relevé. Ses pas derrière elle, lui rappelèrent la poigne du Baron qui la maintenait pendant qu’Augun la molestait. Affaissant les épaules, Eulalie essuya une larme piquante qui lui coulait sur la joue. Elle n’avait pas révélé à son père ou son frère le traitement qui lui avait été réserver durant leur absence.

S’ils venaient à apprendre que… Non ! Ce serait dramatique.

― Je suis désolé, ma fille, s’excusa le bourreau en posant ses grandes mains sur les épaules de la jeune femme. Tu sais qu’Hölvi et moi souhaitons simplement te protéger. Tu auras bien assez à faire et à voir pour aider ton époux, une fois mariée, avant que tes enfants ne prennent la relève. Les choses que tu apprendras, plus tard, sur Higdrï te perturberons bien assez tôt.

Lui frottant le dos, son père embrassa les cheveux d’Eulalie.

― Allons, nous devons y aller à présent.

― Je ne comprends pas comment ces espions ont pu penser qu’ils échapperaient à la justice du Comte, releva Hölvi. Se rendre assez souls que pour avouer leur allégeance au Benyir en pleine taverne. Il faut vraiment être sots !

― Les alcools et leur distribution est plus différentes dans les terres arides, souleva le bourreau en retirant sa tunique pour enfiler celle préparée par sa fille. Ils n’ont pas dû comprendre ce qu’il leur arrivait avant de ses réveillés dans les cachots. Essuye la lame, nous ne pouvons pas être en retard.

Sortant de leur demeure, Eulalie suivit son père et son frère à travers les ruelles sinueuses de la ville, se dirigeant vers la place centrale où l’échafaud était déjà dressé. Le ciel matinal était d’un gris pâle, et une légère brise faisait frissonner les étendards accrochés aux bâtiments. Les rues, normalement animées et bruyantes, étaient étrangement silencieuses, comme si la ville elle-même retenait son souffle en prévision de l’événement sombre à venir.

Les pavés sous leurs pieds résonnaient d’un écho sourd, rythmant leur progression inéluctable vers le lieu de l’exécution. Eulalie, la tête baissée, observait les ombres d’Hölvi et leur père s’étirer devant elle, allongées et déformées par la lumière naissante. Elle remarquait les regards furtifs des habitants, qui, depuis leurs fenêtres ou derrière les portes entrouvertes, jetaient des coups d’œil empreints de crainte, de curiosité et parfois de dégoût. Elle ressentait le poids de chaque regard, comme une lourde couverture tissée de jugements silencieux.

D’ordinaire, le marché était un lieu de tous les bruits, de tous les parfums, de tous les échanges. Les vendeurs s’attelaient derrière leurs étals, proposant leurs denrées avec force gestes et discours. Les tables regorgeaient de produits frais et d’aliments rares, venus de loin pour satisfaire les appétits des riches et des pauvres. Les fruits et les légumes se déversaient dans une palette de couleurs chatoyantes, offrant à la vue des clients des mets alléchants et appétissants. Les viandes et les poissons étaient suspendus à des crochets, laissant échapper une odeur alléchante qui faisait saliver les passants.

Les tisserands et les tailleurs exposaient leurs étoffes et leurs vêtements, des tissus fins et colorés pour les dames, des habits chauds et solides pour les hommes. Les chaudronniers et les forgerons martelaient leur métal, créant des outils et des armes pour les besoins du château et des campagnes. Un capharnaüm qu’Eulalie appréciait particulièrement et qui lui donnait l’impression d’être vivante.

Or, tout était beaucoup plus calme en cette lunée. Au centre des artisans, échafauds et gradins avaient été montés durant la nuit. Des gardes étaient déjà en place, formant un périmètre autour de la structure. Les premiers curieux s’y pressaient, murmurant entre eux, avides d’être aux premiers rang du spectacle. Ceux-là, étaient des hommes qui appréciaient voir couler le sang. Plusieurs bouchers, leurs tablier blanc déjà maculé de tâches rouges et brunâtre, avaient abandonnés leur femme à la vente. Poivrots et indigents passaient entre les commerçants, mains tendues dans l’espoir de recevoir une piécette.

Partout, les gens d’armes, dans leur cotte de maille, assuraient la sécurité d’un œil acérer. D’une œillade, Hölvie indiqua à sa sœur trois Gardiens de la Flamme qui priaient en silence dans un coin. Reconnaissable à leur chainse blanche ornée d’une Flamme bleutée. Réhaussée de fine flammèche, l’habit de l’un d’entre eux le définissait comme un mage.

Détournant aussitôt les yeux, la jeune femme n’en revint pas. Il était rare que les Gardiens sortent de leur Commanderies. Encore plus de les apercevoir lors d’exécutions publiques.

À quelques pas d’Eulalie, devant une maison au volet de bois abaissé, un apothicaire vendait des potions et onguents, promettant la guérison de tous les maux et la beauté éternelle. Celui-là n’était pas vraiment un escroc, simplement un jeune homme de bel allure ayant repris l’affaire familiale et qui s’avait parlé à ses dames.

La figure agréable, Klërin était un garçon gentil, pas beaucoup plus âgé qu’elle et qui lui offrait depuis son comptoir des sourires charmeurs. Propre sur lui, les dents soignées et un agréable parfum de plantes embaumant ses vêtements, plusieurs filles de marchants le considérait comme un partit convenable. Certaines, l’aguichant même ouvertement durant les heures les plus tranquilles de la lunée.

L’air sombre, Hölvi adressa un moue d’avertissement à l’homme. Il était de notoriété publique que le commerçant appréciait la fille du bourreau. Son statut de pariât empêchant pourtant toutes approches honnêtes. Le père du Klërin avait été on ne peut plus clair à ce sujet avec Übrok, le bourreau. Son fils était promu à un bien meilleur avenir.

De plus, les manières trop onctueuses du jeune homme ne plaisait pas à Eulalie. Il y avait derrière ses sourires, quelque chose qui la dérangeait. Un soir, elle avait trouvé à la porte arrière de leur masure un maquet soigneusement enveloppée. À l’intérieur, une crème onctueuse et odorante l’attendait. Hölvi avait été furieux et s’était empressé d’aller rendre le présent avant que leur père n’apprenne quoi que ce soit à ce sujet.

Une cliente approcha de Klërin et se mit à marchander sur le prix d’un cosmétique particulièrement couteaux. Son sourire charmeur eu raison de la femme et il badina encore un peu pour le plaisir. Pinçant les lèvres, Eulalie se promit de mettre l’apothicaire en garde, celle-là était l’épouse d’un tonnelier particulièrement jaloux qui levait la main sur la belle, aussi régulièrement que le coude à la taverne.

L’un des avantages à appartenir à la famille du bourreau était de pouvoir écouter les conversations sans qu’on ne lui prête attention. Personnes ne restait trop longtemps à regarder les parias.

Les senteurs du pain frais et chaud se déversèrent sur la place et Eulalie saliva. Le boulanger installer aux coins, en face du fromager, venait juste de terminer sa dernière fournée. L’un des privilèges de sa famille était qu’une part de leur paiement se faisait à même le marcher. Il ne s’agissait pas d’un impôt à proprement parler mais d’une dîme. Une louche spéciale de la taille du poing d’une homme moyen dans sa besace, le bourreau avait le droit de prélever directement des denrées à même les étales.

La jeune femme savait qu’une fois l’exécution passée, il serait de son devoir de faire le tour des marchands. Avec un peu de chance, Hölvi l’accompagnerait. Les citoyens étaient toujours plus généreux lorsque c’était elle qui effectuait cette tâche. Mais le visage sérieux et harmonieux de son frère leur valait parfois un peu plus de complaisance de la part des dames. La bouchère du coin sud en particulier.

Une nuit, il y avait plusieurs révolutions, Eulalie avait entendu son frère confier à Kireön, leur ainé, que c’était elle qui avait fait de lui un homme. Mariée, les femmes adultèrent ne risquaient pas d’être frocées d’épousé le jeune fils du bourreau. Quant à leur mari, peut avaient envie d’affronter un homme entrainé à faire souffrir et tuer des personnes.

Les lois étaient strictes au sein du Pacte, mais un accord tacite prévalait pour tous : rien n’existait sans preuve. Hormis la perte de l’honneur d’une damoiselle.

Arrivés à l’échafaud dresser et imposant, construit en bois robuste, la famille du bourreau en monta les marche. La hache, sur l’épaule, Hölvi pivota de façon théâtrale afin que la lame brille d’un éclat sinistre sous les premiers rayons du soleil. Eulalie sentit une nausée la saisir à la vue des gradins sur lesquels avaient été installer des fauteuils rembourrer. Son cœur se serra en pensant à la tâche que son père et son frère devaient accomplir. À la violence froide et méthodique de l’acte qu’ils allaient perpétrer pour le plaisir du Comte et de sa suite.

Elle se tenait là, témoin muet de cette marche funèbre, partagée entre son devoir familial et la répulsion qu’elle éprouvait pour ce spectacle de mort. La place se remplissait peu à peu, la foule grandissant, certains venus uniquement pour le marché, d’autres par obligation, les derniers et non des moindre pour un morbide intérêt. Dans l’air matinal, le mélange des émotions – peur, anticipation, horreur – créait une tension presque palpable. Eulalie, malgré elle, se préparait à assister à l’exécution, se demandant comment les cris et le bruit de la hache résonneraient dans son âme déjà si lourdement chargée.

Les voix s’élevèrent dans la direction du Palais et les badauds ouvrirent un passage à un groupe de chevaliers en tuniques aux couleurs azur et or du Comte de Nuzeo, escortant les prisonniers vers l’échafaud. Leur démarche était assurée, leurs visages impassibles, cottes de maille et gantelets reflétaient le ciel gris. Parmi eux, Eulalie reconnut Alaric. Son cœur se serra à sa vue ; il se tenait là, droit et fier, épée à la hanche, l’image même de la chevalerie. Elle sentit ses sentiments pour lui affluer, mêlés de crainte et d’admiration.

Affectés à la garde personnelle de la Noblesse qui défila derrière le Comte, Ayleri d’Herlëv et lui encadraient de belles Dames engoncées dans des robes d’étoffes luisantes. À chaque coin de l’estrade des gradins, Eulalie aperçut un Gardien de la Flamme à l’atour de mage. L’ampleur de la menace qui pesait sur leur pays et le Pacte la frappa aussi surement que la foudre.

S’arrêtant au centre de la construction, devant le plus luxueux des fauteuil, le Comte de Nuzeo, un homme imposant revêtu d’une cape richement brodées, observa la scène avec une autorité indéniable. Aux pieds de l’estrade, Alaric s’était posté à trois pas de la Vicomtesse de Montmörzy.

Quatre chevaliers, imposants à l’air sombre, parmi lesquels l’ancien protecteur d’Alaric, Gontränn de Montmörzy, se frayèrent un chemin à travers la foule compacte, entraînant derrière eux deux prisonniers dépenaillés. Ces derniers, les vêtements en lambeaux et le visage et la peau marqués des stigmates de leur torture, trébuchèrent sur les pavés inégaux, poussés sans ménagement par leurs geôliers.

Les chaînes qui entravaient leurs poignets cliquetaient à chaque mouvement brusque, un son métallique qui tranchait avec le murmure de la foule. Leurs yeux, emplis d’une lueur de défi mourant, balayaient la place, s’attardant brièvement sur les visages des spectateurs, comme pour graver dans leur mémoire les témoins de leur fin prochaine. Alors qu’ils approchaient de l’échafaud, la tension dans l’air devenait palpable. Jetées aux pieds du père d’Eulalie, les condamnées firent mine de grogner sur le bourreau. Impassible, ce dernier enfilé sa cagoule noire. Imitant leur père, Hölvi repoussa cependant sa cadette d’une main.

Obéissante, les mains jointes sur les genoux, Eulalie recula.

 Le Comte, debout sur l’estrade improvisée, s’avança pour annoncer la sentence. D’un geste de la main, il réclama le silence avant d’annoncer solennellement la sentence.

― Par mon autorité de Comte de Nuzeo, Vassal du Roi Öktol, protecteur de ces terres, au nom de la justice, d’Ogdal et des Saints que nous servons tous, commença-t-il, la voix forte et claire. Ces hommes, reconnus coupables d’espionnage et de trahison envers le Pacte, seront exécutés séant ! Que leur sort serve d’avertissement à ceux qui osent défier notre souveraineté et notre foi !

La foule, qui jusqu’alors murmurait, tomba dans un silence pesant, interrompu seulement par les cris des prisonniers. Encerclés par des gardes imperturbables, ils se mirent à proclamer bruyamment leur foi et leur allégeance.

― À bas le Pacte et ses chiens de Gardiens ! Nous sommes la voie d’Higdrï ! hurlèrent-ils, leurs timbres emplies de défiance et de fureur. Votre fin est proche, chevaliers sans honneur ! Ogdal ne vous sauvera pas de notre vengeance ! Vos mages seront anéantis dans les cavernes du jugement, noyés dans le lac de la purification ! Votre magie impies détruites et votre Dieu profané !

Leurs paroles, pleines de haine et de défi, se répercutaient dans la place, provoquant des réactions diverses parmi les spectateurs. Certains détournaient le regard, d’autres les fixaient avec mépris ou peur. Eulalie, dans un recoin de l’échafaud, sentit sa gorge s’assécher. Ces mots, chargés de convictions et de malédictions, résonnaient comme un écho sombre à ses oreilles. Instinctivement, elle chercha Alaric du regard. Une main refermée sur son médaillon, le chevalier accusait les lèvres frémissantes de colère cet outrage.

Elle n’avait pas besoin de deviner ce que ressentait en ce moment l’homme qu’elle aimait. Sa piété était sans faille. Bientôt, il devrait prouver sa valeur dans ce conflit et accomplissant son devoir sacrés. Des larmes traitresse lui brulèrent les yeux à l’idée qu’il partirait pour la croisade du Benyir. Loin d’elle pour des cycles, des révolutions, à jamais peut-être. Il n’était pas impossible que cette guerre lui prenne la vie.

Il était certain en revanche, qu’à son possible retour, elle soit mariée et mère de plusieurs bambins.

Se tournant sur sa sœur, Hölvi haussa un sourcil face à son visage ruisselant de larmes. Agitant les lèvres dans une grimace contrariée, il recula d’un pas pour s’approcher d’elle.

― Ne laisse pas les paroles de ses incroyants t’atteindre, Eulalie.

Murmurant une prière à Ogdal, la jeune femme remercia les Saints de la sollicitude de son frère et de son inquiétude qui le gardait aveugle. Jetant un rapide coup d’œil à Alaric, la fille du bourreau le vit lui adresser un mouvement discret du menton. À son soulagement, Gontränn de Montmörzy, lui répondit, pensant que ce signe lui était adressé.

La tension dans l’air était à son comble alors que le bourreau et son fils se préparaient à exécuter la sentence. Le tumulte envahit la place centrale, le choc et la consternation se lisant sur les visages des chevaliers et des citoyens rassemblés. Les cris des prisonniers résonnaient toujours, exacerbant les tensions déjà palpables dans l’air. Les citoyens se pressaient les uns contre les autres, certains levant les yeux vers le Comte, attendant sa réaction.

― Silence ! ordonna ce dernier d’une voix puissante qui s’éleva au-dessus du brouhaha.

Ses mots semblèrent figer l’air lui-même, capturant l’attention de tous. Pivotant sur lui-même, le Seigneur regarda un à un, Gardiens, chevaliers, gens d’armes et Noblesse, balayant la place avec intensité.

― Face à une telle preuve de soulèvement et d’hérésie, il n’y a qu’une seule réponse possible, déclara-t-il solennellement. Mes troupes et moi-même partirons demain, au lever du soleil. Avec l’aide de nos alliées du Pacte, nous marcherons sur le Benyir pour défendre notre foi, nos mages et notre honneur !

Un murmure parcourut la foule, un mélange de crainte et d’approbation. Eulalie sentit son cœur battre plus fort en entendant ces mots. Alaric, à quelques pas d’elle, se teint immobile, son expression difficilement déchiffrable tandis qu’il se tournait sur Ayleri. Le départ imminent pour la croisade du Benyir sembla brusquement indéniable.

Eulalie observa les chevaliers, dont beaucoup hochèrent la tête en signe d’assentiment. L’annonce du Comte avait transformé l’atmosphère, imposant un sentiment d’urgence et de destinée. Elle regarda Alaric une dernière fois, se demandant si elle le reverrait une lunée après son départ.

Le bruit de la lame tranchant la chair le détourna de sa contemplation. Sa lourde hache dressée par-dessus sa tête, Übrok décapita le deuxième condamnées dans une gerbe de sang, au moment où la jeune femme reprit conscience du monde qui l’entourait.

🗡️

Le palais du comte était une merveilleuse construction en pierre, aux murs épais et aux tours élancées. Les tours s’élevaient majestueusement dans le ciel, comme des sentinelles fidèles veillant sur le domaine. Se frottant vigoureusement les yeux, Alaric chassa la fatigue de son visage et se retourna sur Ayleri qui n’arborait pas une mine plus fière que lui. Ils avaient passés la lunée à arpenter le campement de fortune s’amassant sous les murailles. Leur départ imminant éveillant les sangs de bien des hommes.

Passant le portail d’entrée aux dimensions immenses et orné de sculptures en pierre représentant des dragons et des gargouilles, ils échangèrent un sourire de connivence. La porte de bois grinça sur leur passage et Aldebert les salua vaguement de la main. Menant leurs montures à l’écurie, ils les confièrent aux bons soins des palefreniers après leur avoir flatté l’encolure. Non loin de là, un page âgé d’à peine huit ou neuf révolutions sortit par une porte de l’arrière-cour.

― Messire D’Aprelön, appela le petit hors d’haleine. Ma Dame la Vicomtesse vous fait demander, Messire.

Interdit, Alaric se retourna sur l’enfant qui s’était arrêté à deux pas de lui, haussant un sourcil, Ayleri marqua son questionnement. Être convoqué par une personne aussi importante n’annonçait rien de bon pour le jeune homme. Contrarié, il haussa les épaules et suivit le garçon. Il ne servait à rien de poser des questions au petit Page. Cela, il le savait pour avoir lui-même transmit à mainte reprise des messages sibyllins. Dans ses jeunes révolutions, se faire houspiller par des nobles empressés lui demandant des informations qu’il ne possédait pas, l’avait agacé.

Loin de lui l’idée de passé aux yeux du gamin pour un vieux barbon.

Épuisé, il profita de passé à côté de la fontaine de la cour pour s’asperger le visage de liquide tiédit par les températures clémentes. Cela le rafraichit, bien que l’air ne fût pas suffoquant, et éveilla un peu ses sens. Se frottant vigoureusement la nuque, il rinça en vitesse ses cheveux, quittes à mouiller sa cape et le bord de sa tunique.

Tout valait mieux que de tomber endormi face à la Vicomtesse de Montmörzy. Envieux, il vit Ayleri se diriger d’un pas lent en direction du dortoir qu’ils partageaient, là où l’attendait son matelas de laine et son oreiller en plume.

La pensée de sa couche le ramena à la lunée qu’il avait passé en compagnie d’Eulalie, lové entre ses bras. Ses quatres nuits où il n’avait pu trouver le sommeil, en écoutant sa lente respiration, en inspirant à chaque respiration une bouffée de son odeur. Il avait passé des heptalunes en arme, pourtant, son haubert ne lui avait jamais paru plus lourd qu’alors qu’il savait qu’une nuit seulement le séparait de cet instant où il la quitterait pour un temps infini.

Prit dans la culpabilité, Alaric se confessait chaque lunée au Moine  de ses pensées et des promesses que lui avait fait miroiter Eulalie. Sans jamais prononcer son identité, cela était une évidence. Pour la peine, il était à l’amande durant quinze lunées, au pain et à l’eau. Sa pénitence s’ajoutant à celles qu’il cumulait à chacun de ses passages à confesse. Soumis au vice, il ne pouvait cependant pas s’empêcher de penser à elle, chercher sa compagnie. Même lors de son adoubement ou de l’exécution publique de ce matin.

Suivant distraitement, le Page, Alaric prit conscience d’être arrivé dans les plus beaux étages du Palais, ceux réserver à la stricte privatisation de la noblesse. Les murs étaient tapissés de riches représentant des scènes mythiques et historiques. Des chandelles éclairaient les couloirs d’un luxe ostentatoire et les lourdes portes menaient aux appartements des différents invités, temporaires ou permanant, des Seigneurs.

Derrière les battants, le faste, la grandeur et la beauté du palais cachaient certaines tensions, des querelles qui pouvaient être aussi ancestrale que récente. Les sujets du Comte avaient pour habitude de chuchoter dans les couloirs, s’interrogeant sur les intrigues et les rivalités qui se jouaient en coulisse. Des préoccupations qui n’avaient jamais intéressé le chevalier. Les serviteurs se méfiaient les uns des autres, cherchant à découvrir les secrets de leurs collègues pour en tirer profit.

― C’est ici, Messire, annonça le garçonnet en s’arrêtant devant une porte sur laquelle il frappa trois coups. Messire D’Aprelön, Vicomtesse de Montmörzy.

Comme s’il ignorait où il se trouvait… Mu d’une bouffée de nostalgie, Alaric jusqu’alors impassible, ébouriffa les cheveux de l’enfant et ourlant ses lèvres d’un sourire. Cette marque d’affection toucha le petit qui le détailla les yeux brillant d’admiration.

― Entrez, Messire D’Aprelön ! ordonna la Dame.

Abandonnant l’enfant, Alaric entra dans les appartements luxueux, et veilla à refermer la porte derrière lui. Le Vicomte étant l’un de ses supérieur et son épouse ayant au minima trois décennies de plus que le jeune chevalier, il ne pourrait être accusé d’adultère avec…

Cherchant des yeux la Vicomtesse, son cœur rata un battement et la bile lui remonta à la gorge en voyant Falia, tête basse, dans ses habits de servant, face à sa maîtresse. Le corsage de sa robe avait été légèrement dénouer pour mettre en évidence la proéminence de son ventre. Une marque rouge sur sa joue montrait qu’elle avait été giflée. Pas par un homme, la trace des doigts était bien trop fine.

Assise sur la chaise de sa coiffeuse, Dame de Montmörzy était couverte d’une épaisse robe de chambre et soie et fourrure, vert sapin. Les cheveux défaits, elle avait étalés ses longs cheveux bruns foncé mêler de gris sur ses épaules, pour leur éviter de descendre jusqu’à la chute de ses reins. Des épingles d’or étaient disposées dans une coupelle devant elle, et Falia tenait encore à la main un peigne d’argent.

― Me voici ravie de vous voir, Messire Alaric. Voyez-vous, je voulais me faire choyer comme chaque soir par ma servante, quand on m’a envoyé celle-ci. J’avais oublié que Rose était partie faire ses adieux à sa mère. Je n’y ai pas vu d’objection, jusqu’à ce que je remarque une grimace sur son visage. C’est que le reflet d’un miroir peu dévoiler bien des secrets…

Un gémissement échappa à Falia, une marque de l’humiliation cuisante qu’elle devait ressentir. Une œillade noir de la Vicomtesse suffit à la faire taire. Bougeant son poids d’une jambe à l’autre, Alaric se sentit immédiatement plus réveiller que jamais.

― C’est là qu’elle à toucher son ventre. Alors, je lui ai demandé de combien de cycle elle était enceinte. J’aime les enfants voyez-vous, moi-même j’en ai porter dix-huit. Elle m’a répondu qu’elle ne pouvait être grosse, car elle se trouvait veuve… les seins gorgés de lait ne trompent pas… Je me suis assurée de mes doutes, avant de la punir pour son mensonge et sa dépravation.

Portant la main à sa croix, le chevalier réfléchit à toute allure, ce n’était pas pour rien, qu’elle l’avait fait appeler lui, et pas un autre chevalier. La rancune gonfla dans son esprit en comprenant que, afin de se sauver, Falia avait donné son nom à la Vicomtesse.

Or, les rondeurs ne trompaient pas, ce marmot était l’un de l’été, il ne pouvait donc en être le père. À cette époque, il était en voyage avec plusieurs chevalier pour les affaire du Comte. Vexé que son ancienne amante ait chercher à le piéger. Sans doute avait-elle compris qu’il ne lui reviendrait pas et voulait-elle qu’il soit pris en faute avant qu’il lui échappe.

Gontränn l’avait mis en garde la veille sur les intentions de la belle.

Dardant ses yeux dans ceux ennuyer de son ancienne maîtresse, il la défia de continuer ses allégations.

― Vous ne m’apprenez rien, Dame de Montmörzy. Tout comme je devine ce que vous imaginez. L’un de mes compagnon d’arme m’a prévenu de l’état de Falia et de la possibilité qu’elle cherche un père pour son enfant. C’est l’une des raisons qui m’a conduit à ne pas reprendre la liaison que nous avions.

Loin d’être outrée par ses paroles, la Vicomtesse toisa sévèrement la servante en émettant un sifflement qui en disait long sur ses pensées. Fronçant le nez, elle le regarda ensuite avec dédain.

― Vous me paraissiez être un homme d’honneur qui reconnait ses bâtards. Me voici désappointée de m’être trompée.

L’attaque à son honneur le hérissa.

― Si le rejeton était le mien, c’est avec humilité que j’aurais assumé mes fautes et épousé la mère avant de reconnaitre l’enfant. Néanmoins, cela n’est pas le cas. J’ai en compagnie de votre fils cet été et nous n’avions repris notre liaison qu’à l’automne. Écarts durant lesquels elle prenait garde de rester dument couverte.

Les prunelles perçantes de la Vicomtesse se plissèrent de mécontentement. Il n’y avait pas de doute quant au fait qu’elle eut espéré qu’il en serait autrement.

― Et alors que vous ne pouviez plus profiter des faveur de cette jeune sotte, vous avez retourné vos ardeurs sur une damoiselle encore moins respectable.

L’air se bloqua dans la gorge du chevalier. Dame de Montmörzy savait.

― Je n’ai point à vous rendre compte de mes affaires privées, Ma Dame, balaya-t-il avec respect. Sachez seulement que mes prétentions envers celle qui ravi mon cœur sont honorables et que contrairement aux racontars…

― Vous ne l’avez pas prise, parce qu’il vous ait possible de vous complaire avec ce genre de putrelle à la cuisse légère.

Une certitude infâme s’encra en lui en entendant les inflexions goguenardes. Elle prendrait un malin plaisir à en informer Eulalie. La fille du bourreau pouvait s’avérer être une excellente source d’information pour une Dame aussi avide de pouvoir que l’épouse du Vicomte de Montmörzy. Son propre fils, s’en méfiait.

D’un revers de main, la Vicomtesse passa sa colère dans une gifle tonitruante qui fit tomber à genou Falia. Tous ses instincts chevaleresques en éveil, Alaric se précipita pour lui venir en aide. Une main sur sa joue tuméfiée, l’autre sur son ventre, la servante sanglota en refusant le mouchoir qu’il lui offrit.

― Heureusement, d’après mon mari, il est encore possible de se servir de votre nom et de votre lignée, le congédia d’une main Dame de Montmörzy. J’ai demandé à mon époux que vous soyez mis au plus près de lui. Vous et mon fils avez une place à jouer dans cette croisade et nous nous assurerons que ce sera la bonne. Quant à vous, espèce de petite garce, je vous conseille de trouver un père à votre bâtard avant que la Comtesse ne s’aperçoive de votre état. Maintenant sortez tous les deux !

Le claquement sec de son injonction poussa Alaric à relever maladroitement Falia pour l’escorter jusqu’au couloir. Prise d’une quinte de larmoiement, elle cachait d’un bras son corsage ouvert, alors qu’il la conduisait au bas de l’escalier de service. La blancheur de ses seins dépassant du tissu se soulevait au fur et à mesure de la respiration de la servante qu’il portait à moitié. Veillant à regarder aux alentours s’ils ne pouvaient être vu, le chevalier la conduit jusqu’à une réserve voûtée des caves où ils s’étaient parfois laissé aller à la passion.

― Referme tes laçages avant qu’on ne soit vu, la bouscula-t-il nerveux à l’idée qu’on les aperçoit. Je connais les raisons qui t’ont menée à vouloir me faire prendre pour le père, cependant, je ne reconnaitrai pas un enfant qui n’est le mien et qu’on m’aurait imposé par malice.

Renouant le corsage de ses doigts malhabiles, Falia repoussa de ses yeux des mèches rousses baignées de larmes. Dans la brusquerie des réprimandes de la Vicomtesse, des boucles s’était échappées de sa coiffe de l’un blanc. Ses lèvres rouges et pulpeuses tremblant sous le choc, elle le dévisagea de ses yeux couleur de l’ambre.

― Qui t’a… qui t’a dit pour l’enfant…

Autrefois, son désarrois aurait poussé Alaric à la prendre dans ses bras. Mais la fourberie dont elle avait fait preuve envers son honneur l’avait trop profondément blessé pour cela.

― Gontränn. Quand on souhaite cacher son état aux hommes, Falia, le plus sûre est de ne pas laisser un grand nombre d’entre eux caresser les conséquences de celui-ci.

― Tu ne disais pas la même chose, alors que tu faisais partie du trop grand nombre d’homme que j’ai laissé aller entre mes cuisses.

La dureté de son ton le surprit. Loin de rester groggy par sa mésaventure, Falia semblait plus en proie à la colère qu’à la contrition. De plus, il lui avait paru être le seul à avoir l’obligeance de ses faveurs, après le décès de son époux, un cuisinier. Or, elle venait d’avoué avoir eu bien plus d’un amant à part lui. Une chose qu’il aurait cru impossible de sa part s’immisça dans son esprit, le forçant à reculer d’un pas, tant être proche d’elle le répugnait à présent.

― Tout cela n’était-il qu’un piège pour changer ton statut au Palais ? Épouse de chevalier est une position enviable comparer à celle qui te force à t’agenouiller pour nettoyer les dalles sur lesquelles les Nobles marchent sans même te voir.

Amer, Falia fit la moue en caressant son ventre.

― J’avais prévu que l’un d’entre vous tombes sous mes appâts et veille me garder pour lui seul, avoua-t-elle sans remords. Je veillais à ne pas recevoir de semence, mais… un visiteur a été plus brutal que prévu.

― Alors tu t’en es retourné sur de nouveaux amants.

Prit d’une nausée, Alaric se pinça d’une main l’arête du nez, en prenant son crucifix de l’autre. Il aurait pu se faire prendre au piège. Il l’aurait été sans la clairvoyances de Gontränn et les bavardages de Bërùn. Prisonnier dans un mariage qu’il ne voulait pas, il aurait vécu avec une femme qui devait en réalité le mépriser. Élevant un enfant qui n’était pas même le sien.

― Tu t’es jouée de nous. De moi.

― Au moins étais-tu d’une agréable compagnie, se moqua Falia en rattachant ses cheveux et essuyant les vestiges de ses larmes. C’est déjà bien plus que d’autres… Surtout, ne dit rien, je t’en prie… L’écuyer de Messire Flörïn à un faible pour moi, on dit qu’il sera adoubé à votre retour… Les bébés nés à sept cycle ne sont pas rares…

― Tu es abjectes, se désola le chevalier en se dirigeant sur la porte de la réserve qu’il avait veillé à laisser entre-ouverte. J’exècre les commérages, aussi ne dirais-je rien de tes manigances, toutefois, sache qu’elles sont déjà connues des autres chevaliers.

― Penses-tu que j’ai le choix ? réagit Falia en le rattrapant par le poignet. Je n’ai pas plus de contrôle sur ma vie que ta bien chère Constance. Si avant que mon état ne se voit je n’ai pas trouvé de mari, je serais contrainte à rejoindre les hordes de filles qui hantent bordel et étuves, pour nourrir mon petit. Les filles mères n’ont aucun avenir.

D’un geste ferme mais délicat, Alaric retira un à un les doigts qui le maintenait, et planta ses iris dans ceux de la servante.

― Dans ce cas, soit honnête avec l’homme que tu convoite. S’il t’aime, il t’offrira son nom et sa protection.

― Il n’est jamais question d’amour dans la vie des femmes, hormis ceux qu’elles portent à leur progéniture.

Passant devant lui, Falia releva le menton en s’engageant dans les escaliers de pierres menant au premier étage. Sa bravade mit à mal la volonté que le chevalier éprouvait à la traiter à la façon d’une femme de mauvaise vie. Elle n’avait pas tort, lui-même avait profité de ses largesses sans imaginer les conséquences qui pourraient en découler.

Trop occuper à s’imaginer échanger des vœux, il ne lui était pas apparu qu’Eulalie, avait qui il s’imaginait construire une famille, n’aurait peut-être pas ce choix. Il partirait le lendemain pour un temps dont tous ignoraient la durée. Ne sachant rien des projets qu’il nourrissait pour la fille du bourreau, son frère ou son père l’offrirait à un homme qu’elle ne le considérerait pas davantage que comme un partit acceptable.

Un époux qu’elle supporterait dans sa couche en faisant mine dans apprécié les étreintes, afin de s’assurer sa protection. Un géniteur qui paierait avec satisfaction les dépenses de ses enfants et les élèveraient dans le rejet de leur profession. Cette éventualité le heurta de plein fouet.

Sa très chère et tendre Eulalie connaîtrait le même sort que ces femmes forcées de partager la vie d’un mari qu’elles n’avaient pas choisi.

La nuit était déjà bien avancée, lorsqu’Alaric pénétra dans le dortoir pour se préparer à se reposer, en compagnie de ses frères d’armes, après une longue lunée de travail. Il était épuisé mais heureux d’être dans le palais du Comte, où Ayleri et lui étaient en sécurité pour une nuit encore. Leur voyage serait sans doute le théâtre d’escarmouches, d’attaques, de combats et de trahison. Ne dormir que d’un œil serait à présent leur quotidien.

Leur dortoir était spacieux et confortable, la chaleur s’y gardait bien et les courant d’air était rare. Des chandelles de cire blanche étaient disposées sur des candélabres en fer, créant une atmosphère apaisante. Les murs étaient recouverts de tapisseries défraichies, représentant des scènes de bataille et de chasse.

De grands lits en bois massif, avec des coussins et des couvertures en laine, étaient disposés en ragées. Au pied de chaque lit, une grande malle en bois contenait les affaires personnelles de chaque chevalier. Un joyeux brouhaha de rire, de chuchotement et d’exclamations diverses se mêlaient dans l’air. Des relents d’alcool, de cuir et autres effluves typiquement masculines emplissaient les lieux.

Se laissant tomber sur sa couche de laine au drap de lin, Alaric posa ses pied sur le coffre au bout de celle-ci et soupira.

Il ne put s’empêcher de faire le parallèle avec la chambre luxueuse qu’il recevait lors de ses visiter à Herlëv ou D’Aprelön, mais bien plus encore, avec le lit à courtine qu’il avait partagé avec Eulalie.

― Je t’ai connu bien plus coquet que cela, le taquina Ayleri dont il entendit grincer la couche.

― Ne t’y trompe pas, je vais me rincer avant de m’assoupir, grogna Alaric en cachant ses yeux d’un bras. J’avais simplement besoin d’un peu de paix, avant de rejoindre mes songes.

― Que te voulait la Vicomtesse ?

Une partie des conversations se ture sous sa question. À moins d’être marié et de posséder sa propre chambre ou masure, aucun secret n’existait entre les chevaliers. Pour la bonne raison que l’intimité était un concept qu’ils perdaient dès leur plus jeune âge. Aussi savait-il que plus d’un de ses camarades se trouvaient suspendu à ses lèvres.

― Me faire reconnaitre le rejeton de Falia.

― Tu n’as pas fait cela, j’espère ! s’égosilla Ayleri.

Des jurons fusèrent des lits alentours. Bien plus de monde qu’il ne l’aurait cru l’avait écouté.

― Non, et cela je le dois à Gontränn et Bërùn. Sans notre discussions de l’autre soir, j’aurais été convaincu que l’enfant était le mien et aurait supplié l’abbé de faire sonner les cloches dès demain, les calma-t-il avec une certaine aigreur.

― Je suis donc fier de t’avoir évité cela, tonna la voix de Gontränn quelque part dans le dortoir. Après avoir mené mon enquête, je me suis aperçu que pas moins de dix de nos frères se sont perdu dans ses jupes. On ne peut qu’imaginer les cornes que devait avoir son époux.

― Ne porte pas de telles allégations, l’arrêta Alaric en s’asseyant sur son lit. Tu ignores ce qu’il en est. Elle lui était fidèle.

Au centre de la pièce, un grand feu brûlait dans une cheminée en pierre, réchauffant la pièce et répandant une douce lumière tamisée. Un bras appuyée sur la structure de pierre, Gontränn haussa un sourcil évocateur qui mit à mal les certitudes du jeune chevaliers. Rassemblés autour du feu, leurs confrères avaient arrêté de discuter de leurs exploits passer et de leurs projets pour le lendemain. Certains se livraient encore à des jeux de cartes ou de dés, tandis que d’autres préféraient lire ou méditer, essayant d’ignorer ce qu’il se passait autour d’eux.

― Ugzmad m’a avoué avoir butiné les pétales de sa fleur alors même que son pauvre époux fourrait un chapon dans la pièce d’à côté.

Les muscles tendu, Alaric eu l’impression qu’on venait de le jeter dans un lac en plein hiver. Elle s’était vraiment jouée de lui. Il aurait pu passer à côté de sa vie, ne pas connaître une part de bonheur avec une autre. Avec Eulalie. Pouvoir en toute honnêteté lui demander sa main.

Quant à Ugzmad… aucun des siens ne pouvait donc se targuer d’agir de manière honorable ?

― De toute manière, cette discussions n’a plus lieu d’être, elle n’épousera ni chevalier, ni écuyer avant notre départ…

L’air manqua au jeune homme qui se tourna éperdu sur son ami. Harassé, Ayleri souda ses lèvres dans une expression qu’il ne connaissait que trop bien. Ses yeux exprimant tant de pitié qu’Alaric surent que son ami connaissait et comprenait ses tourments.

― Si tu ne l’as pas encore fait tienne, va faire tes adieux à la fille qui occupe tes pensées. Demain, à l’aube, nous partons pour les croisades.

La menace de la Vicomtesse le frappa tel un couperet. Tout comme l’évidence qu’il lui serait impossibles de trouver Eulalie seule en un soir comme celui-ci.

Voilà, la fin de la première partie est là ! (45000 mots)
Les prochains épisodes seront plus court dorénavant (+-3000 mots par semaine)

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La nuit était déjà bien avancée quand Alaric se glissa le long des ruelles les plus étroites de Nuzeo. La demeure du bourreau, par convenance, était la plus reculée de la ville. Une simple masure que seule la présence d’Eulalie rendait chaleureuse. Capuche rabattue sur la tête, le chevalier se coulait parmi les ombres, prenant garde à ne pas être aperçu. Dans son dos, il pouvait sentir la carrure fine et élégante d’Ayleri le suivre à la trace. Malgré l’épée pendant à son côté, son ami restait aussi silencieux qu’un fantôme.

Lorsque le cadet d’Aprelön s’était levé d’un bon de sa couche, celui qui était depuis leur plus jeune âge son bras droit lui avait emboité le pas. À cette heure, la mignonne fille du bourreau ne serait pas seule à la demeure. Et, nonobstant son caractère facile et malléable, Ubrök restait un homme chatouilleux sur l’honneur. Quant à Hölvi… l’ainé de la fratrie était de loin le plus sanguin des membres de la famille depuis plusieurs génération. L’apprenti n’était de ceux dont on se moquait impunément.

Enfant, il avait su de nombreuses fois défendre de ses poings sa tendre sœur. Peu à Nuzeo était de ceux qui ignorait la tendance du jeune homme à se défouler l’injustice de sa condition dans les caves les plus sordides de la ville, lors de combats clandestins. Alaric avait été de ses ignorants, jusqu’à récemment. Les amis de Gontränn, tout droit venu de leur bourgade respectives s’étaient montrés bavards ces dernières lunée. Bien plus encore, une fois le nez rougit par l’abus de vin.

Fréquentant tripots et bordels, les soudards étaient revenus ─ les chausses sales et les tabards imbibés d’alcool ─ avec des histoires qui avaient glacés l’échine des plus jeunes chevaliers. Claquant de la langue, Ugzmad et Bërùn les avaient fait taire : trop tard. Le nez retroussé, les deux hommes avaient ordonner que les hommes présents se comportes avec un semblant de dignité. Le Comte n’appréciait pas savoir ses vassaux s’adonner à de telles bassesses dans leurs vices. Aussi, les écuyers de sa maison étaient-ils épargnés de toutes ces décadences durant leur formations. Pour ce qui était de leurs besoins, les filles offertes à la forteresse et les boissons servies dans les communs suffisaient.

Ainsi, Alaric avait-il eu connaissance des habitudes peu conventionnels, convenables ou honorables de celui qu’il aspirait à une lunée nommé « son frère ». Véritable Dieux Fourbes, une fois les étoiles régnant sur le ciel, Hölvi était, disait-on, animé d’une rage sans pareille dés lors que sonnait l’appel à la sixième prières. Enfermé avec un adversaire dans un enclos délimités par de basses palissades, le fils du bourreau se transformait en une bête assoiffée de violence.

Des révélations qui avait fait se questionner le chevalier sur ce qu’il adviendrait d’Eulalie en son absence. Sa belle souffrirait-elle les sautes d’humeurs de son frère ? Il était à parié que non. Ubrök était très attaché et sa fille. De plus, Hölvi n’avait toujours manifester qu’une affection sans borne à sa cadette qu’il surveillait en permanence du coin de l’œil.

En revanche, il n’était pas à douter que le belliqueux jeune homme viendrait à demander des comptes à Alaric s’il venait à apprendre sa conduite envers la jeune fille. Et prendrait justice, sans la réclamer au Conte, si la scandaleuse offre du Baron D’Aprelön concernant sa sœur lui revenait aux oreilles. Raisons pour laquelle Ayleri avait insister pour accompagner son ami durant ses pérégrinations nocturnes.

Ses divagations l’ayant mené à la porte rouge de la demeure du bourreau, le chevalier inspira en levant le poing sur le battant. Le craquement caractéristique d’une buche que l’on fend l’arrêta dans son élan. Se tournant sur son compagnon d’armes, le jeune homme vit celui-ci hausser un sourcil. La buée qui s’échappa de leur bouche s’éleva en volutes et Alaric frotta ses gantelets, le froid lui semblant soudain plus mordant. Qui donc pouvait couper du bois à cette heure indue ?

Par le volet fermé de la fenêtre, il apercevait la lueur d’une chandelle. Quelqu’un se trouvait à l’intérieur. Son cœur au pris dans les tourments, il espéra que ce fut Eulalie que sa famille gardait bien au chaud. De constitution délicate, la jeune fille ne devait pas être armée pour affronter les températures négatives qui s’étaient abattues sur Nuzeo.

S’armant de son courage, Alaric fit un signe discret de la main à Ayleri qui acquiesça d’un mouvement à peine visible. Resserrant leur cape contre leur tunique brodée aux armoiries de leur famille les deux chevaliers contournèrent la masure. Ils s’étaient mit d’accord pour s’adresser à Hölvi et lui dévoiler les émois et projets que le cadet D’Aprëlon nourrissait pour sa sœur. Si quelqu’un fendait des buches, cela ne pouvait être que le plus robuste de la maisonnée.

Un fils se sacrifiant pour les siens.

Les feuilles couvertes de givres craquant sous leurs pas, les deux hommes ne manquèrent d’attirer l’attention de la haute silhouette se découpant dans la lumière d’une lanterne. Bonnet enfoncé sur ses cheveux brun clair, Hölvi ramena sa lourde hache sur son épaule. Son autre main se referma sur la hanse de la lanterne qu’il leva devant lui. Un pied sur la souche, il adopta une posture qui se voulait aussi désinvolte que menaçante. En retrait, prêt de la porte arrière de la masure, Alaric cru apercevoir un mouvement accompagné du tintement du bois.

― Qui va là ? tonna la voix mécontente du fils du bourreau.

― Messire Ayleri d’Herlëv et Messire Alaric d’Aprelön, les annonça le premier en rabattant à peine sa capuche sur les cheveux encadrants son visage. Nous sommes chevaliers du Conte et venons quérir en notre nom une audience auprès d’Hölvi fils d’Ubrök le bourreau.

Expirant une longue bouffée de vapeur, Alaric remercia la réactivité de son ami. Un léger couinement, là, juste aux abords du battant de la porte attira son attention. Dans le noir d’encre de la nuit, le chevalier cru distinguer une silhouette empêtrée dans des vêtements trop large.

― Que me veut sa Seigneurie le Conte de Nuzeo ? s’enquit le jeune homme soudain moins belliqueux en rabaissant sa hache. Il est fort tard et il me reste un peu de labeur avant que ma famille soit à l’abri des gelées qui viendront cette nuit.

― C’est en notre nom propre que nous venons à vous, précisa Ayleri en avançant d’un pas. Messire d’Aprelön, ici présent à forte chose à vous confier avant de partir, à l’aube, pour le Benyir et les affrontements qui nous attendrons contre Higdrï.

Les ombres de son visages accentuées par la lumière de sa lanterne, Alaric vit les traits du fils du bourreau se durcir.

― Dois-je aller réveiller mon père ?

― Hölvi, non ! chouina le timbre affecté d’Eulalie depuis le coin de la porte où l’homme qui l’aimait avait cru l’apercevoir.

Se tournant vivement sur sa sœur, le concerné fronça durement les sourcils à son égard, la faisant taire. La petite masse sombre parut se tasser un peu plus dans l’obscurité et Alaric sentit son cœur se fendre. Cette fois, c’était bien la dernière fois qu’il la voyait. Portant une main à sa gorge, il s’empara de sa Flamme et pria Ogdal de ne pas commettre d’erreur.

― Non, confirma le chevalier en se rapprochant à son tour de deux enjambées. Ce qui m’amène est une affaire délicate et d’ordre privé pour laquelle je ne souhaite m’entretenir qu’avec vous… en présence de votre sœur.

La précision lui vint, tandis que le fils du bourreau levait une main impérieuse en direction de sa cadette pour la congédié. De là où il se trouvait, Alaric vit tous les muscles du jeune homme se tendre.

― Eulalie… grinça Hölvi les dents serrées dans une menace sous-jacente. Aurais-tu quelque chose à me confier, ma sœur ?

L’atmosphère se fit plus lourde et, reculant le buste, le cadet d’Aprelön prit conscience d’avoir commis une erreur dans son approche.

― Je n’ai rien fait ! plaida la jeune fille dans un sanglot en ramenant les buches qu’elle portait contre son buste. Je suis innocente…

Son frère ne manqua pas l’hésitation dans sa voix. Pas plus que l’œillade désespérée qu’Alaric vit briller dans sa direction.

― Votre sœur n’a commit aucune faute, clama Ayleri en contournant son ami de façon à se placer stratégiquement entre les deux enfants d’Ubrök. N’ayez nul doute sur sa pureté ou sa droiture, Messire d’Aprelön et elle, n’ont en aucun cas fait montre de…

― Vous, vous allez baisser d’un ton, conseilla le fils du bourreau l’air brusquement inquiétant derrière sa lanterne. Je ne tiens pas à ce que l’honneur d’Eulalie soit entaché par les frasques de chevaliers qui périront bientôt sous les lames infidèles.

L’atteinte à leur honneur heurta Alaric de plein fouet. Sur sa droite, Ayleri, une main sur la poitrine, affecta un air outré devant ses parole. Rabattant sa hanche sur son épaule, Hölvi avança avec une détermination et une assurance qui n’aurait pu être de mise dans des circonstances ordinaires entre des chevaliers et un bourreau. Ses yeux bleu foncé, semblables à ceux de son père, étrécis à ne laisser que deux fentes, il se planta face à Alaric.

La honte lui enserra la gorge au souvenir de ce qu’il avait fait.

― J’espère pour vous que ma sœur peut encore prétendre à un mariage honorable, gronda l’offensé sur le visage du quelle se dépeignait une rage animal qui manqua de faire faire amorcer au chevalier un mouvement de recul. Mon frère, notre père et moi avons des projets convenables et heureux pour elle.

― Elle le peut, jura Alaric un goût amère dans la bouche. Sur le nom de ma maison et devant Ogdal et les Saints, je jure que le plus gros égarement dans notre conduite me revient. Aussi ai-je volé à Eulalie un baiser dont le souvenir me couvre tant de félicité que de regrets. Savoir l’avoir profanée de la sorte…

Un crochet du droit l’atteignit durement à la pommette marquée d’une vilaine cicatrice. La peau se déchira une fois encore sous le choc et le chevalier se trouva étourdit. Crachant malgré lui une giclé de sang et de salive sur le sol, il releva un regard hébété sur Hölvi dont les phalanges venaient de se refermer sur le col de sa cape.

Ceinturant le fils du bourreau par derrière, Ayleri vint à sa rescousse. De l’une de ses mains délicates couvertes d’une moufles bordeaux, Eulalie couvrit celles rougies de son frère. La mine suppliante, les yeux noyés de larmes, la jeune fille posa sa seconde main contre la joue d’Hölvi, ramenant sur elle les yeux fou du jeune homme.

― Ne lui fais pas de mal, s’il te plait, mon frère chéri, supplia-t-elle dans un sanglot. Toi qui m’aimes, plus que quiconque, je…

― Tais-toi donc Eulalie ! vociféra son ainé avec une ferveur étouffée. Veux-tu alerté père et lui avoué tes fautes ? Comment as-tu pu te comporter avec la fourberie des putains qui…

Frappée par ses paroles, la jeune fille redoubla de chagrin. Malgré la poigne refermée sur sa gorge, Alaric ne pu ressentir autre chose que de la compassion pour sa bien-aimée. Tous les séparaient. Il avait voulu se conduire en homme d’honneur, avouer ses sentiments à Hölvi dans l’espoir d’avoir la bénédiction d’un allié pendant le temps que durerait son absence. Il comprenait à présent sa bévue et ses conséquences.

― Votre sœur n’est que Sainteté, plaida Ayleri en basculant le bassin afin que son adversaire ne relâche la pression qui étouffait son ami. Messire d’Aprëlon se présente à vous cette nuit pour vous en assuré et vous présentez les projets d’épousailles qu’il nourrit à l’égard de…

Alaric manqua de respirer, le temps de trois grains de sable. Il n’avait rien dit de ses intentions à son ami, pourtant, celui-ci, le connaissant plus que nul autre, devait en avoir deviné chaque point. Un nœud dont il n’avait pas eu conscience jusqu’alors, se défit dans ses entrailles. Quoi qu’il advienne, Ayleri serait à ses côtés.

― Un mariage ? railla le fils du bourreau en renâclant. Ce serait bien la première fois qu’on verrait un chevalier s’abaisser à renoncer aux privilèges de sa naissance pour se condamner à la réclusion et au mépris.

Repoussant le chevalier avec véhémence, Hölvi ponctua ses paroles d’un cracha peu séant sur le sol. Ses doigts recouverts de phalanges d’acier refermé sur le manche de la hache, Ayleri en avait empêché l’utilisation. Levant sa main redevenu libre, il asséna une gifle magistral à sa cadette qui vacilla avant qu’Alaric ne puisse réagir.

― Tu as de la chance que les infidèles s’occuperont bientôt de ton cas, chevalier, reprit-il avec mépris. Et que j’y laisserai ma tête, si je venais à t’ouvrir en deux sur le champs. Pour ce qui est de toi, Eulalie, heureusement que Père ne se remettrait pas de ta déchéance, sinon tu aurais filé tout droit chez la matrone pour qu’elle confirme ou non ta pureté ! J’espère que tu auras l’intelligence de nous éviter un bâtard. Père songeait t’envoyer avec l’ost jusqu’à Cazkër pour renouveler le sang des bourreaux Weerl-Niiens. J’ai vergogne à présent à tromper un homme honnête sur la droiture de sa potentielle épouse.

Le sang tambourina dans les tempes d’Alaric alors qu’il passait un bras malvenu derrière les reins d’Eulalie pour la soutenir. Cazkër ? La cité ne se trouvait qu’à quelques dizaines de lieues seulement du Benyir ! C’était de la folie d’envoyer un être aussi pure entre les bras de l’ennemi. Une autre vérité, bien plus cruelle encore, lui fit tournoyer l’esprit. Ubrök avait déjà en tête des prétendants pour sa fille… tous de bons bourreaux.

― Votre sœur n’est que pureté et innocence, insista Ayleri sans lâcher l’emprise qu’il maintenait sur la hache. Messire d’Aprelön est venu ce soir quérir votre aide afin d’avoir le temps de se démarquer en croisade et accéder aux privilèges qui le menait à demander au Moine Elu la communion de votre sœur et sa réhabilitation dans…

― Sa quoi ? s’esclaffa Hölvi incrédule.

Alaric, se reprenant malgré la douleur et le choc, fixa Hölvi d’un regard résolu.

― Croyez-moi, je n’ai que les intentions les plus honorables envers votre Eulalie, soutint-il d’une voix ferme, ignorant le lancement de sa joue. Je suis prêt à affronter mille péril afin de faire d’elle mon épouse.

Le regard furieux de Hölvi se posa sur sa cadette, qui trembla dans les bras d’Alaric. L’expression sur son visage était un mélange de colère, de déception et d’inquiétude. Il semblait déchiré entre son devoir de protéger sa sœur et sa colère envers Alaric. Pressant au plus prêt de lui la jeune fille, le chevalier lui offrit la protection de son corps.

― Si votre intérêt est sincère, chevalier, alors permettez-lui de ne pas se complaire dans de pareilles chimères, siffla le fils du bourreau. Elle ne sera jamais une dame, n’aura jamais sa place dans une chapelle ou agenouillée devant le Moine Confesseur à prendre communion. Ne lui promettez point un avenir illusoire que votre mort vous empêchera de lui offrir.

La tension entre les jeunes hommes était palpable, mélange d’émotions brutes et d’enjeux complexes. Alaric, tenant fermement Eulalie, savait que c’était la dernière fois qu’il la serrerait de la sortir, qu’il humerait son parfum, avant de très longs cycles, des révolutions, sans doute.

Hölvi, le regard toujours incandescent de rage, se détacha finalement d’Ayleri d’un coup d’épaule, lui abandonnant son arme. Secouant la tête avec un rictus amer en dévisageant sa sœur qui pleurait silencieusement, les larmes glissant sur ses joues. L’une d’elle, juste sous l’œil, commençait à se marbrer de sang et de vaisseaux éclatés.

― Ne gémit pas ainsi, je n’ai pas pour habitude de te frapper et Père me fera payer mon emportement à ton égard. Tu veux vivre de chimère, ma sœur ? Soit, je repousserai autant que faire se peut tes épousailles. Mais, en échange, n’offre pas à notre famille un bâtard l’été venu, cingla le fils du bourreau avec hargne. Pour ce qui est de vous, Messire, Soyez assuré, que si la moindre rumeur, devais empêcher Eulalie de faire un mariage convenable à cause de vos actions, si vous la salissiez en actes ou en parole, je me chargerais personnellement de vous le faire payer. Nous, bourreaux, ne sommes qu’une seule et même famille. Ici, ou dans le reste du Pacte, ne vous croyez jamais à l’abris de mon courroux.

Son timbre, bien que contenu pour éviter d’éveiller son père et le reste du quartier, vibrait d’une menace sous-jacente, un venin froid qui ne laissait aucun doute sur ses intentions. Dans ses prunelles sombres, Alaric vit briller un mal que le jeune homme masquait avec talent.

― Hölvi, je t’en supplie, ne dis pas cela. Messire d’Aprelön n’a pas… tenta de le calmer Eulalie, d’une voix ébréchée par les sanglots.

― Assez, rentre à la maison immédiatement avant de te compromettre davantage, l’interrompit son ainé d’un geste brusque de la main, son regard se posant sur Alaric avec mépris. Nous parlerons de cela plus tard, une fois que tu seras calmée. Quant à vous, chevalier, je vous conseille de bien réfléchir à vos prochaines actions.

Dans le froid pénétrant de la nuit, Alaric fut transpercé par le regard glaçant d’Hölvi qui pesait sur lui, aussi tranchant que la lame d’une épée. Bien que l’air fût glacial, une coulée de sueur perla dans son dos. Eulalie, tremblante et docile, s’éloigna de lui à contrecœur, lançant un dernier regard empli de désespoir vers le chevalier. L’instant où elle quitta ses bras lui laissa une sensation de manque abyssal, comme si une partie essentielle de lui-même s’était évanouie avec elle. Elle paraissait tiraillée entre son amour pour lui et son obligation envers son frère et sa famille.

Alors qu’Eulalie disparaissait dans l’obscurité, son pas incertain trahissant son affliction, le cadet d’Aprelön ressentit un vide immense l’envahir. La nuit semblait s’étendre, encore plus froide et sombre, tandis qu’Eulalie s’éloignait. Tournant les talons, son frère lui emboita le pas, se penchant à peine pour ramasser deux bûches restées au sol. Il n’adressa pas même un dernier regard aux chevaliers qui restèrent un instant pantois face à tant de mépris.

Alaric plongea dans une profonde tourmente. Le départ imminent pour la croisade, laissant derrière lui ce conflit non résolu avec Eulalie, était une torture pour son âme. Il avait envisagé ce départ comme une noble mission, mais il se transformait maintenant en arrachement douloureux. L’image d’Eulalie, les yeux emplis de larmes dans le faible éclat de la lanterne, resterait à jamais gravée dans son esprit.

Ses pensées étaient un maelström de regrets et d’aspirations inassouvies. Il aurait voulu parcourir les mètres qui les séparaient, l’enlacer, lui promettre que tout s’arrangerait, mais la présence intimidante d’Hölvi l’en empêchait. Il savait que la moindre parole ou geste impulsif ne ferait qu’aggraver leur situation.

Son départ pour la croisade lui apparaissait désormais comme un exil, l’éloignant non seulement de sa patrie, mais aussi de la seule femme qu’il ait jamais aimée. Dans le silence de la nuit, il se fit la promesse de revenir, de prouver sa valeur et de rester, pour elle, un homme et un chevalier honorable. De vivre en Gardien et en Moine, afin de se préserver pour la vie qu’il aspirait à partager avec elle.

Ayleri, observa son ami avec, ses iris vert teinté d’une compréhension silencieuse, et posa doucement sa main sur l’épaule d’Alaric. Ce geste fraternel lui parut puiser dans une source de réconfort et de solidarité, offrant au jeune homme un soutien silencieux mais inébranlable. Son frère d’arme pressa légèrement l’épaule du cadet d’Aprelön, encouragement mutique à le persuader de quitter l’arrière-cour de la demeure du bourreau.

Par ce simple contact, son ami lui transmettait un message clair : Ils étaient attendu ailleurs, resté là ne ferait que nuire à la jeune fille. Il lui rappelait, sans un mot, que le devoir les appelait tout deux, et que l’aube approchait. Avec un soupir résigné mais empreint de gratitude envers le cadet d’Herlëv lui échappant, Alaric hocha la tête et commença à s’éloigner de l’endroit qui avait été le théâtre d’une confrontation qui lui laisserait une déchirure béante dans le cœur.

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La gifle retentissant dont l’avait gratifiée Hölvi la veille avait abandonné une marque violacée sur la joue d’Eulalie. Y pressant un pochon de marjolaine infusée sur la blessure, elle avait croisé le regard contrit de son frère dés le levé. Sautant de sa couche, l’ainé était venu lui octroyer une caresse en lui murmurant de vague excuse. Des rumeurs couraient parfois sur leur passage au marché. Des bruits qui disaient que, une fois la nuit tombée, hors de leur fonction, son frère devenait un autre homme. Une personne violente et sans moral. Elle ne l’avait pas cru.

― Eh bien ma fille adorée, que t’est-il arrivé ? s’étonna Père en passant le morceau de tissu qui séparait le coin des ablutions. Tu n’avais rien de la sorte, lors ce que je me suis assoupis.

― C’est ma faute ! plaida aussitôt Hölvi en découpant trois épaisses tartines. Nous rangions le bois hier soir, quand je me suis retourner une buche imposante dans les bras. Eulalie était trop prête et je ne l’avais pas vue. Honte sur moi d’avoir ainsi blessée ma sœur.

Secourant la tête, l’ainé de la jeune fille baissa les yeux en signe de pénitence. Les battements effrénés de son cœur, qu’elle avait sentit s’emballer à la question de Père se calmèrent aussitôt. Cherchant la main de son frère, elle l’a pris dans la sienne en guise de remerciement. En mettant de la sorte, Hölvi prenait sur lui d’occulter la présence d’Alaric et du chevalier d’Herlëv. Une visite qui aurait coûté fort cher à Eulalie. Père avait beau l’aimé de toute son âme, elle n’en n’aurait pas moins fini les jupes relevées chez la Matrone afin de vérifier sa vertu.

― Il te faudrait faire plus attention, à l’avenir, mon fils, le réprimanda sans colère le bourreau. Les mauvaises langues ont les yeux rivés sur chacune de nos actions. Si par mégarde ton épouse se retrouvait avec ce genre de blessures de façon récurrente, les habitants auraient tôt fait de t’accuser de violence.

― Qu’importe ce que pense les gens, renifla Hölvi avec dédain. Tout homme à le droit de corrigé son épouse, même un frère ou un père en garde le droit si elle venait à mal se conduire. Je ne serais jamais jugé pour cela. Néanmoins, je saurais que ses marques seraient le fruit d’accident et elle que je n’avais aucun désirs de la battre, cela me suffit.

D’une main lasse, le bourreau recoiffa ses épais sourcils broussailleux. Les poches sous ses yeux étaient soulignées de larges cernes et il avait l’air plus accablé que d’ordinaire nota Eulalie.

― Bien, approuva Père en tirant à lui une chaise. Un instant j’ai crus que tu cautionnerais la violence, hors jugement sur une femme, mon fils. Certes il est de notre devoir d’homme de les corriger, parfois par la force physique, mais n’oublie jamais ce que je t’ai appris : traite celle qui te sera donnée comme tu aimerais que ta sœur le soit. Notre profession nous relie tous et un comportement déplacé aura tôt fait de se savoir.

Machinalement, Eulalie resserra ses doigts sur ceux d’Hölvi. Qu’en serait-il de son secret ? Que ferait-elle si son fiancé, ou son mari, apprenait une lunée qu’elle avait dormi avec un autre ? Sa inférieur se mit à trembler alors que son esprit lui soufflait ce qu’il adviendrait d’elle. Le poigne de son frère se referma plus durement sur sa main délicate, lui coupant la circulation.

― Que celui qui lui sera promit doive répondre devant moi si une lunée, on me rapporte qu’une seule marque colore la peau de ma sœur, grinça le jeune homme avec rage. Il n’y a pas plus Sainte et obéissante que notre Eulalie. Celui qui ternirait sa réputation m’affrontera ou devra retirer ses accusations éhontées !

― Me voici rassuré, s’amusa Père dont un sourire triste arqua la joue. Maintenant Hölvi, lâche donc ta sœur avant qu’elle n’ait plus une goutte de sang dans la main. La colonne doit déjà se préparer et nous ne pouvons pas manquer le départ du Comte et de ses hommes.

― Le Comte s’en va ? s’étonna Eulalie que son frère venait de libérer. Je pensais que seuls les chevaliers et…

― Tout les braves partent, ma douce, la détrompa Père en saisissant le pichet de lait de chèvre et en servir trois godets. Nous passons sous l’autorité de son épouse. Plusieurs de ses Dames accompagnerons leurs Seigneur au-delà du détroit. Les troupes se rassemblerons alors à Cazkër. Weerl-Niia rassemble ses troupes et celles de Lakia sont prêtes à entamer les travées pour les rejoindre ou prendre la direction de la Dalæsie. Cela dépendra des besoins stratégiques définis par les Souverains.

Le nez caché dans son godet, Eulalie avala avec difficulté le breuvages au fort goût caprin. Essayant de se remémorer les cartes qu’elle avait souvent eu la chance d’apercevoir dans l’une ou l’autre salle du Palais, elle tentait de visualiser les chemins qu’emprunterait Alaric.

― Vous en savez beaucoup sur les préparatifs, Père, souligna Hölvi en s’arcboutant par-dessus la table afin de prendre le fromage. Le Comte lui-même vous aurait-il mit au fait de…

― Ne soit pas si naïf, l’arrêta le bourreau en mastiquant une bouchée de pain. Lorsque l’ont devient bourreau, on est une sorte d’extension de la Garde, une meuble dans le Palais. Les Nobles ne remettent pas en cause la loyauté d’un bourreau, car lui seul sait réellement ce qui l’attend s’il venait à trahir son Seigneur. Discuter stratégie militaire durant l’interrogatoire d’un prisonnier n’est pas rare. En particulier dés lors que tous savent que le bougre ne survivra pas.

Sentant la nourriture resté calé dans sa gorge, Eulalie s’y reprit à trois fois pour avaler. Entendre tout cela la terrifiait, elle devait s’assurer que l’appel des Souverains seraient entendu. Qu’Alaric serait en sécurité au milieu de ses milliers de chevaliers.

― Alors… l’Alliance vaincra le Benyir, se surprit-elle a osé demander. Si tous les Nobles, les Seigneurs et chevaliers guidés par Ogdal répondent à l’appel, nous l’emporteront ?

Les doigts rugueux de Père lui caressèrent la joue et la pulpe de son pouce s’attarda sur la marque violacée. Ses yeux assombri par la tristesse, il lui adressa son sourire le plus tendre.

― C’est plus compliqué que cela, ma fille, répondit-il avec douceur. Tous ne peuvent pas venir, il en faut pour conserver l’ordre et protéger les forteresses, les voyageurs et les pèlerins. Notre combat n’est pas contre le Benyir, mais contre Higdrï. Ses Prêtres possèdent, raconte-t-on une autre forme de magie que celle utilisée par nos mages. Peu d’homme possédant le don devinent chevalier. Car pour cela, ils doivent appartenir à la Noblesse. Beaucoup se servent de leur pouvoir pour faire fructifier un commerce ou changer de vie. Quant aux autres… beaucoup sont envoyés enfants suivre la voix du Corps d’Ogdal. Ils deviennent des Moines Reclus. Du moins, pour ceux qui ne meurent pas ronger par leur magie.

― Mais d’autres rejoignent la Corporation des Gardiens de la Flammes, plaida Hölvi qui venait de s’accouder à la table. En échange de leurs vœux et de leurs bras, les Gardiens permettent à tous, Nobles ou pauvres gens de devenir chevalier ! Les mages y sont les bienvenus et tous ne souhaites que vaincre Higdrï afin de rependre la Sainte Lumière des Dieux Pures sur les infidèles.

― Oui, mon fils… mais ceux-là ne sont pas assez… pas encore.

L’air désolé de son Père effraya Eulalie, gelant le sang dans ses veines. Ubrök n’était pas un être pessimiste, or, ses paroles l’alarmaient.

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Scellant Ébène, Alaric songea avec délice à l’excitation des batailles à venir. Néanmoins, pincement du doute et de la culpabilité le torturait. Sans le vouloir, il avait empiré la situation de sa belle. Le souvenir de la gifle assénée par l’ainé du bourreau à la jeune fille l’avait hanté la nuit durant. C’était sa faute si Eulalie avait été battue. À son grand désarrois, il n’avait pu la défendre, pas contre l’autorité de son frère. Celui-ci avait tout autorité pour châtier sa sœur en cas de mal conduite.

D’un mouvement souple, le jeune homme monta en scelle.

― J’espère que tu me pardonneras de n’avoir pu t’être d’une plus grande aide, alors que nous nous apprêtons à rejoindre les prémices de notre mort, l’interpella son ami en rapprochant CastelDivin de CoeurDécume.

Étonné, d’entre Ayleri parler ainsi, Alaric se redressa sur ses étriers, puisant en lui toute la dignité et la fierté qu’il ressentait à se trouver là. Il se nourrit de l’effervescence générale qui régnait dans la colonne qui se mit en branle. Touchant sa Flamme de son gantelet, il sourit. Des nuages de buées s’élevaient par-dessus les cavaliers, signe du froid glacial qui s’était abattu sur la ville.

― Nous partons pour Salven et Zëler ! Reconquérir une terre oublié de la Foi d’Ogdal. Tu ne peux parler de cette chance avec autant de lassitude.

― Je sais où la Vicomtesse a demandé que tu sois affecté. J’y serais à tes côtés, sois en sûr, jura le cadet Herlëv en posant une main sur le genoux d’Alaric. Ensemble, nous serons invincibles.

La reconnaissance et la joie gagnèrent son cœur.

― Tu es mon frère, bien que ne le sera jamais Pirlön, clama le cadet d’Aprelön l’âme apaisée.

Il ne souhaitait pas affronter les manigances des puissants sans Ayleri à ses côtés. Plus fins stratèges lorsqu’il s’agissait des mots, son amie lui serait d’une aide précieuse.

― J’aurais aimé avoir une sœur, afin que nous le devenions vraiment, fit mine de se désoler son ami.

― Moi j’en ai encore trois qui sont à marié, argua Alaric devenir pensif. Si nous nous démarquons tout deux, pères ne verra pas d’inconvénient à ce que tu épouse l’une d’elles. Mes avis que Glaïs te conviendrait. Elle est douce et possède plus d’attaches délicates que les autres, certainement car elle est la dernière-née.

Soudain, l’appréhension de ce qui l’attendait au-delà des frontières disparu, allégeant son cœur. Il ne restait plus que l’allégresse de ce qu’y l’attendait et la promesse de retrouver la femme qu’il aimait, une fois son périple achevé. Prit d’une confiance nouvelle, il se laissa emporter par la liesse et la fièvre qui s’emparait des troupes. Ayleri pourrait devenir son frère, une position enviable pour de simple chevalier comme eux.

Se tournant sur son ami, Alaric lui sourit avec enthousiasme, quant son ami se contenta d’une sorte de grimace. Interloqué, le chevalier fronça les sourcils. Son frère d’armes était un homme timide, en particulier avec les demoiselles. Pieux et remplis de principe, il avait choisi la voie de la chasteté jusqu’alors, refusant les offrandes du Comte ou les débauches de l’amour tarifiés. En cela, il serait également parfait pour Glaïs, qui, effarouchée à une lunée partager la couche d’un homme, parlait régulièrement de rejoindre les novices des Sœurs d’Ogdal.

Marchant au pas, les cheveux commencèrent à défilé dans la ville, serpentant entre commerces et maisons pour passer les remparts. Long lacet se déroulant dans les lumières orangées de l’aube, nobles et chevaliers, étaient acclamés sur leur passages. Nombres d’hommes sortant de leur demeure, embrassaient femmes et enfants, avant de s’ajouter aux combattants.

Scrutant la foule, Alaric se mit à chercher le visage d’Eulalie. Bombant le torse, il mettait en avant la tunique blanche ornées d’une Flamme rouge que le Comte avait offert à chacun de ses vassaux. Cette marque d’honneur rappelait tant les Gardiens de la Flamme, que les Chevaliers de la Couronne, dont les capes rouges se démarquait dans la colonne. C’était ainsi qu’il voulait que son amante se souvienne de lui, alors qu’il serait au loin à guerroyer. Il voulait qu’elle se rappelle sa prestance et la place qu’il avait dans la suite de son Seigneur. Qu’elle garde cela en mémoire pour ne pas être tentée à accepter les propositions d’un autre.

Les portes de la ville apparurent entrées les longs murs des remparts. Installés en haies d’honneur, la noblesse s’était apprêtée pour saluer ses combattants et leur donner une dernière image de faste, avant de longs cycle de voyages et révolutions de privations. Derrière, la foule se pressait, composées de centaines d’âmes, elle grossissait à vue d’œil.

Ce fut là, parmi les badauds, qu’il la vit. Éclatante dans sa robe bordeaux bordée d’une dague, elle se tenait entre Hölvi et leur père. Les joues rougies à l’idée de ce qu’ils avaient échangés, elle était resplendissante malgré le voile fin qui encadrait son visage. Gênée de l’attention qu’il rivait sur elle, Eulalie humecta ses lèvres, les faisant gonfler et luire.

La voir ainsi raviva les désirs du jeune homme dont les reins se mirent à le tirer. Ses prunelles tristes lui transmirent le chagrin qu’elle avait à le voir partir. Contrastant avec la lueur de lubrique qui devait briller dans ses propres iris, a ainsi la convoité.

― La fille du bourreau te dévore des yeux, se rengorgea son parrain en se penchant pour étouffer le rire gras qui accompagna ses propos. Je savais que tu en avais dans les braies, mon filleul. Pourvus que le bon Ubrök ne s’en aperçoivent pas !

Reniflant avec ostentation, Ayleri marqua son mécontentement. Alaric, bien décidé à ne pas relevé l’insulte, détourna le regard.

Abaissant le menton, il la salua avec respect en passant à sa hauteur. Par égard pour elle, pour épargner son honneur, il ne pouvait en faire davantage. Un poignet prisonnier de la poigne de son frère, qui ne semblait rien manquer de leur manège, il la vit hésiter une fraction de seconde avant de s’en dégager. Avançant dans la foule pour rattraper CoeurDécume et se placer à sa hauteur. D’une pression de hanche, il ralentit l’allure pour lui permettre d’approcher sans avoir à s’époumonner pour suivre le rythme de la colonne.

Poursuivie par son frère, elle lui jeta un regard épouvanter en tendant vers lui son poing fermé. Il faisait un froid à fendre pierre, pourtant, elle ne portait pas ses mouffles.

― Pour vous porter chance, couina-t-elle au moment où son frère lui tordit le bras pour la ramener à lui.

― Eulalie ! la réprimanda ce dernier.

De gestes empressés, lâcha ce qu’elle tenait sous les quolibets de la foule. Devant elle, un homme attrapa le cadeau et le noua précipitamment à la scelle du chevalier. Il s’agissait d’un ruban bleu orné de ce qui ressemblait à une amulette. Le timbre tremblotant, elle s’étendit jusqu’à caresser la croupe de son cheval, certainement dans l’intention de ne pas poser les mains sur Alaric lui-même. Tendant le bras, il attrapa le bout de ses doigts avant qu’Hölvi ne la tire en arrière.

― Veillez bien l’un sur l’autre ! les conjura-t-elle.

La détresse dans sa voix, poussa le chevalier à refermer plus fort qu’il ne l’aurait dû sa paume sur les doigts de la jeune femme. Éperdue, elle le serra en retour, d’un coup sec l’ainé du bourreau les sépara en arquant l’épaule de sa sœur dans un angle peu naturelle. Regardant par-dessus son épaule, Alaric vit la Vicomtesse siffler de mécontentement et chuchoter à l’oreille de l’une de ses servantes. Les épouses de Bërùn et Thöbald se mirent à échanger à voix basse.

Une vague d’appréhension gagna son âme. Ce dernier échange venait de compromettre Eulalie. La cherchant parmi les badauds, il aperçut la capuche du bourreau disparaitre au coin d’une ruelle.

― Regarde qui vient là, grommela Ayleri en indiquant la foule à sa droite. Elle n’a vraiment aucune honte.

― Je suis étonné qu’elle n’accompagne pas notre suite, ricana Gathrùn en avisant de la femme que montrait son frère. La plupart d’entre nous ont déjà eu le loisir de prendre ses délices.

― Parce qu’elle sera grosse avant la fin de l’été, cracha le Baron d’Herlëv. Même la piétailles n’en voudrait plus.

D’instinct, Alaric se contorsionna sur sa scelle pour chercher l’abondante chevelure rousse de Falia. Engoncée sur le pont-levis, elle était prisonnière des hordes d’épouses et de mères qui s’étaient pressées dans les ruelles pour faire les adieux aux manants à l’arrière. Derrière les chevaliers, paquetage sur le dos, marchaient les suites de chacun. Une main tendue, elle essaya d’attraper la main de l’écuyer de Messire Flörïn.

Âgé de dix-sept ans, le jeune homme de six révolutions se cadet paraissait époustoufler à sa vue. À peine devenu un homme et ingrat de visage, celui-là était disait-on un véritable benêt que son maître, un Chevalier de la Couronne, ne gardait que par égard pour une ancienne alliance sentimentale.

― Cet imbécile l’a épousée au cœur de la nuit, souffla Messire Flörïn juste derrière Alaric. J’ai essayé de l’en dissuader, mais il n’y a rien eu à faire. Sa solde partira chez cette gourgandine qui ne manquera pas dans dépenser chaque pièce.

Sa cape rouge volant devant Alaric, le Chevalier de la Couronne roula des yeux à cette annonce. Les envoyés royaux, venu par quatre dans les dix Comtes d’Undiev pour appeler les vassaux du Roi à se soulever, se déplaçaient autour de la colonne plutôt qu’en son sein même. Cette emplacement marquait tout autant leur différence de statut que leur tabards et capes d’un rouge sang reconnaissable.

― Au moins l’enfant aurait-il un toit et un père, philosopha Alaric plus charitable. Avec un peu de chance, lui ressemblera-t-il et pourront-ils vivent dans un bonheur imparfait.

Prit d’une quinte de toux, Gathrùn gloussa.

― Il n’y a aucune allégresse possible dans le mariage, jeune sot. Les femmes tentatrices ne font que le faire croire aux plus ignorant pour mieux s’en plaindre l’heure des médisances venues. Voici pourquoi montrer sa joie maritale est tant malaisé. Tout n’est que fausseté.

― J’ose croire ne pas rendre mon épouse si amère, réfuta Messire Flörïn. Elle a juré prier matin et soir pour mon salut et la miséricorde de me voir revenir auprès d’elle.

L’attention portée sur la route de terre d’où s’élevait un nuage étouffant de poussière malgré le givre qui recouvrait les alentours, Alaric se surprit à se demander si Eulalie ferait de même pour lui. Il n’avait que peu de doute quant à son attachement… toutefois, ses rapports à Ogdal et aux Saints restaient distant. Ce qu’il comprenait au vu de son statut. S’il était du rôle des femmes de faire les dévotions nécessaire à leur famille, le jeune homme songea qu’il n’en serait pas ainsi. Au vu de ses prétentions, il se devait d’inclure la jeune fille dans ses prières afin de pourvoir au salut de leurs âmes.

Se diriger sur Salven le rassérénait en ses sens. Devenir un guerrier d’Ogdal et se battre aux noms des Dieux Pures, assurait l’absolution de ses pèches. En guerroyant avec force et ténacité, peut-être réussirait-il à en faire de même pour Eulalie.

― Des mensonges, s’amusa le Baron d’Herlëv avec une arrogance qui ne saillait pas à s’adresser à un Chevalier de la Couronne. Sitôt que vous serez assez éloigné, les Dieux Fourbes viendront la tenter de la chair. Elle succombera certes moins vite que la petite et ses rondeurs, mais soyez assurez qu’un autre s’activera bien vite entre ses cuisses.

Ayleri grimaça, sa bouche s’arquant en même temps que celle de son ami. Les leurs ne pouvaient-ils avoir aucune considérations pour les serments de fidélités qu’avaient juré leur épouses devant les Moines ? Leur vision des femmes devait rester celle de rustres sans éducations ?

Le souvenir du sort d’une petite bergère lui ôta ses dernières illusions. Non, ils ne pouvaient pas. Pas quand eux-mêmes faisaient bien pire alors qu’il arpentait les routes de leur propre comté. Détaillant le long de la colonne les tuniques immaculées ornées de la Flamme d’Ogdal, il se prit à espérer que le pèlerinage qu’ils s’apprêtaient à accomplir les changeraient. Que, sur ce chemin de conversion, les Dieux Pures parleraient à leur âme et les guideraient dans la véritable voie de la chevalerie.

La mine sombre, le Chevalier de la Couronne lorgna avec condescendance le Baron d’Herlëv et ses fils. Détaillant Alaric et Ayleri, il parut les sondés de ses yeux gris.

― Ce soir, monter votre tente près de la mienne, susurra-t-il en ajustant le pas de son étalon à celui de CoeurDécume. Vous deux uniquement. Trouver un prétexte pour vous éloigner.

D’un claquement de langue, l’envoyer du Roi Öktol accéléra l’allure de son destiner. Remontant la colonne, il partit rejoindre l’un de ses frères d’armes. Penché en avant, Ayleri paraissait examiner le manège des Chevaliers de la Couronne.

― On dirait que nous ne sommes pas les seuls à recevoir des invitations, murmura-t-il à Alaric pour ne pas être entendu de ses frère.

― Peut-être est-ce le début des manigances de la Vicomtesse, supposa le jeune homme qui ne voyait pas d’autre raison pour laquelle un guerrier aussi important s’intéresserait à deux malheureux cadets de Baron. Je préfère ne pas y penser. La politique s’inviterait dans nos vies bien assez tôt, il m’a été demander de me présenter ce soir au Vicomte.

― Dans ce cas, que dit nos lois, bougonna faussement Ayleri de sa voix tendre. Sommes-nous des subordonnés du roi, de ses Chevaliers ou les vassaux du Comte et donc de sa famille proche et éloignée ?

― Le tout à la fois, je suppose, réfléchis Alaric dans une pointe d’humour. Cependant, si je dois froisser quelqu’un je préfère que cela soit le Vicomte qu’un Chevalier de la Couronne dont j’envie la position.

Levant les yeux sur la colonne, il vit les oriflammes de dizaines de familles claqués sous la démarche des destriers aux caparaçons assortit à ceux de leur propriétaire. Au-devant, les écuyers des envoyés du roi portaient l’emblème d’Undiev, un dragon tenant entre ses griffes un éclair.

L’idée de foulé le sol sablonneux qui abritait le cœur de sa foi, et de ce à quoi cela le mènerait, imprima en lui une excitation qu’il ne s’était jamais connu. Rejetant son visage en arrière, il laissa sa peau être piquée par la morsure de l’hiver qui persistait. Il ferait beaucoup plus chaud et l’astre serait bien plus brulant aux confins du désert.

D’un coup, il se questionna sur le nombre de neveux et de nièce qu’il trouverait à son retour. Avec six sœurs et un frère, les enfants arrivaient plus vite qu’il ne réussissait à suivre. À sa grande honte, il lui arrivait déjà des confondre l’un ou l’autre des nouveaux nés qu’on lui annonçait. La bouche sèche, il se demanda ce que sa famille penserait si lui-même se voyait une lunée à accueillir un fils ou une fille.

Lui, avait une vague idée du bonheur qu’y en ressortirait.

Sans réfléchir, Alaric dénoua le ruban que l’homme avait attaché à sa scelle de la part d’Eulalie et le porta à son nez. Humant l’odeur fleurie de la jeune femme, il trouva à son centre un symbole qu’il ne connaissait pas, gravée dans une pièce de bois. Quelque chose de païen s’il en croyait son instinct. Croisant les extrémité derrière sa nuque, il noua le cadeau afin qu’il retombe sur sa poitrine. Bien plus bas la Flamme d’argent émaillée ornant son cou.

― C’est que tu serais tombé bien bas Alaric, se moqua Gathrùn. Fourré la mignonne ne t’as pas suffi ? Que dirais les Moines en voyant cela ?

L’air se bloquant dans sa gorge, le jeune chevalier cessa de respirer.

― Tais-toi Cathrùn ! Les Moines n’ont rien à faire dans les affaires de famille. Et ceci en est une ! aboya son parrain avant de se tourner sur lui. J’ignorais que préférait l’innocence et la gaucherie des pucelles à la fougue d’une dévoyée. Il est vrai que tu as toujours été si sage.

La remarque grivoise, presque clamée à la cantonade échauda Alaric qui fit mine ne pas en prendre ombrage.

― Il porte malheur de refusé un cadeau alors que l’on part en guerre, vint Ayleri à sa rescousse. On en peut en vouloir à la fille du bourreau de s’être égarée en posant ses vues sur un chevalier. Son père saura lui faire redescendre ses prétentions.

― Cela j’en suis sûre, railla Gathrùn d’un rire de gorge. Le frère de la gamine à la main leste ! Sans compter ce que prévoira pour elle la Vicomtesse. On sait tous que tu ne t’es pas retrouvé écuyer de Göntränn par hasard, Alaric.

Mécontent de voir arriver le sujet des alliances possible du jeune homme, le Baron d’Herlëv claqua des rennes pour avancer sur ses amis. En tant que son parrain, il comptait bien profiter lui aussi des avantages qu’engendrerait une situation pour le jeune homme. Un gouffre se creusa dans les entrailles d’Alaric qui sentit toute allégresse le quitter.

Une rumeur sourde dans son âme lui chuchotait que les batailles qu’il mènerait ne seraient pas uniquement faite d’acier et de destriers. Humant l’air boisé, le chevalier essaya de trouver du réconfort à sentir les muscles de son étalon onduler sous ses cuisses et le poids de son épée secouer sa hanche à chaque pas de la monture.

 

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Le soleil se couchait sur la bord de mer, fasciner par la myriade de couleurs s’égayant dans le ciel, Alaric s’arrêta un instant d’enfoncer le piquet de sa tente dans la terre encore gorgée d’eau. Les stries roses, oranges, violettes ou jaunâtre miroitant sur l’eau le fascinait, profitant du spectacle pour se reposer, il expira en fermant les yeux. Comme à chaque fois, l’image de Eulalie, de ses yeux scrutateurs, de ses lèvres gonflées et suppliantes lui revint. Un cycle, cela faisait un cycle qu’il ne l’avait pas vue et devait s’habituer à l’avoir perdue. Une torture.

― Si tu ne te reprends pas, mon ami, nous n’aurons nulle part où dormir cette nuit, sermonna gentiment Ayleri.

Confus, Alaric reprit sa tâche, le son mat de son marteau se mêlant à ceux des autres chevalier montant le campement. Ils voyageaient sans relâche, de l’aube au crépuscule sans pause depuis d’harassantes lunée. Enfin, la colonne avait atteint le détroits et des dizaines de bateaux les attendait amarrés sur le sable. Weerl-Niia était proche, avec lui le Benyir et ses promesses de guerres. Au fur et à mesure de l’avancée dans les terres, le défilé des hommes à pied et des chevaliers s’étaient allongés.

Le Duc de Kireön avait rejoint leur rang et avec lui, une suite impressionnantes de Dames bien décidées à salués les troupes à la frontière. Les étendards du Comte battaient fièrement au vent au milieu de celles de dizaines d’autres familles. Les toiles des tentes les rejoignaient dans un concert de claquements sec. Refusant de bafoués leur allégeances, Alaric et Ayleri avait convaincu Göntränn et Bërinn, qui partageaient leur tente, de s’installer auprès des Chevaliers de la Couronne.

Ni trop prêt, ni trop loin. Juste assez pour indiquer à Messire Flörïn qu’ils étaient prêts à recevoir son enseignement. Trop occupés par ses fonctions, celui-ci n’était pas encore venu les quérir. Au point que le cadet d’Aprelön commençait à redouter l’avoir froissé.

L’air sévère, le Vicompte de Montmörzy jetaient régulièrement aux jeunes hommes un regard sévère. À chaque arrêt, en réalité ou dés lors qu’un Chevalier de Couronne faisait mine de les regarder avec un peu trop d’insistance. Il y avait une sorte de tension palpable entre les différentes factions de combattants. Surtout depuis que les Gardiens de la Flamme, leurs capes blanches à Flamme bleu volant dans leur sillages s’étaient joint à la troupe.

Bouche-bée, Alaric et Ayleri n’avaient pu que contempler le défilé de ses hommes aux chevaux carapaçonnés qui se retrouvaient avec bonheur. Ils grossissaient les effectifs de la colonne dans un flot sans fin qui impressionnaient même les Nobles. Comtes, Duc, Chevalier, Barons, Bannerets et Bacheliers ne pouvaient s’empêcher de lorgner ces serviteurs d’Ogdal. Repliés sur eux-mêmes et leur foi, ils se rassemblait pour prier même au cœur de la nuit. Leurs chants graves et mélancoliques résonnaient entre les tentes, réveillant leurs compatriotes.

À plusieurs reprises, cadets d’Herlëv et d’Aprelön s’étaient joint à eux dans ces prières scandées du haut de leur monture. Pas une était manquée, pas même alors que la pluie battante les avait glacés jusqu’aux os. Non, la ferveur des guerriers d’Ogdal n’avait pas de limite, ce qu’Alaric admirait. Néanmoins, il nourrissait une inquiétude grandissante à voir Ayleri faire montre de tentative de rapprochement à leur égard.

Un seul petit combat avait permis aux Gardiens de tiré d’avance un peu de gloire de cette expédition. Un affrontement au corps à corps avec un espion qu’un chevalier avait débusqué lors d’une ronde. De quoi fouetter les sanges et enflammer l’imagination des centaines d’hommes en armes prêt à se battre, mais également d’obtenir moults frustrations. Incarcérer, il s’était donné la mort une fois qu’il eut compris que l’un des mages présent parmi les Chevaliers Rouges, s’apprêtaient à lire dans son esprit. Une perspective qui avait gelés le sang d’Alaric dans ses veines.

De leur côté du campement, Vicomte de Montmorency, braillaient des ordres aux fort et valeureux chevaliers, répétant à plein poumons les tours de garde et les devoir de chacun. Ses hommes déchargeaient les chevaux, montaient les tentes, défaisaient les couchages. Les écuyers préparaient le repas du soir, allaient chercher le bois, certains nettoyait les lances avec lesquelles des Messires avaient chassés le lapin, le canard ou la grives et veillaient à ce que leur supérieur ne manque de rien.

La pluie s’étaient calmées depuis la matinée, mais les épais nuages arrivant de l’est ne disaient rien de bon à la compagnie qui s’afférait à rendre la perspective de leur nuit agréable. Vérifiant la tension des cordes, Ayleri déplia les couvertures et peaux qu’ils avaient emportées. Göntränn et Bërinn, astreint au premier tour de garde, étaient partit se rafraîchir dans la rivière avoisinante. Un répit qu’Alaric leur enviait et dont il espérait profiter avant l’averse qui se préparait.

― Tu vas aller le rejoindre ?

Questionna son ami depuis les profondeurs de l’abris où ils auraient tôt fait de se serrer à quatre pour avaler un peu de ragout.

― De quoi parles-tu ? fit mine de pas comprendre le chevalier en sentant une boule se former dans sa gorge.

Les paroles de Messire Flörïn le hantait.

― Tu sais très bien de qui je parle, se rembrunit le cadet d’Herlëv en sortant son visage à l’air libre.

―Je n’ai que faire des alliances, se déroba Alaric. Je n’apprécie pas la façon dont le Vicomte détaille l’une des jeunes filles composants la suite de la Duchesse. Je refuse d’être pris dans ce genre de jeu.

― Ne joue pas à cela avec moi, tu sais pertinemment que je ne parle pas du Vicomte ou d’une quelconque alliance. Bien que, il me faut te rappeler qu’en la matière, tu n’auras ton mot à dire.

Oui, il le savait ! évidement ! Pourtant, il rechignait à avoir cette discussion avec Ayleri, il l’avait redouté tout du long de leur avancée. Il était logique que son ami s’inquiète, lui aussi trouvait le comportement de Messire Flörïn, à leur égard, étrange. Un chevalier tel que lui n’avait aucune raison de s’intéresser à du menu frottin comme eux.

Cependant, l’attention que le portait le Chevalier Rouge ravissait Alaric. Avec un peu de chance, ce dont il avait souvent manqué, cette rencontre fortuite serait un gage de son avenir. De ce à quoi il pourrait espérer prétendre une lunée. Fermant les paupières, Alaric s’appuya sur l’arrière de ses mains et rudoya encore sa lèvre, pour éviter de s’emparer de sa Flamme d’argent.

Un cycle qu’il ne s’était pas confesser.

Il refusait d’évoquer le nom de Eulalie avant d’avoir lavé son âme de ses péchés et s’être excusées de l’avoir salie en pensées. La saveur du sang caressa sa langue et le soupir d’abandon qu’avait poussé la jeune fille durant leur étreinte le hanta. Cet état de volupté qu’il avait touché du doigt, était la raison de sa dévotion. Pour cela, il ferait tout ce qu’il y aurait à accomplir.

― Tu comptes le rejoindre n’est-ce pas ? soutint Ayleri en s’installant à côté de lui. C’est pour cela que tu ne réponds pas. Tu en as assez d’attendre qu’il se présente à nous. Je te connais Alaric, je te vois ronger ton frein depuis des lunées.

― Je viens de te dire ce qu’il en était…

― Ne me mets pas, mon ami, lorsque tu te mords la lèvre à sang… tu prétends ne pas vouloir des jeux du pouvoir, tu ne peux toutefois pas t’empêcher de jeter des œillades dès que Messire Flörïn nous tourne le dos. Tu as conscience qu’il pourrait t’être d’une grande aide dans les projets qui occupe tes pensées. Il te faudra chasser tout cela de tes pensées si tu souhaites revoir celle qui occupe tes pensées. Dès que j’évoque tes projets, tu t’empare de ta croix comme si elle pouvait te protéger de ce que tu ressens.

La vérité s’échappa amère, avant qu’il ne la retienne.

― Je me suis crus capable d’abstinence, c’était une erreur. Le fait que mes reins me tirent à chaque fois que je pense à elle… J’espère que la proximité d’un homme aussi droit que Messire Flörïn m’aidera à chasser ces pensées impures.

Une grimace déforma les traits d’Ayleri.

― En ce cas, nous devrions nous installer plus proche des Gardiens de la Flamme. Eux seuls et leurs préceptes nous aiderons à conserver une vie monastique le temps de notre périple.

Un vertige agita Alaric qui se tourna à la hâte sur son ami. Que venait-il de dire ?

― Tu souhaites te rapprocher des Gardiens ?

L’autre chevalier le gratifia d’un sourire grinçant.

― Tu le désirais autrefois toi aussi. Mais non, je ne désire que rester un homme juste. Or, la plupart de ceux qui nous accompagnent m’ont fait davantage l’effet de soudards que de preux défenseurs de la foi. Tu as assisté à autant de déchéances et d’abus que moi.

L’accablement et la colère rongèrent Alaric. Il n’en était qu’au début de leur voyage. Il sentait son ami lui échappé. Ayleri le considérait-il lui aussi comme un dépravé indigne prêt aux pires atrocités ?

― Oui, il en était de mon dessin, cracha-t-il. Ogdal en à décider autrement en me soumettant au supplice de l’amour, à la tentation de la chair… Sévices dont tu sembles être épargné.

― Oh non, mon ami, ne pense pas cela, réfuta Ayleri de sa voix tendre et basse aux accents de tristesse. Les Saints ne m’épargnent pas plus que toi ou nul autre.

Surprit par ses propos, Alaric se retourna sur lui avec vigueur.

― J’ignorais que quelqu’un occupait tes pensées.

L’accablement parut traversé son ami à cette perspective.

― Non, pas comme… celle sur qui se porte ton affection, occupe les tiennes. J’y suis soumis… d’une manière différente.

― Et tu restes malgré cela un model de droiture, tenta de le consolé le cadet d’Aprelön d’un demi sourire.

Les prunelles éperdues de Eulalie se rappelèrent à son souvenir. Vites suivies par celles-ci embuée de larmes et de convoitise, alors qu’il la maintenait sur le matelas. Un infame besoin de confession et de rédemption lui vint à ce souvenir.

― Ne pense pas cela de moi, car la lunée où tu découvriras ce qui m’accable, ta déception sera trop grande, se navra Ayleri.

Perplexe, Alaric le dévisagea un moment. Sur le fin visage de son ami se dépeignait une peine sans nom. Se mordant la lèvre à sang, le jeune homme se demanda quel pêché il pouvait bien avoir à cacher.

― Veux-tu que nous rejoignions les Gardiens de la Flamme ? Les dévotions vont bientôt commencer. Cela soulagera peut-être ton âme.

― Non, je préfèrerais m’adresser à Ogdal plus… intimement ce soir. Demain nous prenons la mer et quitter notre partie me chamboule.

― Bien, dans ce cas, entrons dans la tente. Je joindrai mes prières aux tiennes et nous irons trouver ensuite Messire Flörïn. Si je répugne à entrer en compte dans les jeux de la politique, je refuse que nous mourrions car j’aurais ignoré un avertissement.

La mine fermée, son ami le suivit dans l’espace exigu où avaient été mit quatre couchages. Les chevaliers étaient fatigués de leur voyage et le campement était, d’ordinaire, un moment de répit et de camaraderie pour eux. Ils y échangeaient des histoires de batailles passées et discutaient des stratégies pour celles à venir avec leurs amis. Toutefois, à cet instant, c’était un profond sentiment de solitude qui emplissait l’âme du jeune homme. Distant et tendu, Ayleri attendait en silence qu’il commence.

Les chants des Gardiens de la Flamme s’élevèrent quelques instants plus tard. Lourds, rauques, presque une supplique. Leur répertoire avait changé, constat Alaric qui ne reconnaissait pas les paroles étonnées par les guerriers d’Ogdal. Les deux chevaliers se joignirent à eux, l’atmosphère devenant pesante. Il y avait dans les mélodies profondes les entourant une sorte de fatalité qui oppressait Alaric.

Brusquement, un courant passa sur tout le corps du jeune homme. Comme une vague picotant les parcelles nues de sa peau.

― C’est de la magie, souffla Ayleri incrédule interrompant ses prières. Il doit s’être passé quelque chose d’emportant pour que les mages montent… quelque chose sur le campement.

― Je n’en avais jamais sentie, confessa le cadet d’Aprelön en fixant la paume de sa main et agitant les doigts. Peut-être on-t-il trouvé un nouvel espion. Penses-tu qu’ils sondent les esprits à distance ?

Le fils Herlëv se pétrifia.

― Le penses-tu ? Je n’ai jamais entendu qu’ils pouvaient faire ce genre d’intrusion sans l’autorisation explicite de la Couronne ou des Grands Commandeur et Ordonnateur. As-tu peur de la magie ?

― Non, bien sûre, s’offusqua le chevalier en resserrant sa poigne sur son bijou au point que la Flamme s’enfonça dans sa paume. Le don leur vient d’Ogdal. Les Saints eux-mêmes les ont choisi et béni.

― Alors as-tu quelque chose à cacher ? s’enquit Ayleri chez qui perçait une pointe de dégoût. Le baiser que tu as volé à la fille du bourreau, cette lunée que tu as passé dans ses bras, les nuitées avec elle dans tes bras. Ne l’aurais-tu pas profanée ?

L’offense était trop grande, carrant les épaules, Alaric se figea aux accusations abjectes de son plus fidèle ami. Il devait le détromper !

― Crois-tu qu’elle m’aurait pardonné cela ? s’insurgea-t-il en le défiant du regard. Penses-tu qu’elle me permettrais de l’approcher ? En aucun cas, je n’ai profité de ma position pour lui nuire ou la déshonorer. Ce baiser… aussi déplacé soit-il, m’a été offert avec abandon et volupté.

Ayleri l’examina désabuser.

― Je te crois mon ami, pardonne-moi. Mes offenses envers Ogdal et les Saints sont plus grandes que les tiennes, aussi, ne puis-je te juger.

Qu’est ce que ces paroles pouvaient bien sous-entendre ?

― Que veux-tu dire ?

Son ami pinça les lèvres, Alaric connaissait bien Ayleri et pouvait voir danser dans ses iris les tourments. Se frottant les yeux, il eut l’air au supplice. Le voir ainsi désarçonna le fils d’Aprelön qui retrouva son calme. C’était de soutient dont son presque frère avait besoin.

― Ne me pause pas plus de questions, je t’en conjure.

― Quoi que tu ais pu faire, je ne te jugerais pas.

― Oublie cela, je t’en conjure, le pria Ayleri en s’affalant sur sa couche.

― Vous parlez de vos amantes, les coupa le timbre bourru de Bërinn dont la main ouvrit le battant de la tente. Les chants de Gardiens ne font pas le même effet à tout le monde à ce que je vois, mes coquins.

Pénétrant dans l’espace réduit, le chevalier contorsionna sa grande carcasse en même temps qu’il ébouriffa les cheveux d’Alaric sous le choc de ses insinuations. Penser à cela ? Alors même que les dévotions des guerriers d’Ogdal résonnaient entre les tentes ?

― Allons, il plaisante, les calma aussitôt Göntränn en les rejoignant, se plaçant derrière Ayleri qui se statufia. On sait tous que votre piété vous interdit ce genre de pensées, enfin au temps des prières. Surtout pour toi, Alaric… Les paris vont bons trains sur la raison qui pousse un Chevalier de la Couronne à vous approcher.

Bërinn éclata d’un rire gras face aux mines déconfites des deux jeunes chevaliers et secoua gentiment le fils D’Aprelön.

― Allons, mugueter mon ami, les damoiselles n’a jamais voué un homme aux Dieux Fourbes. Maintenant, dit-nous en davantage sur ce Messire Flörïn qui vient d’installer sa tente su prêt de la nôtre qu’il nous entendra tous ronfler cette nuit.

Alaric soupira, faisant mine de ne pas donner d’importance aux quolibets. Ayleri, une moue indéchiffrable sur le visage, ne releva pas. Tant que rien de salace ne serait prononcer sur Eulalie, il ne se permettrait pas de défier un chevalier plus expérimenter. Une autre chose tourmentait son ami : la proximité de Bërinn en la présence de qui il n’était jamais vraiment serein.

Ce dernier renifla ostensiblement après avoir ri de bon cœur à la remarque du plus âgé des chevaliers et toisa leurs nouveaux compagnons.

― Avant cela, à votre tour de vous rafraichir, ce n’est pas parce que nous ne sommes pas des belles qu’il faut sentir le bouc !

― Nous vous garderons vos bols et vous offrirons une récompense si vous revenez dans des habites propres.

Levant le bras pour humer son odeur corporel, Alaric se mortifia en découvrant ses effluves. Se précipitant or de la tente, il attrapa son paquetage et se dirigea avec Ayleri vers la rivière. Le courant puissant charriait les eaux déversées par les intempéries et le lit à découvert au milieu de la pleine, ne permettait aucune intimité. Sur plusieurs dizaines de pieds de longs, une multitude d’homme se dévêtissaient malgré les températures peu clémentes pour leur abutions. Impudique depuis leur plus jeune âge, les chevaliers firent de même, frottant comme ils le pouvaient leur habit pour en enfiler des secs.

― Encore cette nuit, pourrais-tu… quémanda Ayleri à demi-mot en passant sa tunique. Je sais que j’en demande beaucoup, mais…

― Je prendrais la place entre Bërinn et toi, assura Alaric pour éviter à son ami de continuer à parler. Je sais que ses manies t’indisposent. Moi, je sais en faire façon.

Le cadet d’Herlëv était plus maniéré que la plupart d’entre eux en ce qui concernait l’intimité. Une particularité sur laquelle les autres chevaliers le taquiner, et qui justifiait sa demande. Marié, Bërinn avait la fâcheuse habitude, en campagne, de câliner ses camarades de tente dans son sommeil. Profondément endormit, il entourait systématique de ses bras, son voisin de droite, au cours de la nuit. Raison pour laquelle Göntränn s’octroyait sa gauche. Généralement, un bon coup de genou suffisait à lui remettre les idées en ordre.

La nuit était tombée, amassés autours des feux de camps crépitant où grillait la viande sur des broches improvisées, les chevaliers partagèrent leur vin et les plats avec les écuyers, qui les avaient préparés avec soin. Osselets et dés furent sortit, les jeux et paris commencèrent dans la bonne humeur, chacun y allant de ses moyens pour participer aux discussions et échangé avec ses confrères. Göntränn s’installa prêt de Bërinn en raison de leur affinités suites aux batailles passée. De longue révolution durant, Ayleri avait été l’écuyer de ce dernier.

― Messire Flörïn et ses acolytes ne vous quittes pas du regard, mes coquins, releva Göntränn entre ses dents en jetant un bûche au feu. Père est contrarié par cette situation, il se demande ce qu’il se trame et m’a demandé de vous espionner… à croire qu’il a oublié à qui va l’allégeance d’un chevalier sur un champ de bataille…

Avalant un trait de vin, Alaric sentit sa poitrine se gonfler d’expectative, en même temps que son cœur se mit à saigner.

― T’apportons-nous des problèmes ?

― Non, le Vicomte n’osera jamais se plaindre que nous nous installons auprès des Chevaliers Rouge, gronda Bërinn en arrachant avec les dents le bouchon de son outre d’alcool fort. Ces hommes ont prouvé leur bravoure pour gagner leur titre et même le plus jeunes d’entre eux mettrait à genou quatre d’entre nous.

― N’oublie pas qu’ils ont été également choisis pour leur piété et leur droiture, railla Göntränn dont l’attention se portait sur leurs voisins amassés autour d’une sphère d’un blanc aveuglant flottant entre eux. D’ailleurs, notre explication approche peut-être…

Interloqué, Alaric balaya aussi discrètement qu’il le pu la scène que jaugeait son ancien supérieur. Emmitouflé dans leurs capes d’un rouge reconnaissable, Messire Flörïn et deux de ses compagnons venaient de se lever. Un globe lumineux apparu aussitôt par-dessus la tête de l’un d’entre eux. D’un pas assurés, ils traversèrent en trois enjambées la distance qui les séparaient du groupe.

― Choque les, je veux évaluer leur répartie, ordonna Göntränn à Bërinn. Mets avis qu’ils ne sont pas aussi pure que ce que l’on raconte.

― Si vous voulez des marmots, c’est l’heure de planter vos graines, mes jeunes compagnons ! clama son complice à la cantonade.

La plaisanterie passa bien mal, seul les deux larrons rire de bon cœur à la boutade, réclamant chacune une gorgée de boisson odorante.

― Il ne sert à rien de faire naître des bâtards, ronchonna l’un des Chevalier Rouge à qui Bërinn tendit le breuvage. N’allez donc pas pervertir ce sang neuf. Un homme droit ne peut trouver la jouissance et l’épanouissement que dans une relation marital.

― Et que feront-ils sans espoir d’épouse ? les défia Göntränn que les mines dédaigneuses des Chevaliers de la Couronne avait renfrogné. Moi-même, en tant que cadet d’un Vicompte, je n’ai pas le statut de réclamé une femme…

― Rançonne là ! s’exclama Bërinn. Comment crois-tu que j’aie eu la mienne ? Je n’ai pas attendu que le Baron me fasse grâce d’une épouse. J’ai attendu qu’il laisse la mignonne s’en surveillance, j’ai choisi la plus jolie de ses filles évidemment ! et je l’ai enlevée.

Ayleri recracha son vin de stupeur et la colère se déversa dans l’esprit et les veines d’Alaric. Comment avait-il osé ? Lui-même se demandait depuis son plus jeune âge comment Bërinn avait obtenu un si beau partit. La réponse était atroce. Faire une telle chose n’était pas digne d’un chevalier. Cela en ternissait les codes et aurait dû être sévèrement puni. Mains sur la garde de leur épée, Les Chevaliers Rouges parurent tout aussi choqués par cette révélation.

Voyant que tous se m’éprenaient, Göntränn leur intima de refariné leurs ardeurs d’un mouvement de la main. Sans s’en apercevoir, les nouveaux adoubés s’étaient relevés. Instinctivement, Alaric prit conscience d’avoir imité la réaction des envoyés de la Couronne. Face à lui, Messire Flörïn fulminait.

― Ne vous emportez pas, aucune violence n’a été nécessaire, dans cette entreprise. Je ne suis pas une brute. Je n’ai eu qu’à lui dire que soit elle me suivait, soit je la porterais comme un sac de farine. J’ai caché Aulis dans les bois et est fait savoir à son père qu’elle était en ma possession, le reste, il se l’est imaginé seul. L’un de ses frères, particulièrement de mauvaise humeur, est venue la récupérer en m’apportant une partie de la dot et nous avons négocier une date de mariage assez proche. Elle était vierge la nuit de nos noces !

L’éclat qui brillait dans les yeux d’Ayleri et des Chevaliers Rouges ne plus pas à Alaric qui remercia Ogdal que ses sœurs vivent loin de la Noblesse. Constia restait à marier et en était largement en âge. Mignonne et docile, elle restait célibataire car aucun parti ne semblait plus convenir au Baron D’Aprelön. De plus, la cadette avait toujours fait part de son intention de rejoindre les Sœurs d’Ogdal. Ce à quoi leur père se refusait. Or, elle était tout à fait du goût de plusieurs chevaliers, dont Gathrùn et Körin. L’œillade que son ami jeta au jeune homme le conforta ses soupçons.

C’était exactement ce genre de réaction qui incitait Alaric à l’envisager comme une partit convenable pour Glaïs, sa plus jeune sœur. Entre les bras d’Ayleri elle serait en sécurité, bien traitée et à l’abris de la faim et du froid. Il ne voyait pas de meilleur partit pour une âme si tendre.

Une mélodie s’éleva dans les airs, l’un des Chevaliers de la Couronne venait de sortir une flûte, apportant un peu de gaieté à la nuit sombre et venteuse. Messire Chasnöy l’accompagna bien vite de son timbre grave et plusieurs Chevaliers Rouges entamèrent en cœur le refrain d’hymne à la gloire de leur ordre.

― Et vous Messire Flörïn comment avez-vous obtenu votre épouse ? interpella Gontran en se frottant les mains.

― En gagnant l’estime de son frère par mes faits d’armes, cela va sans dire, se défendit le chevalier d’un claquement de langue. Il n’aurait pu en être autrement, Féliönn est la cadette du Comte d’Ameriv.

Impressionné Alaric ne pu retenir un hoquet de surprise. Son intérêt s’éveilla sur les origines du Chevalier Rouge.

― Je parie que vous êtes fils de Chevalier de la Couronne, éluda Bërinn loin d’être admiratif. Les vôtres sont à peine situé en dessous de la Noblesse. Même si vous étiez un puis né et m’est avis que ce n’est pas le cas, elle ne s’est pas mariée en dessous de son rang.

― Toi-même tu es un puiné, lui rappela Göntränn. Tous ceux ici qui ont au moins un frère le sont. Pour les autres, ils ont perdu leur ainé dans une bataille ou de maladie, ou alors sont rester fils unique.

― Tout homme est maître de son destin, philosopha Messire Flörïn dont les yeux s’étaient étrécit en prenant place face à Alaric. Ne vous révoltez pas, je ne fais qu’énoncer une vérité que tous oublient. Ce sont nos bras guidé par nos choix qui définissent ou non notre mort.

Irrités, Bërinn, Göntränn et Ayleri se cabrèrent. Les deux premiers se voyaient insultés dans leur honneur, comme si leur situation malheureuse n’était due qu’à leur couardise. Bien que Bërinn ait tiré son épingle du jeu par son mariage. En ce qui concernait le cadet d’Herlëv, une telle offense envers Ogdal le blessait, quand Alaric sentait l’espoir renaître en lui.

Partager, Alaric ne savait comment réagir.

― Alors je n’ai fait que suivre vos préceptes ! nargua Bërinn. J’ai pris en main mon destin en enlevant la jeune fille qui est devenue ma femme. Elle m’a apporté bien plus que sa dot.

Ignorant la remarque, les autres Chevaliers de la Couronne s’assirent en cercle autour du feu. Une décharge de magie pulsa contre la peau d’Alaric et le brasier se raviva. Au même moment, le globe lumineux éclairant les visiteurs disparu, aspiré sur lui-même.

― Il n’y a pas d’honneur à conquérir une femme par la force, releva l’un d’eux avec détermination. Que ce soit en la couchant ou en la menant à l’autel.

― Alors même que chacune d’elle est vendue par le chef de sa famille ? rétorqua Göntränn goguenard. J’espère que vous ne vous faites nulles illusions sur ce qui a mené vos épouses dans vos lits.

Bafouées, les Chevaliers serrèrent les mâchoires, des muscles contractés marquant leurs joues de stries blanches. Les compagnon d’Alaric risquaient gros à se jouer ainsi de combattants aussi expérimentés et dangereux. L’étau se resserrait, prit au piège de leur manigance, Bërinn et le fils du Vicomte n’avaient d’autres choix que de garder leur ligne de conduite pour ne pas perdre la face.

À côté d’Alaric, Ayleri ouvrait et refermait son poing pour se calmer. Il ne tenait plus qu’au cadet d’Aprelön de désamorcer la situation s’il ne souhaitait pas de bain de sang. Étrangement, il ne souhaitait prendre aucun partit, car si son affection allait à ses frères d’armes, sa raison et ses ambitions soutenaient les Chevaliers Rouges.

― L’important n’est-il pas finalement comment la Dame est traitée après ses noces ? intervint-il en arrachant un morceau de lapin juteux à la broche. Si les hommes sont maître de leur destin, ils le sont également des femmes de leur famille. Aussi, le devoir d’un époux est de prendre soin d’elles pour leur offrir ce qu’il y a de mieux à notre portée.

― Certes mon coquin, mais combien agissent de la sorte ? rectifia Göntränn en buvant une gorgée de vin. Je sais comment Bërinn et sait combien il prend soin d’Aulis. Combien de nos amis de la Couronne peuvent se targuer d’en faire autant ? Tous savent que les chevaliers de votre ordre, Messire Flörïn sont encourager à assurés la génération suivante.

Le ton employé par le fils du Vicomte déclencha une plus grande méfiance chez leur acolytes vêtus de rouge.

― Je peux jurer devant Ogdal n’avoir jamais imposé ma présence à Féliönn, se défendit le Chevalier Rouge en relevant le menton. Si nos épouses font leur devoir, ce n’est en aucun cas sous la contrainte. Je peux en dire de même pour chacun des hommes qui m’accompagnent.

― Nous ne sommes pas de ses soudards qui marchent à l’arrière ou de ses infidèles que nous partons combattre, lança le chevalier à sa gauche dans un haussement d’épaule dédaigneux. Si vous trouvez que les nôtres sont dures avec nos femmes et nos filles, vous ne pouvez pas imaginer ce qu’il en est de l’autre côté de la frontière.

― Que voulez-vous dire ? s’étonna Göntränn

Ayleri lui jeta un regard emplit de haine au feu crépitant. Absorbé par les flammes, il semblait en proie à une grande réflexion.

― Il suffit Mùrkil, aboya Messire Flörïn avec vindicte. Higdrï est la voie des Dieux Fourbes, rependre ses préceptes augmente sa puissance.

Les yeux d’Alaric s’écarquillèrent et Ayleri cessa un instant de respirer. Qu’avait-il dit ?

― Vous ne savez pas ce que fait Higdrï ? s’étonna Bërinn.

― Nous préférons que cela ne s’ébruite pas, l’arrêta le Chevalier de la Couronne avec un peu plus de patience. Beaucoup trop de soudards hantes nos rangs et nous avons bons espoirs de libérés ces femmes avant que leurs valeurs ne soient connues.

Quelque chose dans ses inflexions trahir un mensonge. Contrarié, Alaric détourna le regard pour ne pas trahir ses doutes. Ne pas dire la vérité était un pécher, encore plus pour un chevalier ayant prêté serment. Ses pensées se tournèrent sur les raisons qui pouvaient pousser Messire Flörïn, dont l’âme donnait une impression de pureté et de justice, de commettre un tel crime.

― Dans ce cas, vous devriez démentir les rumeurs, conseilla Bërinn avec sérieux en prenant à son tour un morceau de viande. Je ne suis pas le seul à avoir entendu des histoires étranges sur ses contrées. Ce qu’abrite le Benyir est tout aussi dangereux pour les simples habitants que pour les mages et beaucoup de marchants en reviennent la bouche emplies de souvenirs pour les moins… déstabilisant.

― Merci pour cet avertissement, bougonna Messire Mùrkil en se relevant en même temps que ses compatriotes. Nous allons nous reposer, une longue traversés nous attend demain. J’ignore si vous avez déjà prit la mer, cependant, beaucoup seront affectés par le roulis des vagues.

― Ne manger pas davantage que nécessaire, traduisit le troisième Chevalier Rouge en reportant son attention sur la viande qui rôtissait. Vous pourriez le regretter une fois le pied posé sur le pont du navire.

― Bonne nuit, mes amis, qu’Ogdal vous accompagne, clama Göntränn tandis qu’ils se retiraient. Eh bien ! C’est que ce que l’on raconte sur cet ordre est vrai. Ils sont trop honnêtes que pour être aussi pures qu’ils le prétendent.

La remarque froissa Alaric dont les muscles se raidirent. Il aspirait lui-même à devenir une lunée aussi droit et sans reproches que l’étaient ses hommes. Se léchant les doigts, le chevalier termina son repas un nœuds au ventre à l’idée de ce qui l’attendrait le lendemain. Les déclarations des Chevaliers de la Couronne le déstabilisaient. De toute évidence, eux aussi étaient prit dans la politique et leur langue liée par des obligations. Savoir que l’une d’elles étaient de fournirent en futur chevalier la Couronne le mettait mal à l’aise.

🧶

Dans l’obscurité humide du cachot, Eulalie, s’affairait à passer un onguent sur le moignon du prisonnier face à elle. L’odeur ferreuse du sang la prenait à la gorge, ce qui ne l’empêchait pas d’accomplir sa tâche avec ferme une application. Si l’homme mourait, ce serait sa faute et son frère serait puni pour négligence. Les voleurs n’étaient censés trépasser d’une main coupée. Allongé sur le ventre à même la terre battue et la paille, le malheureuse émettait des couinements rauques.

Ses mains délicates commencent à bander la plaie de chiffons propres. Plus compatissante qu’elle ne l’aurait dû, elle attrapa un morceau de touille humide pour lui éponger le front. Il ne fallait pas que la gangrène s’installe. Avec les bonnes directives, l’épouse du condamné éviterait le pire. Un gargouillis monta de la gorge de l’homme lorsqu’elle resserra le nœud. Malgré l’application et la netteté qu’Hölvi mettait dans son travail, la perte d’un membre engendrait d’atroce souffrances.

Cet homme ne méritait pas cela. C’était uniquement le désespoir qui l’avait poussé à commettre le crime. Victime d’un accident qui lui avait broyé le genou, l’ouvrier avait perdu son emploi et n’arrivait plus à nourrir ses enfants. Bien qu’elle sût ne pas devoir s’attacher à la misère qu’elle rencontrait, la fille du bourreau restait pleine d’empathie.

Elle épongeait doucement le sang du prisonnier, concentrée sur sa tâche, lorsque Hölvi fit irruption devant la porte restée ouverte. Son regard dur, sa démarche déterminée, éveillèrent les soupçons de la jeune fille. Qu’avait-elle pu faire ?

― Eulalie, l’appela son frère depuis le couloir. Tu devrais avoir fini depuis longtemps. Laisse le maintenant.

Son sinistre devoir, terminé, elle vérifia du dos de la main la température de l’homme. Une main posée sur son front, elle pinça les lèvres en se relevant. Hölvi, l’attendait hors du cachot, dans le couloir humide et froid. La mine grave, il la fixa un instant avant de secouer la tête de dépit. Il n’était pas connu pour sa complaisance, comme leur père. Mais bien pour la froideur qu’il mettait dans son travail. Ce dont la Comtesse l’avait complimenté pas plus tard que l’heptalune précédente.

― Tu dois absolument t’endurcir ma sœur, décréta-t-il avec gravité.

― Je suis capable d’accomplir mon devoir, murmura-t-elle en passant devant lui, non sans jeter un dernier regard au malheureux recroquevillé. Je l’ai déjà fait.

— Je sais, seulement tes faiblesses… nous devons parler, trancha Hölvi d’un ton qui ne tolérait aucune réplique. Père a reçu une lettre de Cazkër. Je t’ai déjà dit que le bourreau, là-bas, a un fils… Il leur faut absolument du sang neuf et il souhaite le marier à une femme de notre profession. C’est un cousin éloigné de l’épouse de Gäld. Un homme bien, pour ce que père en sait.

Eulalie leva les yeux vers lui. Une lueur d’inquiétude dans le regard, mais ne dit mot, sachant que son frère n’avait pas encore terminé. Elle n’était pas partie avec l’Ost, comme le prévoyait Père, elle en avait déduit que les négociations étaient interrompues.

— C’est une opportunité pour toi, insista son frère le timbre plus doux. Je me suis renseigné auprès de nos cousins, il jouit d’une bonne réputation. Venter ses mérites leur à été difficile. Plusieurs s’étaient imaginer t’avoir, cependant, Père ne voulu pas d’un idiot dans la famille. Nous savons tout deux ce que représente trop peu de mixité. Les rois eux-mêmes ne s’échangent pas toujours leurs filles et pioches parmi les Nobles de la Cour pour se renouvelles. Tu ne trouveras pas meilleure occasion.

Un frisson la parcouru. Elle avait pourtant cru après le passage d’Alaric à leur demeure… Quand le chevalier s’était défendu de la vouloir pour plus qu’une nuit…

— Hölvi, murmura Eulalie, la voix tremblante d’appréhension. Je pensais que… tu as rencontré Messire d’Aprelön… Tu avais promis de repousser au mieux mes épousailles.

Le regard gris sombre du jeune homme se posa sur elle. Ses traits affichèrent une déception qui lui broya le cœur et les entrailles. Il y avait dans ses iris, une lueur sauvage, elle rata un pas. Manquant de trébucher, elle fut rattrapée par la poigne solide de son frère.

— Ton chevalier ne reviendra pas de la croisade, Eulalie ! l’arrêta-t-il sa colère reprenant le dessus. Ce sont des rêves d’enfant. Tu dois voir la réalité en face ! Et même, s’il revenait, ce ne serait pas pour épouser une femme telle que toi. Car ne t’y trompe pas, s’il venait à remettre le pied à Nuzeo, tu serais déjà une femme faite.

Sans broncher, Eulalie baissa les yeux. Écrasée par la conviction et la rage d’Hölvi, elle accusa ses paroles. Contester ses mots serait impensable. Sa place était celle d’une fille et d’une sœur dévouée.

— Je… Je comprends, articula-t-elle à peine, acceptant, malgré elle, la logique implacable qui s’imposait. Ne pourrais-tu toutefois…

Les doigts puissant de son frère ses resserrent sur la manche de sa robe. Le soir venu, elle en porterait la marque. La mâchoire contractée, il consentit à la lâcher après l’avoir remise sur ses pieds.

— Je ne suis pas Père, uniquement ton frère, ronchonna Hölvi que sa soumission paraissait apaisée. Cet apprenti de Cazkër, saura te protéger. Toi, tu continueras à vivre dans un monde que tu connais déjà. Parmi des gens pour qui tu as de la valeur. Certaines de leurs coutumes sont différentes. Il te faudra t’en accommodés, mais ce ne sera pas avant plusieurs cycles, voir des révolutions.

Un espoir grandit dans l’âme d’Eulalie. Avait-il bien parler de révolution ? Conservant ses iris braquées sur les pointes de ses chaussures qui dépassaient à chaque pas de sa robe, elle se prit à nourrir ses illusions. Dans les dernières inflexions de son frère, elle avait décelé note presque implorante. Un désir palpable de protéger sa sœur qu’elle pourrait tourner en sa faveur.

La réalité la rattrapa avant qu’elle atteigne l’escalier en colimaçon. Hölvi n’était pas homme à change d’avis. Son emprise sur Père, la façon dont il se jouait de tous ceux qui l’entourait se faisait grandissante. Au fil du dernier cycle, elle avait appris à observer des détails qui la terrifiait.

Résignée, Eulalie acquiesça lentement, bien que chaque fibre de son être se révolte contre l’idée d’abandonner son amour pour Alaric. Fin stratège, son frère aperçu la faille et s’y engouffra.

— Tu dois comprendre ce que cela signifie si quelqu’un apprenait pour… le baiser que ce porc t’a volé, renâcla son ainé le timbre sérieux. L’honneur d’une femme est fragile, que ce soit au sein du Pacte ou ailleurs. Pour ce simple écart, tu perdrais ta réputation, elle serait irrémédiablement ternie et nul homme ne voudrait plus de toi.

La jeune fille voulu déglutir, sa salive se bloqua dans sa gorge. La mine basse, elle pouvait voir les poings serrés de son frère dont les jointures blanchissaient. Une pellicule de sueur lui recouvrit la peau. Elle avait conscience d’avoir partagé des instants bien plus compromettants avec Alaric d’Aprelön. Des moments qui, s’il venait à être connu, lui promettrait l’opprobre et le dévoiement dans les lupanars ou autres étuves.

— Le Pacte ne pardonne pas facilement. Si ton… écart avec ce chevalier venait à être connu, il n’y aurait pas que ta vertu qui serait remise en question. Crois-tu que Père survivrait à te savoir offerte au premier venu ? poursuivit Hölvi en crachant presque.

D’un seul geste, il s’arrêta, empoignant entre deux doigts le menton d’Eulalie, il la força à le regarde. Scrutant le visage de sa sœur de ses yeux devenu fous, il guetta sa réaction. L’étincelle sauvage qui y brilla donna envie à la jeune fille de reculer. Ce qui lui était impossible.

— Je refuse de te voir vendre tes charmes pour un unique écart de conduite. Car j’espère qu’il en est ainsi, ma sœur, la menaça-t-il à demi-mot en commençant à lui caresser la mâchoire du pouce. À cause de la guerre qui se prépare en Weerl-Niia, le bourreau de Cazkër propose que ce soit son fils qui nous rejoigne afin de t’évaluer. Un pigeon est parti ce matin, père à accepter.

Eulalie écoutait, partagée entre la peur de ce que son acte impulsif pourrait engendrer et la promesse d’une protection future. Elle savait que son frère, malgré son approche brutale, cherchait à la sécuriser dans un monde où les rumeurs et le scandale pouvaient détruire une vie. Elle réfléchit à ce que signifierait cette cage. Avant sa rencontre avec Alaric, comme toutes filles aimantes, elle avait été persuadée d’apprécier une vie sans amour. Nourrie, logée, elle n’aurait jamais faim ou froid, on bon bourreau avait du travail à ne plus savoir qu’en faire. Raison pour laquelle ils ne rechignaient pas à avoir de nombreux enfants.

C’était cette vie que sa mère lui avait apprit à mener. Une existence d’épouse dévouée qui épongeait le sang et nettoyait les blessures. Celle d’une femme qui ne refuserait pas de dormir aux côtés de son mari. Qui porterait ses enfants au marché pour prendre sa part. Une vie paisible dont le seul tord était d’être en marge de la société.

Ces moments arriveraient bien plus tôt qu’elle ne s’y attendait. En même temps que le jeune apprenti bourreau de Cazkër. Elle deviendrait une femme, dans les bras de cet inconnu, si telle était la volonté de son père. Une marchandise échangée contre une alliance et la promesse de nouveaux-nés en pleine santé. Un destin qui attendrait également la femme qui ne saurait tarder à arriver pour son ainé.

La complexité de ses sentiments l’envahit Eulalie, la conscience de son secret la rendant encore plus vulnérable. Elle reconnaissait la sagesse dans les paroles de Hölvi, mais son âme pleurait le rêve d’un amour qui transcendait leur condition. Tout serait tellement différent au bras d’Alaric d’Aprelön. En tant qu’épouse de chevalier, elle serait respectée. Plus personne n’oserait lui cracher au visage ou l’accuser du mauvais œil. Deux faits qu’elle n’avait jamais eut le courage de confier aux hommes de sa famille.

Elle n’aurait plus à surveillé le moindre de ses geste afin d’éviter d’offenser qui que ce soit.

― Ne crois pas qu’il ne demandera que tu sois vérifié par la Matrone. Nos familles ne sont pas encore unies, la confiance reste fragile. Ne fait pas cette tête, je ne t’accuse de rien. J’ai négocié avec Père d’avoir mon mot à dire et de te chaperonner au moins six cycles avant qu’il ne te réclame. Il parait que c’est un homme fier, dont la droiture n’a d’égal que le sérieux et l’austérité. Il saura te garder au-delà des futilités de l’amour. Il te protégera, te fournira un foyer et une position. Il comprend les exigences de notre vie et te traitera avec le respect dû à une femme de ta condition. Tu seras en sécurité avec lui, assurée d’une vie stable.

Alors c’était déjà fait ? Elle ne gagnerait pas des révolutions à éviter de rejoindre Weerl-Niia. La vérité était qu’elle serait mariée ici, apprendrait les coutumes de son époux et serait renvoyée avec lui dans sa patrie une fois la Croisade finie. Le tumulte de la guerre terminé, elle s’en irait, loin de la où reviendrait Alaric.

Elle ne le révérait jamais.

Cette fatalité la terrifiait autant qu’elle l’indignait. Hölvi ne présentait pas l’appentis de Cazkër sous les meilleurs hospices. Entre les mots, elle décelait un homme rustre et peu bavard, à l’instar de l’un de leur oncle. De ceux qui grogne au lieu de s’exprimer. Elle se sentait arrachée à ses sentiments, à l’espoir ténu mais précieux d’un amour partagé avec un homme qu’elle admirait.

À la place, elle serait offerte à un inconnu, un destin plus cruel que les murs froids de ce cachot. Elle n’avait pourtant aucun droit de refuser cette alliance. Il lui en faudrait expliquer les raisons à Père. Cela, elle en serait bien incapable. Tiraillée entre son devoir familial et les élans de son cœur, Eulalie se retrouvait à un carrefour de sa vie. En tant que femme, elle n’aurait aucun pouvoir sur le chemin choisi pour elle.

― Il sera parmi nous dans deux cycles, l’avertit son frère ses prunelles grises plantées dans les siennes. Rassure-toi, je veillerais à ce qu’il soit bon avec toi. Avec un peu de chance, ton premier enfant dans le ventre, tu oublieras tes rêves de petite fille. En attendant, le bourreau de Cazkër à eut vent de ta réputation, il souhaiterait que Père et moi t’endurcissions. Les femmes trop douces n’ont pas leur place si proche de la frontière de Benyir.

Sa pensée s’échappa de ses lèvres.

― Ce ne sera pas grave, une fois la Croisade…

Le pincement des doigts d’Hölvi sous son menton la fit taire. L’éclat dans ses yeux la terrifia davantage. Se tassant sur elle-même, elle tenta sans le vouloir de reculer. La paume de son ainé glissant de l’arrête de son visage à sa joue, il la libéra une moue désolée sur les traits.

― Je ne veux que ton bien, Eulalie. D’ailleurs, rassure-toi, Gäld et moi avons insisté auprès de Père concernant l’âge de tes prétendant. Celui-ci n’a que vingt-six révolutions. Cela ne fera que neuf d’écart avec toi. Nous avons refusé d’amblée tout ceux dépassant les trente. Tu nous es précieuse, ma sœur.

Déposant un chaste baiser sur sa joue, Hölvi passa une main dans ses cheveux. Son bras entoura ensuite la taille de la jeune fille qu’il pressa contre lui pour monter l’escalier.

Venu d’un recoin sombre du couloir, Eulalie cru entre une ricannement.

🗡️

Debout face à une marée de tentes dressées, Alaric admirait l’architecture de l’édifice qui le surplombait. Le jeune chevalier, avait souffert durant les deux lunées en mer qui les avaient menés, lui et l’Ost, vers la plus proche des forteresses des Gardiens de la Flamme. Le mal de l’océan l’avait tourmenté sans relâche, laissant son corps épuisé et son esprit fatigué. Pourtant, à son arrivée, tout vestige de malaise fut rapidement balayé par l’émerveillement.

La construction, nichée au cœur d’un paysage vallonné et dominé par d’immenses vignobles, n’avait rien de pareils avec ce qu’il avait connu. Les bâtiments, avec leurs toits colorés en tuiles vernissées, formant des motifs complexes, les façades ornées de pignons savamment travaillés, s’élevaient majestueusement. L’ensemble architectural, à la fois robuste et élégant, était un témoignage de la prospérité et de la foi qui animaient les Gardiens ayant construit le lieu.

La nuée de chevaliers, Noblesses et piétailles avait traversé plusieurs petit village avant de s’enfoncer dans les terres. Ici et là, des hommes charriaient des convois de poissons et fruits de mer ramenés de leur lunée de pêche. Des paysans travaillaient la terre, trop heureux de voir arrivés sur leur sol une part de l’armée Sainte qui vaincrait Higdrï.

Tout au long de la traversée, Alaric avait été impressionné par la piété d’Ayleri. Malgré les épreuves et le tangage incessant du navire, son ami avait conservé une ferveur inébranlable. Il avait trouvé des moments de recueillement et de prière même dans les conditions les plus adverses. Sa dévotion suscitait chez le cadet d’Aprelön une certaine jalousie, un respect profond et une curiosité quant à ses projets qui lui serrait le cœur. De plus en plus enclin à se plonger dans les pratiques spirituelles des Gardiens de la Flamme, son frère d’armes avaient passés les dernières lunées plus proches des Moines.

Entre ses approches répétées envers les Gardiens et la propension d’Alaric à rester dans le sillage de Messire Flörïn, Göntränn leur avait appris que le Vicomte se trouvait fort mécontent. Plus les jeunes hommes restaient éloignés de leurs Seigneurs, plus la Corporation ou la Garde se verrait en droit de les réclamés. Une perspective qui ne devait pas plaire au Comte. En particulier alors que la Vicomtesse elle-même, nourrissait des projets secrets pour le fils d’Aprelön.

Sortant de l’une des rangées de vignobles qui entouraient la forteresse, un Gardien de la Flamme apparut derrière Ayleri. Celui-ci observait les rangées de vigne soigneusement entretenues, le soleil doux se reflétant sur les grappes de raisin mûr. Une tentation interdite à quiconque ne voulait pas combattre avec un moignon de main. L’air était empli d’une tranquillité rurale, propice à la dévotions. Le murmure du vent dans les feuilles ajoutait à la sérénité du lieu, l’une des raisons qui avaient poussés les jeunes chevaliers à se retirer pour prier.

— Messires, les interpella l’homme d’une quarantaine de révolutions, avec une autorité teintée de bienveillance. Le voici flatté de vous avoir retrouvez. Je suis mandé par mes frères pour vous inviter tous deux à la chapelle, pour un moment de recueillement.

Un regard aux prunelles noires empreinte d’une certaine douceur, le Gardien Römùn était l’un des Moines qu’Ayleri admirait le plus. Fils d’une grande maison, héritier de multiples bien, le chevalier avait tout quitter afin de défendre la foi d’Ogdal. Un model s’il en était.

Ce fut donc avec une certaine anticipation qu’Alaric accueillit l’invitation. Il ne put s’empêcher de jeter des regards discrets vers Messire Flörïn, qui conversait à quelques encolures de là avec ses confrères. L’intérêt du Chevalier de la Couronne pour le jeune homme, était devenu évidence. Étrangement, simple chevaliers sans envergures, ni talents particuliers, son ami et lui se voyaient attribués l’attachement distinct de deux des plus éminentes congrégations du Pacte.

Une dualité qui paraissait vouée à le séparer de son ami.

— Je vous remercie de votre invitation, répondit poliment Ayleri, son visage empreint de la sérénité qui le caractérisait. Ce sera pour nous un grand honneur de nous joindre à vous.

Alaric hocha la tête en signe d’acquiescement. Le doute courait dans ses veines. Les manœuvres politiques avaient bon train au sein de l’armée, il ne souhaitait pas corrompre ses chances d’une lunée rejoindre les Chevaliers Rouges. Or, prier avec les Gardiens serait peut-être vu comme un acte de déloyauté. Quoique… les uns et les autres semblaient évolués régulièrement en bonne entente…

— Ce serait un plaisir, ajouta le jeune homme, cependant je ne désire pas importuner Messire Flörïn. Il semble… préoccupé par des affaires importantes et le tenir au fait de mes déplacements parait être la moindre des politesses en retour de ses bontés à notre égard.

Oui, il le devait bien au Chevalier de la Couronne, décréta pour lui-même Alaric. La proximité du Garde l’éloignait pour l’instant des complots. Son feu était toujours vif et les conversations, à la nuit tombée, de plus en plus enrichissantes. Les trois confrères de Messire Flörïn prenait même, à présent les entrainements du chevalier en main. Ils lui enseignaient des parades uniquement connues de plus grands guerriers. Lui apprenaient les grands principes régissant leur vie. Le détournait des tentation de gourmandises et de luxure. Le soir venu, ils évoquaient avec tendresse et respects leurs épouses quand beaucoup d’hommes pestaient de ne pas trouver de ribaudes.

Le Gardien Römùn, comprenant l’inquiétude sous-jacente ses mots, esquissa un sourire rassurant. À son côté, Ayleri avait affecté une moue chagrine sur ses traits allongés un peu efféminé.

— Ne vous en faites pas, Messire Flörïn et ses frères ne vous en tiendrons pas rigueur. Votre présence à la chapelle ne sera pas vue comme une trahison à leur égard. Nos ordres ont nombré de principes commun et il n’est pas rare qu’un Chevalier de la Couronne sollicite une retraite en nos mures. La prière et la méditation sont des piliers de notre Corporation, accessibles à tous, indépendamment des obligations terrestres. Venez, que vos âmes soient nourries par le recueillement.

Apprendre que certains Chevaliers de la Couronne, choisissaient parfois de se retirer au sein des Gardiens pour une période de recueillement et de réflexion, bouleversa profondément Alaric. Cette révélation le perturba, remettant en question sa propre perception de la force et de la foi. Ces figures emblématiques de force et de bravoure, cherchaient eux aussi refuge et guidance auprès des Gardiens.

L’idée que même les plus vaillants parmi les chevaliers ressentaient le besoin de se recentrer, de se replonger dans leur foi pour puiser de nouvelles forces, lui offrait une perspective nouvelle sur la quête personnelle de sens. Le jeune chevalier les avait toujours perçus comme inébranlables, tant dans la vigueur de leur corps que dans la fermeté de leurs convictions

Cela révélait une vulnérabilité cachée, une humilité devant les grandes questions de l’existence et du devoir, qui contrastait avec l’image imperturbable qu’ils projetaient sur les champs de bataille.

Ayleri, toujours enclin à suivre le chemin de la foi, adressa un regard encourageant au cadet d’Aprelön. Sans un mot, il l’incita à mettre de côté ses préoccupations sur l’avenir et de les troquer contre un moment de paix spirituelle. Avant de changer de tactique.

― Allons, accompagne-nous, insista posément son ami les yeux brillants. Tu t’es encore lamenté hier de n’avoir pu te confesser après notre départ de Nuzo. Je suis certain qu’un Gardien sera ravi de t’absoudre de tes péchés.

Alaric, après un dernier regard vers Messir Flörïn qui continuait sa discussion, indifférent au monde autour de lui, acquiesça finalement. Oui, il avait un grand besoin qu’Ogdal lui pardonne ses faiblesses. Sa chair corrompue l’invitait parfois à des délices dont il ne souhaitait plus être l’esclave. Par bonheur, il partageait sa tente avec trois de ses compagnons d’armes.

Les deux jeunes chevaliers emboitèrent le pas du Gardien Römùn en direction la chapelle. Quittant les vignes, ils pénétrèrent dans la Cour de l’édifice ou même la Noblesse n’était pas bienvenue. Rare était les invités, hors des membres de la Corporation, à être autorisé à passer ses murs. À la grande porte, une sentinelle les salua.

La chapelle elle-même était un bijou d’architecture, ses murs de pierre épais offrant une fraîcheur bienvenue après la chaleur extérieure. La lumière tamisée par les vitraux colorés baignait l’espace d’une atmosphère presque mystique. Les bancs de bois alignés faisaient face à un autel simple mais imposant, surmonté d’une Flamme émaillée. Alaric, en pénétrant dans ce sanctuaire, sentit une paix profonde l’envahir.

Observant Ayleri s’agenouiller avec une révérence naturelle, il fut saisi par la force tranquille de la foi qui animait cet endroit. Pour la première fois depuis longtemps, le cadet d’Aprelön ressentit le désir de se recueillir, non pas afin de trouver prière un réconfort et le pardon de ses péchés, mais pour se connecter à Ogdal et les Saints. Retrouvés la voie de la Sainte lumière que lui avait fait perdre les yeux d’Eulalie et les cuisses de Falia.

La lumière filtrée par les vitraux jetait des éclats colorés sur les visages recueillis des Gardiens en prière. Beaucoup avaient épée et poignard déposer à leur pied. D’autres, sans doute des Gardiens Moines, Postulants et Moines ouvriers n’arboraient de leur appartenance à la Commanderie qu’un vêtement à la Flamme bleue. Dans un coin reculé, Alaric eut la surprise d’apercevoir trois chevaliers, dont un masque de fer cachait le visage. Des Maudits ! des hommes dont la lèpre, ou autres maux, dévoraient la chair en rémissions de leurs péchés jadis.

Le jeune homme n’eut pas le loisir de contempler d’avantage ces guerriers au supplice. Un coup de coude d’Ayleri le rappela vivement à l’ordre, tandis qu’il s’installait au côté du Gardien Römùn, dans l’attente des prières. Il ne s’agissait pas d’un grand moment de la lunée ponctuant la vie des Gardiens. Uniquement un replis supplémentaire sur leu foi. Les chants graves résonnèrent dans l’édifices, marquant le début de cet instant de partage.

Entouré par la piété et la ferveur des hommes qui y priaient, Alaric se sentait profondément mal à l’aise. L’atmosphère de dévotion qui imprégnait le lieu ne faisait qu’accroître son sentiment de honte face à ses propres actions. La révérence et la discipline qui caractérisaient les Gardiens, leur intégrité inébranlable, contrastaient douloureusement avec les élan de la chair auxquels il avait cédé. Chaque prière murmurée, chaque tête inclinée dans un geste de foi pure, semblait lui rappeler son écart avant le mariage. L’intimité partagée avec Eulalie, loin des sacrements et des bénédictions pesèrent sur son âme.

La culpabilité le rongeait, l’obligeant à repenser à chaque moment passé avec la fille du bourreau pour s’en repentir. Il se sentait indigne de se tenir parmi ces guerriers dont la vie était une offrande continuelle à leur foi, à Ogdal. Le jeune homme luttait pour trouver sa place dans cette chapelle. Son esprit était tourmenté par le souvenir de ses faiblesses, de ses désirs humains qui l’avaient éloigné des idéaux qu’il aspirait à incarner. La distance entre lui et les principes qu’il s’était juré de respecter semblait s’accroître à chaque battement de son cœur, le laissant isolé au milieu de la communion des fidèles. Perdu dans un océan de regrets et de remords, il hoqueta quant la main d’Ayleri prit la sienne.

Se tournant sur son ami, il vit les traits empreints de sérénité de celui-ci refermés dans la prière. Les couleurs des vitraux créaient un jeu de lumière sur sa peau laiteuse. Paupières closes, son frère articulait silencieusement les paroles des chants graves des Gardiens. Un instant, Alaric s’étonna de sa beauté et de sa candeur. Puis, soudain, les prières furent brusquement interrompues par le son précipités de galops venant de la cour.

Alartés, les deux chevaliers se signèrent avant de se précipiter à l’extérieur de l’édifice. Les dévotions s’arrêtèrent, sur leur talons, le Gardien Römùn fit signe à ses frères qu’il partait aux nouvelles. L’arrivée des deux chevaliers de la Corporation dans la cour fut marquée par le claquement rythmique de leurs épées contre leurs hanches. Un son métallique qui tranchait avec le calme habituel du lieu. Leurs montures, poussant des hennissements vigoureux, s’arrêtèrent brusquement, soulevant des nuages de poussière sous leurs sabots.

Leurs visages, poussiéreux, marqués par le voyage et l’intensité de leur mission, étaient empreints d’une détermination farouche. Tandis qu’ils descendaient de cheval avec une aisance qui témoignait de leur habileté, le picotement de la magie chatouilla la peau exposée d’Alaric. Auprès de lui, Ayleri eu un mouvement de recul. Autour d’eux, l’atmosphère changea instantanément, l’excitation palpable parmi les Gardiens qui se déversaient hors de la chapelle.

Les regards se tournaient vers eux, mêlant curiosité et respect, tandis que les murmures se faisaient plus pressants, cherchant à deviner la nature de leur visite impromptue. Leurs capes marquées de la Flamme bleutée claquèrent au vent. En s’avançant vers le Gardien qui les accueillait, leurs pas résonnèrent sur les pavés de la cour. Il y avait une tension subtile dans leur démarche annonçant l’importance de leur message et l’urgence de leur quête.

Le Gardien Römùn parut reconnaitre immédiatement les arrivants. Une expression emplie d’une surprise mêlée d’excitation sur son visage débonnaire, il s’élança vers eux.

— Oglev, Caspiänn ! Vous voilà enfin ! s’exclama-t-il en les accueillant chaleureusement. Beaucoup de nos frères ce sont inquiéter en remarquant votre absence au rassemblement.

Âgés d’une quarantaine de révolution, le premier avait une stature fine, élancée et noueuse. Ses longs cheveux bruns étaient noués sur sa nuque, quelques mèches volant autour de son visage allongés. D’allure banale, il avait des yeux gris dans lesquels se lisait la fatigue. Une main tendue vers ses frères, il en gratifia plusieurs d’un signe de tête.

Véritable force de la nature, le second était massif, des muscles impressionnant se découpant sous sa tunique. Ses cheveux blonds attachés en tresses serrées, il portait une barbe assortie. La mine réjouie, il distribua de franches accolades à plusieurs Gardien avant de serrer Römùn contre son cœur. Ses iris, d’un bleu sombre aux reflets violet accentuait stupéfièrent Alaric qui n’en avait jamais contemplé de pareil.

— Nous avons eu quelque démêlés en chemin. Des déboires dû à une affaire pressante qui me fera te presser d’aller chercher le Commandeur, répondit le premier d’un ton lasse.

Plissant les yeux avec une curiosité assumée, son compagnon s’attarda sur la présence d’Alaric et Ayleri. Présentant une main derrière lui, le Gardien eut un rictus en voyant les jeunes gens sursautés. S’ouvrant sous ce qui devait être une impulsion de magie, la sacoche de selle d’un des cheveux permit à un parchemin de s’en échapper. Le rouleau chiffonné atterri entre les doigts du chevalier aux prunelles étranges. Bouché-bée par tant de désinvolture, le cadet d’Herlëv porta une main à sa gorge.

Alaric, impressionné, ne put s’empêcher de murmurer à Ayleri :

— Ce sont des mages ! s’étrangla Alaric à l’intention de son ami. Des Gardiens mages ! Des serviteurs d’Ogdal qui utilisent le don.

Ayleri, également fasciné, acquiesça doucement, son regard ne quittant pas les deux nouveaux venus.

— Le Commandeur et l’Administrateur ne peuvent avoir manqué une arrivée aussi remarqué, ils seront bien vite parmi nous. Oglev et Caspiänn sont des membres éminents de notre ordre, spécialisés dans les arts mystiques au service d’Ogdal, confirma le Gardien Römùn visiblement amusé de leur étonnement. L’une des grandes différences entre la Corporation et le Corps des Moines d’Ogdal. Ils viennent tous deux de la Commanderie de Tolkënn, comme moi.

Les deux jeunes hommes s’agenouillèrent dans une révérence emplit de respect. La présence de ces mages parmi eux n’était pas seulement un honneur, mais aussi un rappel de la multitude de chemins que leur foi pouvait emprunter. De toute évidence peu impressionné, les deux Gardiens haussèrent un sourcil. Le plus massif pinçant les lèvres dans l’espoir de ne pas se moquer ouvertement.

— Les Postulents ne sont pas censé porté la Flamme ?

― Messires d’Aprelön et d’Herlëv ne sont que mes invités, précisa le Gardien Römùn qui ne paraissait pas en reste niveau amusement. La patience exagéré qu’il mit dans son intention ne plus pas à Alaric. Qu’avaient-ils donc bien pu faire de travers ?

Les invitants d’un geste de la main à se redresser, le plus âgé répondit par un hochement de tête bienveillant, un sourire énigmatique aux lèvres.

— Nous espérons que notre présence ici renforce votre foi et votre détermination dans les épreuves à venir. Puissiez-vous suivre la voie d’Ogdal et ne pas vous égarés sur la voie Noire.

— Vous semblez bien impressionnés par la présence de nos frères mages, releva le Gardien Römùn d’un timbre intrigué. Pourtant, n’est-ce pas Messire Flörïn qui vous a pris sous son aile ces derniers temps ? Vous devriez être habitués à côtoyer des mages.

Alaric et Ayleri échangèrent une œillade confuse. Déconcertés, ils hésitèrent un bref instant. Certes, ils savaient que des mages se trouvaient parmi les Chevaliers de la Couronne. Cependant, leur chef n’avait jamais fait montre de son utilisation du don. Une bouffée de fierté mal placée teintée de respecte et de peur enserra la gorge du cadet d’Aprelön. Un mage ? Il aurait été remarqué par un mage ? Un détenteur du don ?

— Messire Flörïn est un Chevalier de la Couronne, reprit incertain son ami. Certains de ses amis sont bien des mages, mais…

― Flörïn Ladarion est ici ? les interrompis interloqués le plus âgé des mages. Voilà qui n’annonce rien de bon !

La manière bourrue dont le Gardien prononça cette dernière phrase dérangea Alaric. Il y avait une forme d’accusation sous-jacentes qui fit passer le choc d’apprendre que son model était né sous la bénédiction d’Ogdal. Imaginé que les chevaliers rebroquaient les agissements de ce combattant à la force morale inébranlable lui donna envie de serré le poing. Rien dans les comportements du chevalier n’inspirait autre chose que l’honneur et le respect.

― Tu as douté un seul instant que le roi ne se séparerait pas de son favori, Oglev ? pouffa le mage aux yeux envoutant. C’est le moindre des sacrifices, sachant qu’il souhaitait ralliés la paresseuse Noblesse à notre cause.

― Ne parle pas ainsi Caspiänn, le morigéna le Gardien Römùn. Messire Flörïn est chatouilleux sur l’honneur et nous savons tous qu’une rivalité peu reluisante vous pousse à souhaiter vous affronter.

Témoins importuns de cet échange tendu entre les Gardiens, Alaric et Ayleri veillèrent à ce faire oublier. Le jeune homme se sentit brusquement pris au piège d’une complexité politique inattendue. Entendre Messire Flörïn être réduit au statut de « Favori » du roi, froissa profondément Alaric. Les connotations péjoratives que cela impliquait ─ comme s’il n’était qu’une vulgaire courtisane cherchant à charmer pour sa propre ascension ─ le déroutait. La véhémence de cette dénomination semblait porter atteinte non seulement à l’honneur du Chevalier Rouge mais aussi à la noblesse de sa dévotion et de ses accomplissements.

La révérence avec laquelle il envisageait les Chevaliers de la Couronne, en particulier Messire Flörïn, était teintée d’une confusion croissante. La notion que des hommes aussi pieux et dévoués que les Chevaliers Rouges et les Gardiens puissent être entraînés dans des querelles personnelle le déroutait profondément. Il se demandait comment de telles dissensions pouvaient exister parmi ceux qui semblaient incarner les idéaux les plus élevés de chevalerie et de dévotion.

Quant à l’objet de leur querelle, Alaric ne pouvait qu’imaginer ce qui pouvait susciter une telle animosité. L’idée que cela puisse concerner une femme lui semblait absurde. Messire Flörïn clamait un engagement fervent envers sa dame, quand le dénommé Caspiänn avait prononcé des vœux monsatiques. Ce ne pouvait être que quelque chose d’autre, peut-être une divergence d’idéaux.

Le jeune homme se sentit tiraillé, partagé entre son respect pour les Gardiens de la Flamme et son admiration pour les Chevaliers de la Couronne. L’arrivée du Commandeur et l’Administrateur de la Commanderie, reconnaissable à leur Flamme bleue surpiquée d’argent et de cuivre, mirent un terme à ses réflexions. Le bras d’Ayleri le poussant à reculer, les jeunes gens se retirèrent à quelques enjambées d’Oglev et son ami. Dans la cour, un silence empli de respect s’abattit sur l’assemblée. Tous les yeux se tournèrent vers eux, l’anticipation palpable dans l’air.

— Mes frères, Oglev, Caspiänn ! Nous vous croyions perdu ! clama le Commandeur, sa voix portant à travers le silence, en approchant des deux mages. Vous ne répondiez pas à nos appels ! Bienvenue à vous !

— Nous avons découvert un complot à Exval, lança le plus âgé d’une voix grave en lui empoignant l’avant-bras. Sur notre chemin, plusieurs embuscades nous ont retardés, et nous y avons perdu des recrues précieuses pour l’Ost.

— Un prisonnier nous attendrait dans les geôles du Baron. Nous avons pénétré son esprit pour y apprendre ses secrets. Hïgdrï prévoit de marcher sur la cité de Cazkër, ajouta Caspiänn, son ton moins badin soulignant l’urgence de la situation.

Un murmure d’inquiétude parcourut l’assemblée, la tension montant d’un cran. Ils restaient à l’armée presque un cycle de marche avant de rejoindre la cité. Or, le temps les pressait. Les doigts d’Ayleri entourèrent ceux d’Alaric, attirant sur eux l’attention de Caspiänn. Les paupières étrécies, celui-ci les dévisagea, faisant tressaillir le cadet d’Aprelön.

Entendre que les mages pouvaient lire dans les esprits le frappa d’une stupeur mêlée d’admiration. L’idée qu’un mage pouvait pénétré l’esprit d’une autre personne, lui ouvrit les yeux sur une dimension entièrement nouvelle de la magie. Cette puissance impressionnante, capable de dévoiler les secrets les plus intimes, lui fit prendre conscience de la vulnérabilité de ses propres pensées. Intimidé, Alaric détourna le regard dans l’espoir que cela empêcherait Caspiänn de découvrir ses secrets. Ayleri, l’imitant, lui lâcha la main pour s’entourer de ses bras.

— Pourquoi n’avoir pas utilisé la magie pour nous avertir plus tôt ? demanda un Gardien du fond de la cour. N’est-ce pas l’une des prérogatives des détenteurs du don béni d’Ogdal ?

Les deux mages se concertèrent, une lueur de dépit dans les yeux.

— Tes paroles sont juste, mon frère, néanmoins, je peux affirmer que tu ne possèdes pas en toi la magie et ne connait donc point ses enseignements. Nous ne pouvions pas risquer une communication mentale. Les Prêtres d’Hïgdrï, malgré leur aversion pour ce qu’ils considèrent comme la corruption de la magie, sont capables d’intercepter certaines formes de communication. Nous ne voulions pas leur donner l’avantage.

— Cela signifie que chaque information, chaque ordre que nous échangeons, doit être protégé avec la plus grande prudence, renchérit le Commandeur, son regard balayant l’assemblée. La sécurité de nos informations est cruciale pour prévenir et contrer l’avancée de l’ennemi. Dans ce but, je ferai parvenir à chacun des mes homologues une note précisant que dés à présent, toutes communication mentale doit être réduite au stricte nécessaire.

Le silence qui suivit était lourd de réalisation. Chaque Gardien, chaque recrue présente, mesurait désormais l’ampleur de la menace et l’importance de la discrétion. Incrédule d’assister à un tel renversement avant ses Seigneurs, Alaric se senti mu d’une impression dérangeante de ne pas être à sa place. D’usurper sa position.

— Je me charge de cela, se proposa l’Administrateur. Que tous se tiennent prêt à se mettre en marche. Le Commandeur et moi-même nous rendrons aux pavillons de la Noblesse afin d’y exposé nos recommandations en ce qui concerne l’usage de la magie. Oglev, Caspiänn, vous vous occuperez des Chevaliers de la Couronne. Il nous faudra leur soutien avant que le conseil ne se réunisse.

― Flörïn Ladarion se trouve au campement, il acceptera que nous connections nos esprits afin que je lui montre ce que j’ai découvert et retranscrit sur ce manuscrit, nota Oglev en remettant à l’Administrateur le rouleau froissé que venait de lui tendre Caspiänn.

― La Flamme nous guide, et nous défendrons notre terre et nos croyances contre tout ennemi. Que notre unité soit notre forteresse.

― Que notre unité soit notre forteresse ! répétèrent en cœur les Gardiens amassés dans la cour.

🔥

Foulant le sol meuble du campement médiéval, Oglev et Caspiänn rejoignirent la tente de Messire Flörïn Ladarion. Le camp, éparpillé de tentes et de bannières flottant au vent, bruissait de l’activité incessante des préparatifs militaires. Des chevaliers en tabards croisaient des écuyers chargés d’équipements, tandis que les feux de camp crachaient leur fumée dans l’air frais. La discipline régnait en maître, chacun effectuant sa tâche sans rechignés.

Du moins, dans cette partie plus civilisée de la garnison. Ayant traversé l’entièreté de l’Ost présent, les Gardiens savaient que les extérieurs étaient plus… animés de perversion.

À leur approche du rassemblement de Chevaliers Rouges, une tension palpable se fit sentir dans l’air. La magie crépitait, utilisée de façon fort désinvolte par certains pour ce qu’Oglev en voyait. Messire Flörïn, apercevant les deux mages, afficha une expression surprise mêlée d’une certaine réserve. Le Gardien de la Flamme, conscient de l’atmosphère chargée, donna discrètement un coup de coude à Caspiänn. La bonne humeur habituelle de son ami avait cédé la place à une gravité teintée de reproche qu’il ne prenait jamais la peine de caché à son rival.

— Essaye de ne pas aggraver les choses, murmura le Moine à l’adresse de son compagnon, un sourire forcé aux lèvres.

Son acquiesça d’un signe de tête, ses traits retrouvant un semblant de neutralité. Ne pouvant s’empêcher de réfléchir aux raisons de l’animosité latente entre le Chevalier de la Couronne et son frère d’arme, Oglev se massa le front. Bien qu’il n’en connaisse pas tous les détails de leur querelle, il avait une idée assez claire de ce qui pouvait alimenter une telle opposition. Une divergence à laquelle Caspiänn ne pouvait rien.

Se séparant des siens, Flörïn Ladarion se dirigea sur eux. Le Gardien nourrissait un réel respect, d’admiration même pour le Chevalier Rouge. Il voyait en lui l’incarnation des plus hautes vertus chevaleresques, un modèle de courage, d’honneur et de loyauté. Des qualités que son ami aux yeux presque violet ne reconnaissait plus depuis un séjour commun dans un recoin d’Undiev.

— Messire Flörïn, nous sommes honorés de vous rencontrer en ces lieux, débuta le messager avec une courtoisie marquée. Nous avons été chargés par notre ordre de vous porter des nouvelles d’une importance cruciale et urgence concernant la sécurité de notre la campagne.

Le chevalier, fixa les deux mages avec une intensité mesurée.

— Gardien Oglev, Gardien Caspiänn, je vous écoute, invita-t-il d’une voix où perçait l’appréhension et la suffisance.

Saluant le chevalier avec raideur, le massif moine retint de justesse une rictus désapprobateur. Qu’aucune des deux hommes ne sachent prendre sur lui pour dépasser leur différent en un tel moment désespéra Oglev. Ce soir, il devrait avoir une discussion avec son amie, avant que le comportement hostile de celui-ci ne revienne aux oreilles de l’Administrateur.

— Nous avons découvert, Messire, que le Culte peut désormais intercepter nos échanges mentaux, révéla Oglev, observant attentivement la réaction du chevalier. Menace inédite s’il en est, elle met en péril la sécurité de nos communications les plus confidentielles.

Messire Flörïn se renfrogna à cette nouvelle. La gravité de la menace marqua son expression. La responsabilité des Chevaliers de la Couronne, l’accomplissement de leur mission sacrée, reposait sur ses épaules. Une lourde charge que lui conférait d’être comme appréciait de le souligner Caspiänn « le favori du roi ».

Voyant le changement chez son supérieur, l’un des mages ayant ralliés les rangs des Chevaliers Rouge, qui se trouvait à proximité, amorça de s’approcher. Le congédiant d’un geste ferme de la main, Messire Ladarion lui indiqua préférer gérer la situation seul. Cette marque de confiance envers les Gardiens, choisissant de privilégier la communication directe avec eux, encouragea Oglev à poursuivre.

— Messire Flörïn, permettez-moi de vous proposer un contact mental, afin de vous transmettre directement tout les tenants de cette affaire, suggéra le Gardien avec une appréhension contenue.

La réaction du chevalier fut immédiate. Marqué d’une offense non dissimulée, son visage se durcit.

— Vous proposez une connexion mentale, comme si c’était une simple convenance ? s’offusqua-t-il. Ne réalisez-vous pas qu’une telle intrusion est extrêmement intime. Donner accès à une autre personne à l’entièreté de ce qu’on est, ce n’est pas anodin ! Il s’agit de… je n’ose y penser !

La fermeté du rejet n’étonna pas Oglev. Il avait été trop présomptueux, sous-estimant l’importance et la sensibilité de l’acte qu’il proposait à un Chevalier Rouge. L’Administrateur l’avait pourtant mis en garde que cette pratique, avait de grands détracteurs au sein des autres communautés guerrières ou religieuses. La connexion mentale, parmi les Gardiens de la Flamme possédant le don, était chose courante.

Présenter celle-ci avec désinvolture auprès d’autres chevaliers représentait, visiblement, une intrusion, voir une insulte de taille.

— Je vous présente mes excuses, si mes propos vous ont choqués, Messire. Je n’ai pas envisagé la portée de ma suggestion avec toute la finesse qu’elle mérite, admit Oglev, sincèrement repentant. Si cela vous est inenvisageable, nous vous donnerons ces informations de manière conventionnelle.

Plusieurs de ses muscles agités de spasme, Caspiänn à ses côtés fulmina. Là d’où il venait, les habitants ne faisaient pas tant de manière, lui avait confié une lunée l’étranger.

— Messire Flörïn, avait tout le respect qui vous est dû, je me dois de vous présenter que ce qu’Oglev souhaite partager avec vous par le biais d’une connexion mentale, je l’ai vu moi-même vu, défendit-il grinçant. Les détails que nous avons découverts sont d’une complexité et d’une importance telles qu’un simple échange verbal ne pourrait rendre justice à l’urgence de la situation.

Incrédulité, quasiment mortifié, le Chevalier Rouge écarquilla les yeux en reculant le torse. Les dévisageant, il parut lutter pour assimiler cette nouvelle hérésie. L’idée que ces hommes pratiquent aussi allégrement ce qu’il considérait comme un acte impudique le perturbait, c’était certain.

— Vous vous livrez à de telles intrusions, sans la moindre réserve ? s’enquit-il, le timbre empreint d’une réprobation difficilement contenue.

Prenant la mesure du fossé culturel et éthique qui les séparait, Oglev regretta de ne pas avoir d’avantage évoqué ces divergences avec ses supérieurs. L’horrification dans les iris de Messire Flörïn confirma les soupçons qu’il avait eu concernant la nature de la divergence entre Caspiänn et le chevalier.

— Messire, je comprends votre préoccupation, plaida-t-il avec tempérance. Au sein de la Corporation des Gardiens de la Flamme, notre spiritualité commune et notre engagement envers la protection de ce royaume nous unissent d’une manière qui peut sembler étrangère à d’autres. Le partage de l’entièreté de nos pensées, dans le cadre de notre foi en Ogdal, n’est pas perçu avec autant de réticence. Nous voyons cela comme un renforcement de notre lien spirituel et de notre détermination commune.

Il marqua une pause, laissant le temps au Chevalier Rouge d’absorber ses paroles, avant de continuer. Ses doigts jouant sur la garde de son épée, Flörïn Ladarion paraissait essayer de maîtriser les crépitement de pouvoir qui lui échappaient.

— Je reconnais et respecte la sensibilité de cette pratique aux yeux des Chevaliers de la Couronne. Notre intention n’est pas d’imposer une méthode qui vous met mal à l’aise. Uniquement de trouver un moyen efficace de partager des souvenirs cruciaux pour la sécurité de tous.

Lançant une œillade circonspecte à Caspiänn, son interlocuteur pesa la proposition qui lui avait été faite. Après un moment de silence tendu, il acquiesça d’un mouvement raide de sa réticence.

— Soit, consentit-il finalement. À la condition que cette… pratique soit supervisée par des membres de mon ordre. Je ne saurais tolérer un tel écart de… discrétion et conduite sans certaines garanties.

Refroidi par la formalité de la demande, Oglev fit un geste afin d’empêcher son frère d’arme de réagir. Tous deux avaient compris le sous-entendu de ses paroles. Ils esquissèrent un signe du menton en guise d’accords

― Messire Mùrkil, Messire Adëran, appela dans les esprits de tous les mages le timbre mental de Flörïn Ladarion. Venez ici, je vous prie.

Ces derniers, leurs capes rouges flottant derrière eux, accoururent. Interloqués par l’urgence perceptible dans l’invitation de leur supérieur, il l’encadrèrent au moment où celui-ci invita les Gardiens d’un geste du bras, à pénétrer dans leur tente.

La tente que partageait les Chevaliers de la Couronne était spacieuse. Meublée de manière fonctionnelle, elle s’accommodait au besoin d’un stratège et d’un dirigeant. Un râtelier organisait soigneusement les rangées d’armes le long des parois de toile. Sans doute le favori du roi avait-il en garde les lames de certains de ses subordonnés. Des cartes étalées sur une table démontables. Quatre couches séparées offraient une part d’intimité aux hommes. La lumière tamisée par les tissus créait une atmosphère austère qui fut bien vite remplacée par la clarté pure d’une sphère lumineuse.

Une fois à l’intérieur, Messire Flörïn prit le temps d’expliquer à ses acolytes l’accord auquel il avait consenti avec réticence. Les visages des deux chevaliers mages pâlirent, témoignant de leur stupeur devant une telle transgression des convenances.

— Vous avez accepté quoi ? s’écria Messire Mùrkil. Flörïn, mon ami, vous rendez-vous compte de ce que cela implique ?

― Accepterez-vous donc d’être traité comme un traitre ? Un prisonnier sans droit ? renchérit Messire Adëran en réfutant de la tête, consterné.

— Je comprends vos préoccupations, répondit Flörïn Ladarion dans un sifflement. Cela ne me plait guère, Ogdal m’en doit témoin. Je crois cependant les Gardiens lorsqu’ils affirment que la gravité de la situation l’exige. En tant que Chevaliers de la Couronne, nous devons mettre de côté certaines de nos réticences pour le bien supérieur.

— Autoriser une intrusion de cette nature dans l’esprit de l’un des nôtres est sans précédent ! rappela Messire Mùrkil buté.

Messire Adëran se massa le front, ne cachant pas le tourment qui éprouvait à la tournure des événements.

— Êtes-vous réellement prêt à payer ce prix, Flörïn ? Notre dévotion est sans faille, cela, nous sommes d’accord. Seulement, le roi accepterait-il que vous perdiez une part de votre intimité ? Que vous soyez traité tel un criminel ?

Jusqu’alors silencieux, Capsiänn ne put contenir son irritation face à ce qu’il devait percevoir comme des hésitations inutiles.

— Par la Flammes, suffit de ces simagrées ! s’exclama-t-il en se pinçant l’arête du nez. Le danger qui nous guette surpasse de loin ces considérations morales dépassées. Avec un peu de maîtrise et de bonne volonté, rien de votre vie privée ne passera les barrières de votre esprit !

Les trois mages se turent, contemplant les Gardiens avec la mine de ceux que l’on vient de traiter de couards. Pris entre son respect pour les traditions des Chevaliers de la Couronne et la pragmatique approche de son ami, Oglev dû prendre parti. Qu’Ogdal lui vienne en aide, il devrait parler au plus vite à son frère d’arme. Cette rivalité ne pouvait plus durer. Un Moine, aussi guerrier soit-il ne pouvait admettre d’éprouver de tels ressentiments.

— Messires, je vous en prie, comprenez que notre intention n’est pas de fouler aux pieds vos principes. Mais la menace que représente Higdrï nécessite que nous exploitions tous les avantages à notre disposition, avec sagesse et discrétion.

― J’ai accepté, je ne reviendrais pas sur ma parole, clôtura Messire Flörïn d’une expression dégoutée. Mais sachez que cette décision ne sera pas sans conséquence. Nous devons rester vigilants quant à la porte que nous ouvrons aujourd’hui.

Sur le point de rétorquer, Caspiänn rencontra le coup d’œil impérieux que lui adressa Oglev. S’en était terminé maintenant ! Scellant ses lèvres, son ami croisa les bras, gardant le silence.

S’asseyant sur un tabouret de bois et de toile, en face au Gardien, Flörïn Ladarion clos les paupière. La tension émanant du chevalier projetait de petite décharge de magie entre eux, plongeant le Moine dans une profonde déception. Un contact mental nécessitait de s’ouvrir l’un à l’autre, d’accepter à moment de partage. Or, il avait la désagréable impression que cet échange s’apparenterait plus à un efforcement.

Avec une délicatesse mesurée, Oglev effleura la pulpe des doigts du Chevalier Rouge. Il perçut immédiatement sa réticence à maintenir ce contact pourtant minimal. L’impression de souillure qu’éprouvait Messire flörïn à cette connexion.  Le Gardien se heurta à une barrière, une fortification érigée par l’esprit de l’autre mage pour se prémunir contre les intrusions.

«  Il va vous falloir vous ouvrir à ma présence », nota Oglev en projetant ses pensées.

L’accroissement de la tension dans les phalanges du Chevalier de la Couronne ne lui échappa pas. Puisant dans la réserve de sérénité, que lui offrait Ogdal et les Saints, le Moine chercha les mots justes.

— Je vous assure, sur mon honneur de guerrier, de chevalier et de moine, que rien de ce que je pourrais percevoir involontairement ne franchira les limites de notre échange. Je considérerais celui-ci avec les mêmes obligations que celle de la confession, promit-il s’efforçant de dissiper les appréhensions du chevalier.

Une brèche apparut dans les murailles mental érigée par Messire Flörïn, permettant à Oglev d’entrevoir l’esprit du chevalier.

«  Je détiens des secrets de mon roi, de la Couronne », glapit la voix mental anxieuse du Chevalier Rouge.

— Et je n’en connaitrais rien, tant que vous prendrez garde de ne pas y penser, jura le Gardien.

Trois battements de cœur marquèrent une courte hésitation. Un pont-levis, hérisser d’une herse épaisse, lui apparut. Reconnaissant dans ce signal la confiance que le chevalier commençait à lui accorder, malgré ses réticences initiales, le Moine s’y présenta avec respect.

Que le Chevalier de la Couronne consentit à s’ouvrir, même légèrement, à cette expérience inédite marqua un instant de communion silencieuse entre les deux hommes. Oglev, conscient de la gravité de ce moment, se prépara à naviguer avec la plus grande prudence dans les eaux tumultueuses de l’esprit de Messire Flörïn.

Prudent, il présenta à l’autre mage un fil d’abord ténu d’images et de sensations arrachées à l’esprit tourmenté de l’espion. Lui projetant la vision des troupes de Benyiriens, une marée sombre et menaçante rassemblée au pied des Temples sacrés. Des prêtres vêtus de chasubles d’un blanc immaculé proclamaient avec véhémence la chute imminente d’Ogdal et la défaite de ses Saints. Leurs voix s’unissaient en un chœur sinistre annonçant leurs intentions d’envahir Weerl-Niia.

Certains tenaient dans leurs mains, des pierres violettes, irradiant de magie. Agenouillé dans de sombres cellules, remisés à prier face contre terre, des fidèles le corps déchirés par des stigmates de la flagellation, retranscrivaient des conversations entières. Les longues trainées rouges, boursoufflées, aux croutes suintante révulsèrent Messire Flörïn. Rappelant au chevalier une pitié qu’il s’en voulu d’éprouver.

Soudain, une image inattendue s’immisça dans le flot des de souvenirs du traitre. Une femme à la beauté troublante, ses courbes trop voluptueuses dénuées apparurent à Oglev. Sa chevelure rousse cascadait sur ses épaules, défiant la pudeur en guidant l’attention sur deux seins plantureux. Les mèches encadraient un visage rond aux joues roses et sur lequel de grands yeux verts baissaient pudiquement le regard.

Féliönn, l’épouse de Messire Flörïn.

* Je suis navrée que vous ne soyez pas… que vous deviez acceptez de… * gémit le timbre effarouché d’une jeune fille, venu des tréfonds de la mémoires du Chevalier Rouge.

Le corps sensuel, s’imposa au Gardien. De dos, ses mèches ramassées sur ses épaules, Dame Ladarion protégeait sa nudité de ses bras. À ses pieds gisait une fine robe de chambre. Son visage arrondi tourné par-dessus son épaule, elle avait les yeux humides et la lèvre tremblante. De sa nuque, jusqu’au bas de son séant, des longues estafilades carmin évoquaient les sévices qu’elle avait enduré.

Un mélange complexe de respect, d’amour inconditionnel et d’un désir ardent que la discipline monastique enseignait à refouler, saisit Oglev. Il se détourna de cette vision avec effort, murmurant des prières à Ogdal pour regagner sa concentration. Conscient du trouble que lui avait involontairement transmis le chevalier, il referma ses pensées pour éviter que celui-ci ne capte le tiraillement oublier qui lui saisit les reins.

Ce n’était pas Messire Flörïn qui avait fait cela à son épouse.

Reprenant son récit avec une maîtrise retrouvée, Oglev se concentra, dévoilant au chevalier les desseins obscurs des Prêtres visant à s’emparer de Cazkër. Il le fit témoin de la révélation selon laquelle les « sacrifiers », des êtres dévoués au Culte, pouvaient intercepter les conversations de l’ennemi. Désirant imprimer la gravité de ce qui se jouait dans l’esprit de Flörïn Ladarion, le Gardien lui renvoya les silhouettes genouillées retranscrivaient leurs conversations.

Le Chevalier de la Couronne rompit brusquement la connexion mentale. Se levant d’un bond, il arracha ses doigts à la prise d’Oglev.

« Cessez immédiatement toutes les communications ! », tonna Messire Flörïn dans les esprits de tous les mages alentours.

 Son ordre impérieux résonna à l’intérieur de l’âme du Moine, aussi clair et tranchant qu’une lame. Le silence qui s’ensuivit était lourd de tension, les petites paroles, injonctions, ou appels réguliers auxquels les mages ne faisaient plus attention après quelques heptalunes cessèrent.

― Faites passer, mes directives ! claqua le Chevalier Rouge à l’adresse de ses confrères. Qu’ils soient des nôtres, simples citoyens, chevaliers, moines ou que sais-je, je ne veux plus rien entendre !

À peine l’ordre donné, Messire Adëran et Messire Mùrkil se hâtèrent de quitter la tente. La détermination inscrite sur leur visage.  Les traits tendus par la honte, les joues rougies d’embarras, Messire Flörïn, lança un regard à Oglev. Désignant Caspiänn menton, il signifia clairement son désir de voir le grand mage quitter les lieux. Vexé, le moine de large carrure traversa l’entrée de la tente, bougonnant mécontent d’être ainsi congédié.

Resté seul avec le Gardien, Flörïn Ladarion se versa une coupe de vin, évitant ostensiblement de croiser son regard. Il ne lui en proposa pas. Il était de notoriété publique que les Gardiens de la Flamme considéraient que la boisson émoussait les sens et la maîtrise. Oglev, comprenant la gêne du chevalier ─ surtout après avoir involontairement capté une vision si personnelle de son épouse ─ resta silencieux, respectant l’espace que le favori du roi requérait.

— Pour ce que vous avez vu… entama le Chevalier Rouge, la voix teintée d’un malaise évident.

— Messire, je comprends que ce n’est pas un sujet dont vous souhaitez parler, l’interrompit le moine qui n’avait aucune envie de s’étaler sur les réactions physiques qu’éprouvait son corps.

Qu’Ogdal lui pardonne. Il jeunerait pour ses pensées impures.

Buvant une gorgée de breuvage, Messire Flörïn s’ébouriffa les cheveux. Tous son corps hurlait sa réticence à parler.

― Elle en porte toujours les marques. Si cela venait à être su, Féliönn serait ruinée et nos enfants déclarés illégitimes. Je n’aurais d’autres choix, pour conserver mon honneur, que la répudié.

Déconfit, le chevalier porta sur lui un visage marqué de peine.

― Et vous l’aimez, traduit le Gardien avec compassion. Ce qui émanait de vous était bien plus que les réminiscences du désir.

Se frottant sa barbe naissante d’une main, Messire Flörïn fit crisser sa paume. D’un geste qui se voulait chasser la fatigue, il masque ses yeux.

— Je suis désolé d’avoir imposé cette… tentation à votre esprit, Oglev, s’excusa-t-il, après un moment d’hésitation. Ce n’était pas intentionnel, et je respecte vos vœux autant que votre foi.

Que le téméraire et si impérieux Chevalier de la Couronne lui tende ainsi la main étonna le Gardien. Lui aussi, par le passé, avait eu des différents avec cet homme rigide à la moral inflexible. L’heure était peut-être à lui aussi passer la pommade à ce mage qui ne rechignait à aucun sacrifice lorsqu’il s’agissait de veiller sur le Pacte.

— Je sais, Messire Flörïn, que jamais vous n’auriez consciemment exposé l’intimité de votre épouse. Vous êtes un homme chevaleresque, je puis en témoigner. Soyez assuré que ni la Dame, ni personne, n’apprendra de moi ce qu’il s’est passé. Ce que j’ai vu restera scellé dans le secret de la confession.

Semblant quelque peu soulagé le Chevalier Rouge avala une autre lampée de vin, la tension entre eux s’atténuant progressivement.

🧶

Frottant ses mains l’une contre l’autre, Eulalie s’efforça de maîtriser sa respiration. Devant la porte de sa demeure, elle attendait nerveusement entre son père et son frère l’arrivée de son destin. Un cycle s’était écouté depuis qu’Hölvi lui avait annoncé ses potentielles fiançailles. Excepté que le bourreau de Cazkër n’avait pas préciser que son fils ne se trouvait plus avec lui. Lakev conduisait sa sœur en sécurité dans les basses terres, lorsqu’il avait reçu la réponse du père d’Übrok. Proposition qui avait suivi de la part du bourreau de Cazkër était clair : un double mariage serait apprécié. Un projet à laquelle Hölvi avait consenti.

Le printemps commençait à poindre son nez. Les premières fleurs étaient de sortie. Les stries rosées du début de soirées commençaient à colorer le ciel. Le parfums du bouquet que tenait son frère apaisaient Eulalie qui n’avait pas réussi à trouver le sommeil. La peur de découvrir l’homme qui avait été choisi pour elle l’avait tenue éveillée. Son devoir de fille allait à l’obéissance envers son père. Ce qui ne l’empêchait pas de redouter de se retrouver en face de celui qui partagerait sa vie… et très bientôt sa couche.

Son cœur souffrait à la pensée d’Alaric, son chevalier parti pour la Croisade, qu’elle ne reverra surement jamais. Cela faisait bientôt un cycle qu’elle essayait de se faire une raison. Tout cela n’avait été qu’une chimère. Un rêve impossible qu’elle avait cru toucher du doigt. Sa condition, bien trop éloignée de celle du jeune homme, ne lui aurait jamais permis de ne fusse que l’approcher en public, sans lui risquer le déshonneur.

— Lakev et Inëv ne devraient plus tarder, répéta pour la quatrième fois Hölvi, scrutant l’horizon dans une attente aussi impatience que celle de sa sœur était résignée. C’est impossible qu’ils n’arrivent pas aujourd’hui. Leur dernier message était sans équivoque.

Il s’était levé à l’aube pour cueillir les plus belles fleurs parsèment les champs alentours. L’engouement de son frère pour les projets à venir ne faisait qu’accroître le tiraillement qui animait Eulalie. Elle se savait que son avenir était désormais lié à Lakev, un homme qu’elle n’avait jamais rencontré, et cette pensée lui serrait le cœur.

— Tu seras bien, ma fille, la rassura leur père en posant une main caleuse sur l’épaule de la jeune femme. Plusieurs de mes cousins éloignés m’ont assuré que c’est un homme de bien. Seule la volonté de son père de renouveler drastiquement leur sang l’a tenu hors du mariage.

Elle hochait la tête, feignant l’assentiment. Obéissante, elle ferait ce que lui dicterait le bourreau, tout gardant au plus profond d’elle les souvenirs partagés avec Messire Alaric. Celui qui resterait à jamais son premier amour, quel que soit le chemin que son destin emprunterait désormais. Un secret qu’elle conserverait au plus profond de son cœur.

— N’a-t-il pas déjà été marié, père ? s’interrogea Hölvi.

Surprise, Eulalie sortit de sa torpeur le temps de relever ses prunelles bleues désemparée sur le bourreau. Lasse, les traits tirés de ses longues lunées de labeur, le bourreau lui caressa la tête.

— À peine une révolution, confirma-t-il. Sa jeune épouse est morte en couche alors qu’il n’avait que vingt-et-un an. Il y était, dit-on très attaché. C’est ce qui l’a rendu… plus sérieuse qu’autrefois. À les voilà !

Habillés de la même teinte bordeaux à la broderie de dague sur le cœur, une cape lâche sur les épaules, les futurs membres de leur famille se détachèrent dans l’horizon. Chacun portait un sac de cuir en bandoulière, contenant sans doute leur matériel et quelques effets personnels. Mutique quant à ce qu’elle venait de découvrir sur le passé de son futur fiancé, Eulalie fixa droit devant elle. Ne sachant encore comment traiter le fait que Lakev avait été marié.

Le Weerl-Niien se rapprocha, son pas aligné sur celui de sa sœur. D’une stature imposante, il était exceptionnellement grand, plus que tous les hommes que la jeune femme est connue. Il arborait des boucles rousses en pagailles, sa mâchoire carrée accentuée par une barbe flamboyante de quelques lunées. Sa carrure, forgée par l’exercice constant de la hache, se devinait aisément sous sa tunique. Ses yeux verts scrutaient l’horizon, creusant son front de trois rides profondes. Il tenait dans ses mains robustes un bouquet des premières fleurs des champs, reflétant une attention similaire à celle d’Hölvi pour Inëv.

Eulalie, observant la scène, ne put s’empêcher de comparer Lakev à Alaric, notant le contraste saisissant entre le bourreau et le chevalier. À vingt-six révolutions, son fiancé incarnait l’image d’un homme fait. Du haut de ses dix-sept révolutions, à l’aube de sa vie adulte, la jeune femme avait encore tout à apprendre. Elle n’avait connu des hommes qu’un baiser fougueux dont elle ne pourrait jamais évoquer l’existence, quand l’homme qui lui était promis avait déjà connu la chair et la vie maritale.

Ressentant sa timidité poindre de façon accablante, Eulalie se mit à de le décevoir. Craignant de ne pas être à la mesure de ses attentes. Comment pourrait-elle le combler alors qu’Hölvi lui avait confier que sa réputation avait eu pour effet que son prétendant demande qu’elle s’endurcisse ? S’il avait tant aimé sa première épouse, serait-elle à la hauteur de ce qu’il avait connu ?

D’un pas résolu, son frère la quitta pour se diriger vers Inëv. Lui offrant son bouquet, il l’a délesté respectueusement du fardeau que représentait son sac. Une première approche surveillée de prêt par les iris vert et scrutateur de Lakev. À vingt-quatre révolutions, l’idée de fonder une famille semblait combler Hölvi de soulagement. Gàld, leur ainé s’était marié à leur cousine. Chez eux aussi, le besoin de sang neuf se faisait sentir. Or, l’épouse de Gàld n’avait pas de frère pour prendre le flambeau lorsque le bourreau de Kireön mourrait. Ùbrok avait donc offert son fils à son cousin.

Souriante, Inëv dégageait une énergie presque solaire. Ses cheveux roux bouclaient sous un voile de chasteté à poser sur ses mèches, cascadant le long de son dos. Son visage reprenant mêmes traits carrés que de son frère. Plus petite que lui, elle dépassait son fiancé de la hauteur d’une main, estima Eulalie. Bien qu’elle ne fût pas jolie au sens conventionnel du terme, quelque chose en elle inspirait à sa futur belle-sœur un sentiment de confiance et de familiarité.

— Entrez mes enfants, vous êtes ici chez vous, les accueilli Ùbrok en s’effaçant dans l’entrée de la demeure. Ma bien-aimée Eulalie nous à préparer un ragout pour le souper.

S’empressant de suivre son père, Eulalie se refugia dans la maison. Afin d’échapper au regard de Lakev qui avait commencé à l’évaluer d’un œil critique. Son impolitesse ne passa pas inaperçu, le bourreau lui adressant une œillade torve. Désireuse d’échapper aux remontrances, elle se dirigea vert l’âtre où elle s’empara de la spatule de bois pour remuer la préparation. Les odeurs familières des herbes aromatiques l’aidèrent à se reprendre.

Inëv pénétra la première dans la maisonnée, suivie de son frère. Dès l’instant où celui-ci franchit le seuil de leur demeure, Eulalie put discerner en lui la fierté et l’austérité dont Hölvi lui avait fait part. Son salut, une révérence mesurée accompagnée d’un léger hochement de tête, fut empreint du respect et de la formalité caractéristiques des hommes qui ne connaissaient pas l’hésitation. Ùbrok, malgré les marques de fatigue qui ornaient son visage, accueillit ses futurs gendres avec chaleur.

— Soyez les bienvenus en notre humble demeure, les invitât-il avec une bonhommie que sa fille ne lui avait vu que rarement depuis le décès de son épouse. Elle est assez vaste, notre Seigneur est généreux. Il y a trois alcôves, délimitées par des tentures. Les filles dormiront dans l’une d’elle, je prendrais une autres, vous devrez vous partagez la dernière avec mon fils en attendant le mariage. Une heptalune, ce ne sera pas long. Une fois Inëv devenue officiellement ma fille, je partirais pour mes obligations dans les barronnies.

À ces mots, Lakev et Hölvi échangèrent un regard chargé de sérieux, tandis qu’Eulalie et sa futur belle-sœur prise de gêne, détournèrent les yeux. Tirant une chaise à celle qui deviendrait très prochainement sa femme, l’apprenti bourreau fit de son mieux pour lui rendre le sourire. Invité par le père d’Eulalie à faire de même, le prétendant de la jeune femme s’assit à la table garnie de bol de terre cuite.

— Mon père est navré de n’avoir pu s’étendre plus sur Inëv avant de la faire venir. L’idée d’une double alliance lui est apparue après réception de votre réponse, s’excusa Lakev en sortant de son sac une bouteille de vin d’un rouge sombre. Ceci est de sa part. Il m’a expliqué part de votre souhait de diversifier vos liens familiaux. Etant donné que les enfant d’Hölvi et Eulalie ne sont pas voué au mariage, le fait que leur sang soit croisé ne posera pas de problème.

Sérieux, il plongea ses iris inquisitrices ceux d’Ùbrok.

— Inëv, bien qu’ayant vingt-et-une révolutions, n’a rien à se reprocher. Elle sera une épouse dévouée. Son célibat prolongé s’explique par sa place dans notre fratrie. Elle est la dernière de cinq enfants à unir, avec les exigences que vous connaissez.

Hölvi et son père acquiescèrent. Ils n’avaient pas besoin d’évoquer des difficultés similaires que leur quête de liens matrimoniaux propices au renouvellement de leur propre lignage leur avait données. Sa mère était venue de Lakia, en son temps.

— Eulalie, est bien plus jeune et a encore beaucoup à apprendre, souligna son frère d’un ton protecteur. L’âge ne fait pas tout dans une union, Inëv sera, j’en suis persuadé, une excellente épouse. Je ne doute pas qu’elle soir expérimentée dans des domaines inconnus à ma sœur.

Le chaudron caler contre sa hanche, la fille du bourreau se demanda de quelles tâches il pouvait s’agir. Commençant par les invités, elle se mit à servir le ragoût. Son bouquet de fleurs posés sur la table, elle vit Lakev grimacer alors qu’il devait évaluer le moment de lui offrir. En fuyant, elle lui avait ôté la possibilité de rendre ce geste galant naturel.

— Je me ferai un plaisir de l’assister dans son apprentissage, s’exclama humblement la weerl-niienne en réponse à son fiancé. J’ai aidé mes deux sorts à s’occuper de leurs enfants, notre mère m’a également enseigné tous les devoirs d’une épouse. J’aurai moi-même besoin de me familiariser avec les us et coutumes d’Undiev. Je suis persuadée que nous pourrons trouver comment joindre nos connaissances.

Le sourire rayonnant sur la peau laiteuse et constellée de tache de rousseur d’Inëv, fondit comme neige au soleil sous le regard oblique de son frère. La mine de Lakev trahissait une réprobation implacable face à son empressement. Cette remontrance muette fit naître chez Eulalie une impression d’intimidation. Détournant le visage, elle se cacha derrière les mèches qui l’encadrait.

— Quelque chose m’aurait-il échappé ? réagit Hölvi sur la défensive en prenant une gorgée de vin pour minimiser sa soudaine mauvaise humeur.

— À Weerl-Niia, il est considéré comme offensent d’évoquer sa famille en meilleure terme que celle que l’on rejoint, énonça patiemment Ùbrok en secouant la tête.

Inquiète, Eulalie ouvrit la bouche avant de se raviser. Critiquer ouvertement dès le premier soir les coutumes de son fiancer lui vaudrait l’une des rares gifles que lui avait administrer son père. Il serait d’ailleurs heureux qu’elle l’évite pour son impudence à avoir fui les salutations. Elle n’avait aucun doute d’en réchapper. Une fois tout le monde couché, le bourreau ne manquerait pas de lui rappeler les bases de son éduction.

Ce fugace arrêt sur le visage marqué de son père raviva en elle le besoin de prendre soin de lui. Après le départ de l’Ost, il n’avait été que trop solliciter, se nourrissant à peine. Ses joues s’étaient creusées et de lourds cernes marquaient le dessous de ses yeux.

— J’espère que vous ne vous êtes pas senti insulter, reprit Lakev d’un ton acéré. Inëv à pour seul défaut d’avoir du mal à mesurer ses paroles. Sa bonté dépasse souvent la barrière de ses lèvres.

— Alors elle sera très heureuse parmi nous, s’enorgueilli le bourreau. Nos lois et coutumes sont plus souples à ce sujet. Comme le fait de se couvrir, ne croyez pas que j’ai manqué l’insistance que vous mettez à éviter de vous attarder sur les cheveux de ma fille.

Stupéfaite, Eulalie renversa un peu de ragout hors du bol d’Hölvi. Compatissant, son frère se leva afin de la délester de son chaudron.

— J’ai pu le constater durant notre voyage, évoqua amer son futur fiancé. Chez nous, seules les filles perdues, ne réserve pas à leur époux l’entière exclusivité de les admirer à leur guise.

— Ma fille ne rechignera pas à adopter vos coutumes, s’empressa d’assurer son père pendant que son frère lui offrait un verre d’eau avant de la faire asseoir. Après-demain sera lunée de marché, Inëv pourra l’aider à choisir un voile adapter à vos convenances.

Anesthésiée, la concernée bu une longue gorgée de rafraichissante. Timide, elle suivit les contours du tissu qui couvrait les boucles de la Weerl-Niienne. Au moins n’était-il pas aussi austère que la coiffe portée par les Sœurs d’Ogdal.

— Il y en a vraiment de très joli, plaida avec compassion sa futur sœur en se tournant sur elle. Celui-ci est ordinaire car nous voyagions. Je ne tenais pas a attiré l’attention plus que nécessaire avant d’arriver ici.

Cette tentative de lui remonter le moral la touche. Cependant, son âme se terni. À quoi d’autres devrait-elle renoncer ?

Lorsque Lakev posa son regard inquisiteur sur Eulalie, une ombre préoccupée traversa son visage. Comme s’il craignait que quelque chose ne fût pas en ordre. Suivant ses pensées, Ùbrok caressa les cheveux de sa fille avec bienveillance.

— Comme je vous l’ai précisé dans mes missives, Eulalie est d’une nature particulièrement sensible. C’est une âme tendre que le décès de mon épouse lorsqu’elle était encore une enfant, m’a poussé à, je le confesse, surprotéger. Pouponné lui saillera à merveille.

La mine assombrie par cette confirmation, Lakev acquiesça lentement sans se détourner de la jeune femme.

— Mon père m’avait averti, admit-il avec une gravité teintée de réflexion. Il faudra également qu’elle prenne du poids. Vous me paraissez chétive. Manger plus ne vous fera pas de mal.

Hölvi, toujours prompt à défendre sa sœur, intervint avec assurance.

— Les dernières heptalunes ont été éprouvantes dans cette région. Nous avons eu beaucoup de travail avec les espions, argumenta Hölvi prompt à défendre sa sœur et seul à connaître la raison de son amaigrissement. Vous aurez plusieurs cycles pour vous apprivoiser avant votre union, d’ici là, Inëv l’aura instruite de tout ce qu’elle aura à savoir. Notre Eulalie à un tempérament plutôt docile, vous verrez.

La détaillant avec intensité, Lakev trouva le moment opportun pour lui tendre le bouquet de fleurs des champs qu’il avait cueilli à son attention. Le portant à son nez, la jeune femme en huma les pétales. Obéissante, docile… oui, cela lui saillait à merveille, se fustigea-t-elle avec tristesse. Telle était sa place. Cela lui rappela ses devoirs.

— Je vous remercie, pour votre attention.

— Je tiens à vous assurer, que je n’ai jamais levé la main sur une femme. J’ai été élevé dans le respect des valeurs familiales où un tel comportement est inconcevable. Hormis en cas de faute, cela va sans dire. Mon père à d’ailleurs souligner que l’union d’Inëv avec votre frère serait la meilleure garantie que nous aurions tous à ce qu’aucun faux pas ne viennent entacher nos vies.

Face à cette déclaration, Eulalie, submergée par sa timidité accrue, se replia sur elle-même. Cachée derrière ses fleurs, elle décela le sous-entendu de ses paroles. Chaque écart d’un côté serait rendu de l’autre. Heureusement, elle avait foi en la bonté de son frère. Presque face à elle, le regard de sa future sœur se fit fuyant malgré son sourire.

— Je n’en ai jamais douté, Lakev. Je connais ma fille, et je suis persuadé qu’elle s’adaptera à sa nouvelle vie, je vous demanderais seulement de lui en accorder le temps, rebondit Ùbrok, jetant un regard empli d’espérance vers Eulalie. Quant à Inëv, aucun mal ne lui sera fait sous ce toit.

― J’ai autorité à négocier les termes de nos contrats, continua Weerl-Niien en jetant une œillade à la jeune femme qu’il comptait épouser. Père vous propose des dotes équivalentes, et espère que vous ne serrez pas outrager que nous vous demandions un passage auprès de la matrone. Il en sera évidement de même pour ma sœur.

Perdant son air jovial, Inëv prit une teinte de craie. Quant à Eulalie, elle crut s’étouffer. Quelle idiote elle avait été ! Si elle s’était compromise avec Alaric, son inconduite aurait été connue de tous ! À cette simple pensée, elle se sentit s’empourprer.

― Bien sûre que non, votre demande est légitime, soutint Hölvi. J’aspire à ce qu’ils y aient du sang sur les draps la nuit de nos noces, il est naturel que vous en désiriez autant.  

Visiblement soulagé, Lakev se mit à parler des modalités des préparatifs des noces en Undiev. Pressée à s’éloigner de cet échange impudique, auquel ne devrait pas assister une femme non marié, elle se dirigea vers l’âtre sous prétexte de remplir la cruche. Elle déposa soigneusement son bouquet dans un broc. Cette occupation lui apparut tel un refuge face à la conversation qui la mettait mal à l’aise.

— Excusez-moi, je vais aider Eulalie avec le pain, s’esquiva Inëv une pointe d’appréhension dans la voix. Ma sœur, aurais-tu un vase pour mes fleures ? Je ne voudrais pas qu’elles se fanent.

La Weerl-Niienne se vint s’exiler dans son maigre abri. Agenouillée, la fille du bourreau local s’affaira à trouver un récipient adéquat. La conversation des hommes, évoquant les vérifications de la Matrone et les traditions de leurs communautés, continuait en arrière-plan. Il s’agissait d’un sujet délicat. Les rites de vérification de la virginité étaient empreints de gravité et d’intimité. Réduit à un bourdonnement dû à la nervosité de la jeune femme, aucun détail ne lui parvenait. Ce qui était pour le mieux. Sa mère n’avait pas eu le temps de la préparer à ce que serait ses noces. Ses deux frères et la vie en ville lui avait donner une bonne idée de ce qui l’attendrait.

— Maman m’a tout expliqué de mes devoir, j’en ferais de même pour toi, si tu le souhaite, offrit avec bonté Inëv avant de se mordre la bouche. Hölvi… a-t-il beaucoup de maîtresses ?

Saisissant un pichet Eulalie pressa ses lèvres. Consciente du poids que les activités nocturnes de son frère, sur lesquelles, la jeune femme ne nourrissait aucune illusions, aurait sur sa fiancée. Le silence qu’elle opposa fut lourd de non-dits, conduisant sa futur sœur à poser une question encore plus délicate.

— Crois-tu qu’il me restera fidèle après notre mariage ? chuchota-t-elle. Je veux dire… je sais que les hommes ont le droit de… il est normal qu’ils aillent… ailleurs, lorsqu’ils n’ont pas d’épouse… mais une fois unis devant Ogdal ?

Eulalie sentit les larmes lui piquer les paupières. Au moins n’aurait-elle pas à se demander où passerait Lakev quand il disparaitre, avant leur union. À Nuzeo, les étuves de mauvaises réputations faisaient légion.

— Oui, souffla-t-elle en se rappelant l’impatience d’Hölvi et le sens de la justice qui l’animait. Il te sera fidèle.

Elle voulait y croire. Parce que c’était également son espoir. Le contact de la main d’Inëv se posant sur la sienne la surprit. Elle aurait cru que les mœurs plus rigides de Weerl-niia ne permettait pas un rapprochement aussi intime. À moins qu’une exception existe pour ce qui était des membres d’une même famille.

— Mon frère à l’air dur, froid, mais il a le cœur bon, murmura Inëv. La vie ne l’a pas épargné. Cela n’empêchera pas qu’il prendra autant soin de toi qu’il ne l’a fait pour Iglänn sa précédente épouse. Son trépas lui a brisé le cœur. Il en a néanmoins gardé ses principes. Il voulait avoir fait complètement son deuil pour se consacrer à sa femme, lorsqu’il en retrouverait une. Une fois sienne, il ne vivra que pour toi et vos enfants.

Cette confession, partagée dans l’intimité des crépitements du feu, offrit à Eulalie un aperçu de la complexité de ce qu’elle s’apprêtait à affronter. Malgré la maladresse de Lakev, la dureté de ses propos, la foi d’Inëv en la bonté fondamentale de son frère, lui apporta un maigre réconfort. Une raison de l’encourager à envisager son avenir avec une once d’optimisme. De toute façon, Hölvi de lui avait pas permis de conserver le moindre espoir d’une lunée retrouver les lèvres chaudes d’Alaric d’Aprelön.

🗡️

Alaric se tenait au pied de Cazkër, citée dont la silhouette imposante se détachait à peine à l’horizon. L’attente était palpable parmi les rangs de l’ost, un mélange de patience et d’anticipation vibrait dans l’air alors que les ordres des Souverains tardaient à venir. La présence de la noblesse était clairsemée. Il ne restait plus que les Comtes et Barons, beaucoup parmi les Dames et leur suite avaient choisi la prudence. Elles s’en étaient retournées sur leurs terres face à la montée de la menace.

Les seules femmes présentes depuis lors au plus prêt des troupes, étaient celles qui avait suivit les combattants depuis leurs villes respectives. Cuisinières et couturières se distinguaient sans mal des putains présentes pour l’appât du gain. Les cheveux noués, un voile couvrant leur mèches depuis leurs entrées en Weerl-Niia, les premières marchaient tête haute dans le campement. Quand les deuxième préféraient y furetés la nuit, se glissant dans les interstices des tentes.

Heureusement pour Alaric, seules les plus téméraires osaient approchés des fameux Chevaliers de la Couronne dont les vertus n’étaient plus à compter. Aussi, lui et Ayleri n’avait eu à chasser que deux fois sur le cycle une importune pensant pouvoir s’égarer dans leurs bras.

— La guerre a cela de particulier, qu’elle révèle les véritables allégeances, murmura Alaric pour lui-même, fixant l’horizon lointain.

L’honneur inattendu que lui avait conféré Messire Flörïn Ladarion, peaufinant son maniement des armes, avait rempli Alaric d’un mélange de fierté et de perplexité. Le mage ne se contentait pas de lui enseigner l’art du combat. Il lui avait aussi ouvert la porte à quelques secrets du don d’Ogdal. Une faveur d’une valeur inestimable qui avait profondément touché le jeune chevalier.

Messires Adëran et Mùrkil s’amusaient également de lui montrer diverses attaques que seules pouvaient leur permettre leur pouvoir. Vifs, ils éduquaient Alaric à ne pas se faire prendre au piège d’un sort. Utilisant régulièrement sur lui la magie, ils souhaitent le désensibilisés au frissons et mouvement de recul qui le prenait. À présent, sentir un sort lui rappelait un léger chatouillement et des rires partagés plutôt que la crainte. Le respect envers ce don si précieux, il ne le perdrait jamais.

Toutefois, cette faveur avait un prix. Göntränn et Bërinn, bien qu’ils continuassent de lui adresser la parole, semblaient de plus en plus distants. Leur présence devenait aussi insaisissable que les ombres au crépuscule. Régulièrement, ils se perdaient parmi les tentations offertes par les putains suivant l’armée. Cherchant dans leur compagnie un plaisir éphémères, ils dilapidaient leur solde dans les tripots. Au point de s’être trouvé une tente à partager sans la présence d’Alaric et Ayleri.

Il n’y avait pas qu’eux qui prenait mal les nouvelles fréquentations du jeune chevalier. Son parrain, lui témoignait une froideur qui le glaçait jusqu’aux os. Quant à Gathrùn et Körin, ils ne manquaient pas une occasion de lui lancer des regards chargés de rancœur. Veillant scrupuleusement à ce que leurs expressions méprisantes restent invisibles aux yeux de Messire Flörïn et des autres Chevaliers Rouge.

Là encore, les frères d’Ayleri échangeait des passes d’armes. Lui adressant de temps à autres un regard emplit d’amertume.

Ayleri…

L’isolement intérieur qu’Alaric ressentait grandissait lunée après lunée. Amplifié par le fossé qui semblait s’être creusé entre lui et son meilleur ami au cours du dernier cycle de leur voyage. La distance, non pas physique mais émotionnelle, entre eux s’était accentuée. Le cadet d’Hërlev s’était immergé dans la compagnie des Gardiens de la Flamme. Les moines guerriers, avaient accueilli Ayleri parmi eux, le rapprochant de leur spiritualité fervente. Une dévotion pieuse que partageait Messire Flörïn et ses amis, décuplant celle du jeune chevalier.

Portant une main à la Flamme d’argent émaillée pendue à son cou, un don d’Eulalie, il ne pouvait s’empêcher de laisser ses pensées errer vers elle. Le souvenir de la chaleur de son corps pressé contre le sien, de la douceur de ses lèvres lors de leur éphémère étreinte, le hantait. Un sentiment de souillure l’envahissait à la pensée de ces moments de faiblesse. Ces pensées impures ternissaient ses prières. Un mal dont l’admonestait régulièrement le Gardien Oglev, qui ne manquait pourtant jamais de féliciter Alaric de ne pas céder à nouveau aux tentations de la chair.

— Tu ne devrais pas te laisser affecter par leur jalousie, Alaric. Tu as reçu un honneur mérité, le surprit Ayleri de son timbre tendre et bas.

Se retournant sur son ami, le cadet d’Aprelön lui offrit un sourire amer. Il reconnaissait dans ses paroles une vérité qu’il peinait à accepter. Les divisions semées par l’ombre de la guerre, les préférences affichées semblaient éroder l’unité qui le liait jadis aux autres.

L’âme en peine, il dévisagea son ami. Il était rare de pouvoir le croiser à cette heure. Les Gardiens se vouaient au moins six fois par lunées. Ayleri, bien qu’ils partageassent la même tente, semblait maintenant vivre dans un monde à part. Ses prières et méditations le tenant éloigné, rendant leurs échanges rares et superficiels. La proximité physique ne parvenait pas à combler le vide qui s’était installé entre eux. Un gouffre qui pesait lourdement sur l’esprit Alaric. Leurs longues révolutions d’amitié, autrefois si riches et si pleines, semblaient réduites à de simples souvenirs. Alors qu’ils avaient grandi et combattu côte à côte, partageant rêves et aspirations.

Que son ami avait gardés ses secrets les plus honteux.

— Peut-être, Ayleri. Mais à quel prix ? L’honneur et la connaissance valent-ils la solitude et l’éloignement des ceux qu’on considérait comme frères ? s’interrogea le jeune chevalier, son regard se perdant de nouveau vers l’horizon.

― Tu me semble bien chagrin, mon ami, nota le cadet d’Herlëv en se postant à ses côtés. Que t’arrive-t-il ? Te confier pourrais t’être bénéfique.

Une fraction de seconde, le chevalier hésita à se livrer. Les mèches brunes de son ami lui caressant la joue quant il posa sa tête sur l’épaule d’Alaric l’encouragea. Ses doigts s’entrelaçant à ceux du fils de son parrain, le jeune homme inspira pour se donner du courage.

— Tu me manques, murmura-t-il dans une tentative maladroite de franchir le fossé qui les éloignait. J’ai l’impression de gagner quelque chose au détriment de ta présence. Que nos chemins se sépare inexorablement. De te perdre au profit des Gardiens…

— Alaric, c’était… c’était inéluctable, lui arracha le cœur Ayleri, luttant pour trouver les mots justes. Les Gardiens, leur chemin, je le trouve… éclairant. Je n’ai pas voulu m’éloigner de toi, c’est juste que…

Les mots se perdirent, laissant derrière eux un sentiment d’inachèvement. Le jeune chevalier se souvint de leur projet de prêter serment ensemble. Avant qu’ils ne croisent pour la première fois les yeux chavirant d’Eulalie qui se faisait femme. Une opportune manquée qui avait scellé leurs destins.

Il savait que malgré leurs différences récentes, le lien qui l’unissait au cadet d’Herlëv était toujours là, quelque part. Tissé dans les souvenirs des enfants et écuyers qu’ils avaient été. Les hommes qu’ils étaient devenus, marquée par les divergences, étaient voués à se perdre. Une boule douloureuse noua la gorge d’Alaric. S’en était réellement fini de ses instants ? Leur amitié se perdraient-elles en même temps qu’ils franchiraient les champs de batailles dont ils avaient tant rêvé ?

Inspirant, le cadet d’Aprelön profita de l’odeur si familière de sueur et de savon qui l’avait accompagné sa vie durant. Le nez contre son cou, son ami lui chatouilla la peau en respirant à son tour. Penchant la tête, il déposa sa joue contre les cheveux un peu sale d’Ayleri. Leurs capes claquèrent au vent, s’enroulant sur leur corps appuyés l’un contre l’autre. Les yeux rivés sur les silhouettes de la chaine des Montagnes de la Rédemptions s’entendant à l’horizon, ils profitaient de cette instant suspendu hors du temps.

Comment ferait-il s’en lui ? Son ami était son pilier depuis si longtemps. Celui sur lequel il pouvait se reposer tant dans ses moments de doutes qu’au cœur des batailles.

Il se souvenait avec une nostalgie teintée d’admiration de ses premières lunées aux côtés de son frère d’armes. Ils étaient âgés de sept révolution quand la Cour du Comte était devenue leur terrain de jeu. Il revoyait encore parfaitement la première vision qu’il avait eu du visage fin, presque féminin de son ami. Se rappelait ses grands yeux vert hypnotique qui l’avait fasciné. C’était lors d’une après-midi particulièrement chaude, alors que la sueur perlait sur son front qu’Ayleri lui avait tendu pour la première fois la main.

Alaric s’était découragé, incapable de maîtriser l’arc comme il l’aurait voulu. Ses flèches s’égaraient loin de la cible. Il avait ressenti pour la première fois le poids de l’échec dont son père l’accusait sans cesse. Le rire clair du cadet d’Herlëv l’avait blessé, avant que l’enfant ne cours pour le rejoindre. * Ne t’inquiète pas, même les plus grands archers ont dû commencer quelque part ! * avait-il pouffer le petit garçon en lui embrassant la joue. * Et au pire, sur les champs de batailles, tu pourrais toujours prétendre avoir cassé son arc pour te servir de ton épée. Tu es excellent à l’épée ! *

C’était son ami qui avait transformé les moments les plus horribles épreuves de son enfance en une complicité réconfortante. Alaric ne pourrait jamais oublier cette lunée d’hiver lorsque la neige recouvrait les terres de Nuzeo d’un manteau d’un blanc éclatant. Perdu dans ses pensées, le cadet d’Aprelön avait trébuché lors d’une joute amicale, sa chute éveillant l’hilarité des autres pages. La honte avait coloré ses joues plus vivement que le froid. Ayleri, rapide à réagir, avait volontairement glissé à son tour, transformant l’incident en une farce partagée. Levant les yeux vers Alaric, il lui avait lancé un clin d’œil complice.

 Ces moments de camaraderie, bien d’autres également étaient gravés dans son cœur. Témoignages de l’amitié pure et désintéressée qui les unissait. Des souvenirs voués à disparaitre avec le temps.

— Crois-tu avoir trouvé ta voie ? articula-t-il le timbre teintée de sollicitude.

Le visage, d’une délicatesse presque efféminée, d’Ayleri se nicha un peu plus dans son cou. Baissant les yeux, il masque l’ombre de ses longs cils voiler son regard. La tristesse qui brillait sous ces derniers s’intensifia, conférant à l’instant une gravité que même les mots auraient peiné à exprimer.

— Je pense trouver la paix dans la prière et la chasteté. La rédemption pour mes pensées impures, dans le combat pour la foi d’Ogdal et ses Saints.

Un frisson parcourut l’échine d’Alaric à l’évocation des péchés que son ami se fustigeait de commettre. Un mystère dont Alaric n’arrivait pas à lui arracher la teneur. La porte fermée qui avait marqué le début de leur séparation. Cette infamie dont ne pouvait se confier son amie.

— Ne crains pas de me perdre, Alaric. Tu es le seul être dont je me soucie véritablement. Nous serons toujours… frères… frères d’armes, poursuivit Ayleri avec une conviction teintée de mélancolie, en se pressant contre lui. Quoi qu’il advienne, mes devoirs envers la Corporation des Gardiens ne primeront jamais sur un appel à l’aide de ta part. Je répondrai présent, je serai ton ombre. Celui qui se tiendra à tes côtés dans l’adversité. N’en doute jamais.

L’effroi se mêla à un soulagement amer tandis que le cadet d’Aprelön réalisait que son ami avait déjà pris sa décision. Il était apaisé, d’une certaine manière, que son frère de cœur ne se soit pas entièrement voué à la repentance en choisissant le Corps des Moines d’Ogdal. Cela aurait signifié pour le fils de son parrain de renoncer définitivement aux armes. Toutefois, la vie au sein des Gardiens était marquée par une austérité rigoureuse et des vœux de dévotion.

— Tes promesses m’honore autant que je suis inquiet de te savoir prendre la Flamme. Les Gardiens mènent une vie de sacrifices. Es-tu prêt à accepter une telle existence ? Renoncer à prendre femmes, ne jamais espérer avoir d’enfants.

Ayleri releva ses prunelles vert tendre dans lesquels brillaient une lueur qu’il n’avait jamais vu luire pour une autre personne que lui. Dans l’expression de son ami, Alaric vit une détermination tranquille, une acceptation sereine de son destin. C’était la décision d’un homme qui avait pesé ses options et choisi son chemin. D’un chevalier prêt à renoncer à la luxure pour quelque chose de plus grand. Une voie qui le transcendait.

— Je n’ai jamais aspiré à cela. Les femmes ne sont pas pour moi une source de tentation. En cela, j’ai la conviction qu’Ogdal m’accordera la force de renoncer à mes vices. Qu’il m’est ma foi à l’épreuve pour mieux me récompenser lorsque je serai entièrement consacré à toi. Retiens que rien dans cette vie, pas même la rigueur de mes serments ne pourra éloigner mon âme de la tienne.

Alaric doutait que cette promesse fut possible. Il ne mettrait néanmoins pas en doute les convictions d’Ayleri à l’accomplir. Le mystère de ce qui tourmentait son ami, lui restait entier. Son frère d’arme lui avait dit que la lunée où il en comprendrait la teneur, la déception du chevalier serait trop grande. Que cette perspective l’accablerait. Il ne voyait rien, qui pourrait éloigner son affection du cadet d’Herlëv. Nul vice qui le rendrait impure à leur amitié.

Se mordant la lèvre, il sentit le goût du sang sur sa langue.

Il s’apprêtait à l’assurer à Ayleri lorsque l’une voix familière brisa l’échange de presque communion, qu’ils partageaient.

— Vous voilà ! Je vous cherchais, les réprimanda à demi Messire Flörïn les faisant se retourner. La première bataille aura lieu dans deux lunées. Nous devons nous mettre en marche immédiatement, les fidèles du Culte d’Higdrï ont franchi la frontière Weerl-Nienne. Plusieurs villages ont déjà eu à souffrir des troupes Benyiriennes. Les mages envoyés en éclaireurs n’ont rien pu faire pour les trois premiers.

Se séparant à la hâte d’Alaric, Ayleri se retourna en même temps que son ami pour détailler le Chevalier de la Couronne. Sa côté de maille passé sous sa tunique, il avait enroulé sa cape autour de son cou. Ses courtes mèches de cheveux blonds, étaient encore humide de son bain. Ses iris bleu et scrutateur ne manquèrent pas de s’arrêter sur les mains nouées des jeunes hommes. Sentant ses joues le brûler, le cadet d’Aprelön prit conscience du spectacle qu’il donnait un sablier auparavant.

— Mes chevaliers et moi sommes tout aussi proche, s’adoucit l’envoyé du roi en se rapprochant d’un pas. C’est cette complicité qui nous sauve dans les batailles. Conservez là précieusement. Alaric, tu ne pourras malheureusement pas combattre à mes côtés. Les mages seront en première ligne. Ne t’inquiète pas, j’ai demandé que tu sois placé juste derrière les Chevaliers de la Couronne. Les miens t’encadrerons.

Les doigts d’Ayleri frôlèrent les siens, quand il frissonna d’excitation.

— Cela a, je dois l’admettre, déplu à ton suzerain.

Voilà qui expliquait l’animosité grandissante de son parrain, de Gathrùn et Körin. Son ami pivota la pointe de son menton sur lui. Ses traits marqués par l’inquiétude, il resta un instant lèvres entrouvertes.

— Messire Flörïn, n’êtes-vous pas l’envoyés du roi ? Votre parole de prévaut-elle pas sur celle du Comte ? s’avança Ayleri avant de pouvoir retenir le flot de parole qui coula de ses lèvres.

— Oui, je le suis, confirma patiemment le Chevalier Rouge alors que les ordres commençaient à tonner en tout sens. Cependant, bien que ma position empêche les Nobles de refuser mes demandes, cela ne signifie pas pour autant qu’Alaric sera à l’abri de représailles. Les vengeances peuvent être subtiles… et dangereuses.

Le mage marqua une pause, pesant ses mots. Ses yeux empli de compassion, il détailla chacun des jeunes chevaliers avec une insistance qui interpela Alaric.

— Messire Ayleri, il est temps pour vous de rejoindre les Gardiens de la Flamme. Oglev vous cherche pour vous introniser Postulant dans l’heure. Cette honneur à été voté durant leur dernière dévotion, raison pour laquelle vous n’avez pu y assister.

S’en était fait ! Cette annonce tomba sur le cadet d’Aprelön tel un couperet. Le fil ténu de ses espoirs n’y résista pas. Il s’apprêtait à perdre son ami. Le silence qui s’ensuivit fut chargé d’une réalité d’une fébrilité qui l’émut. La main d’Ayleri frôla la sienne. La bouche animée de soubresauts, le fils de son parrain avait une mine bouleversée. Alaric pouvait apercevoir dans ses iris vert tout l’émerveillement que contenait son frère d’arme. Le chevalier sentit un vide se creuser en lui, une brisure qui ne se réparerait peut-être jamais.

La perspective de voir son ami s’éloigner pour embrasser sa nouvelle vie au sein des Gardiens, lui fut insupportable. Le sang battit contre ses tempes, résonnance du gouffre qui l’enveloppait. Croisant l’expression de Messire Flörïn, il sut que le mage comprenait ses tourments. Au chagrin dans ses prunelles, il décela qu’il en partageait toute la douleur. Lui aussi avait perdu un frère chez les Gardien.

🧶

Son cœur battant la chamade, Eulalie progressait avec réserve dans les longs couloirs du Palais Comtal. Encadrée par quatre gardes imposants, elle se dirigeait non vers les cachots, mais vers l’un des boudoirs ornés de la forteresse. La Vicomtesse de Montmörzy l’avait faite appelée, elle !

Son père, bourreau de profession, était absent. Partit dans un village voisin pour régler un banal cas de fraude. Les gardes, sous un prétexte courtois mais ferme, avaient écartés Inëv et Hölvi. Arguant que la Vicomtesse ne souhaitait pas les importuner avec les préparatifs nuptiaux. Lakev, avait surpris Eulalie par son intervention inattendue. Distant et réservé, il s’était détaché de son habituelle froideur pour prendre sa défense. Une action qui contrastait fortement avec l’image qu’elle s’était forgée de lui durant ces deux dernières lunées.

Malgré son aversion initiale et les sentiments qu’elle nourrissait pour un autre, le geste de son fiancé lui avait arraché une once de reconnaissance. Confuse, Eulalie était partagée entre son mécontentement pour le manque de respect involontaire qu’elle lui avait montré à son arrivée, et une curiosité naissante face à ce comportement protecteur. Le voile qu’elle portait pour lui faire plaisir lui chatouilla les oreilles. D’un bordeaux profond, il était assortit à sa robe simple.

Les gardes avaient mentionné, avec froideur, que la Vicomtesse désirait punir l’une de ses femmes de chambre pour un vol mineur. C’était pour cette raison qu’elle requérait l’avis « plus délicat » de la fille du bourreau. Cette formulation, chargée d’un ironique sous-entendu ne faisait qu’accroître l’anxiété de la jeune femme. Elle pouvait adapter un châtiment adapté, cependant… délicat n’était pas le terme qu’elle aurait choisi.

Tandis qu’elle approchait du boudoir, Eulalie se sentait déchirée entre la peur de déplaire à une femme de si haute stature et la nécessité d’accomplir son travail. Lorsque l’un des gardes frappa à la porte finement ouvragée, un silence pesant précéda l’invitation de la Vicomtesse à entrer. La porte s’ouvrit sur l’antre des Dames de la Cour.

La pièce était baignée de lumière, filtrée à travers des vitraux colorés. Les murs drapés de tapisseries narratives, étaient occupés par un mobilier de bois sombre, richement sculpté. Au centre, un tapis aux motifs complexes ajoutait une touche de couleur sur le sol de pierre froide. Des coussins brodés étaient éparpillés avec soin, offrant une impression de confort dans cet environnement majestueux.

Contre toute attente, les gardes poussèrent brusquement la jeune fille à l’intérieur. Les gonds pivotèrent simultanément, la laissant seule face à ce qui l’attendait. Tremblante, Eulalie s’avança vers la Vicomtesse, assise sur la banquette en pierre d’une large fenêtre. La noblesse de son port contrastait avec le regard acéré qu’elle posait sur Eulalie. Son regard perçant la scruta de haut en bas comme pour percer son âme.

— J’avais imaginé quelqu’un… de différent, déclara la Dam avec une froideur condescendante. Falia, l’ancienne amante d’Alaric, était bien plus appétissante. Regardez-vous, on dirait une lapine effrayée.

Les mots frappèrent Eulalie comme une gifle. Chaque syllabe s’enfonça dans son cœur avec la précision d’une dague. Sa gorge se serra. L’air lui manquait alors qu’elle luttait pour maintenir une contenance devant cette remarque cinglante.

— Je… Je suis désolée de ne pas répondre à vos attentes, Dame de Montmörzy, réussit-elle à articuler ébranlée par l’émotion.

Le regret de l’absence de Hölvi, ou de Lakev, d’un homme, se fit cruellement sentir. Vicomtesse était la mère du chevalier qu’avait servi Alaric en tant qu’écuyer. Une personnalité importante qu’elle ne pouvait pas se permettre de froisser.

Eulalie, d’une chasteté et d’une piété respectueuse, se trouvait face à une discussion qui l’effrayait. La réalité que Alaric, l’objet secret de ses affections, partageait la couche d’une autre, avait été une plaie ouverte sur son cœur. Oh, elle l’avait surpris dans un moment d’intimité indiscrète avec Oral, l’une des paysannes d’Herlëv qui vendait ses charmes aux fils de la Baronnie. Cette image avait laissé une cicatrice indélébile sur son âme. Loin de toute pudeur, la Vicomtesse abordait la chose avec une désinvolture qui la rendait pantoise.

— Je suis au courant, jeune fille, de votre… faiblesse pour le chevalier Alaric d’Aprelön. N’oubliez pas ce qu’il advient des femmes qui succombent aux baisers d’un autre avant leur mariage. Ce sont les lupanars qui les attendent, lança sa suzeraine interrompant les tumultes de ses pensées. Les hommes ne feraient qu’une bouchée de votre fragilité.

Ces mots, prononcés avec une froideur calculée, faisaient écho aux pires craintes d’Eulalie. Comment la Vicomtesse pouvait-elle savoir ? À son départ pour la Croisade, dans un élan de passion juvénile, elle avait couru après Alaric… avait-elle été observée ? jugée ? condamnée ?

Un vertige s’empara d’elle. Le monde sembla vaciller sous ses pieds. Elle chercha un soutien, ses mains tremblantes trouvant le bord d’une table ornée. Le regard de la Vicomtesse, empli d’une inquisition froide, pesait sur elle. Elle se sentait désemparée, piégée dans un jeu de pouvoir et de secrets où chaque mot. Chaque geste pouvait être son déshonneur.

— Je… Je vous assure, Madame, que mes actions… s’arrêta-t-elle incapable de former une défense cohérente.

― Asseyez-vous, claqua la Vicomtesse.

Obéissante, Eulalie s’exécuta sans un mot. Chancelante, elle s’assit sur le banc de pierre glacée. Elle garda les yeux fixés sur ses pieds, la gorge serrée par l’angoisse qui l’envahissait. Tandis que la noble se détournait vers la fenêtre, laissant son regard se perdre dans le lointain. La jeune femme restait pétrifiée, consciente de la gravité de la situation. Elle comprenait maintenant pourquoi les gardes avaient insisté pour qu’elle vienne seule. Il n’avait jamais été question de discuter d’une quelconque faute d’une servante. Si la Vicomtesse n’avait pas eu d’autres intentions, elle aurait déjà exposé son écart aux yeux de tous. L’idée d’être bannie, rejetée par sa propre famille, lui était insupportable.

— Je suis informée de tes baisers honteux avec le chevalier d’Aprelön, trancha la Vicomtesse, sans se retourner. Je ne me fais aucune illusion sur ce qui a pu se passer ensuite. Cet homme est vigoureux. Mon fils lui a donner des bons exemples.

Eulalie ouvrit la bouche pour se défendre.

— Épargne-moi tes justifications. Ce que tu fais de tes… attraits ne regarde que toi. Toutefois, si tu te montres… coopérative, je m’engage à assurer que tu seras vue comme pure pour ton mariage. La Matrone peu avoir la main leste. Personne n’aura vent de cette… aventure.

Elle sentit un vertige la saisir. Les mains aplatie sur le revêtement rugueux, elle retint ses larmes. La proposition de la Vicomtesse, bien que teintée d’une menace voilée, lui offrait un semblant de sortie. Néanmoins, l’humiliation de cette concession, le prix de son silence, pesait lourd sur son âme.

— Je suis lasse de jouer selon les règles des hommes, de rester confinée dans leur ombre, déclara la Vicomtesse, d’une voix trahissant une ambition. À présent que la guerre se profile aux portes du Benyir, il revient à nous, les femmes, de positionner nos pions.

La stupéfaction pétrifia Eulalia. Jamais elle n’aurait pu imaginer une telle aspiration à l’indépendance et à la puissance dans l’esprit des Nobles Dames de la Cour. Enfin, Dame de Montmörzy avaient parlé au pluriel. Il était de notoriété publique que la Comtesse et elle étaient proches amies. Mais de là à fomenter…

— Vous avez le choix, petite fille. Soit, vous devenez mes yeux et mes oreilles, rapportant tout ce que tu peux apprendre des prisonniers pendant que les hommes de ta famille les tortures. Soit ton fiancé apprendra ta faute avec Alaric d’Aprelön.

Le geste de la Vicomtesse, pointa du doigt la tasse fumante posée à côté d’elle. Les lourdes manches de velours buisèrent, soulignant la détermination de son ordre.

— Je sais que ta mère t’a quittée trop tôt, ajouta-t-elle avec un semblant de douceur qui ne parvint pas à masquer l’ultimatum sous-jacent. Je préférerais que tu ne te faces pas empoisonner par des charlatans. Bois cette tisane, jusqu’à la dernière goutte. Elle t’empêchera de mettre au monde un bâtard. Maintenant ! Vu le physique de ton futur époux, il sera impossible de confondre son rejeton avec celui d’Alaric d’Aprelön.

Outrée, Eulalie hésita une fraction de seconde à s’emparer du gobelet. Elle n’avait rien fait de répréhensible au point de… Non, le chevalier ne l’avait pas touchée de cette manière… elle ne pouvait pas… Si elle avalait cette tisane, elle commenterait un péché contre Ogdal. Enfin, aucun enfant n’aurait à souffrir de… Et si elle buvait, cela confirmerait les accusations de la Vicomtesse ! Le choix qui lui était imposé la forçait dans un rôle qu’elle n’avait jamais souhaité jouer. Pourtant, l’alternative lui paraissait bien pire.

― Allons ne vous faites pas priez !

Tremblante, la jeune femme saisit la tasse entre ses mains. La chaleur du breuvage se diffusa à travers le métal ciselé. Ses pensées tourbillonnaient comme les volutes de vapeur s’échappant du liquide. D’une traite, elle avala le breuvage amère qui lui brula la langue. Alaric ne reviendrait pas avant des révolutions. Elle ne pouvait pas compter sur sa protection. Ce que lui offrait la Dame face à elle était la certitude de ne pas salir le nom de son père.

La Vicomtesse, imperturbable devant l’embarras et la docilité d’Eulalie, sourit avec dédain.

— Je vous conseille vivement de partager le lit de votre fiancé avant votre mariage, continua la Vicomtesse d’une assurance glaciale. Cela vous apportera des avantages qui pourrait être agréable. De plus,  un homme est souvent plus enclin à la confidence dans l’intimité. Quand il est repu sur un oreiller l’oreiller.

Eulalie, saisie d’effroi et d’indignation, ne put réprimer un refus

— Jamais je ne me permettrais une telle indécence ! Il en va de l’honneur de mon père, de ma famille tout entière….

La Vicomtesse, un sourire désabusé aux lèvres, la regarda avec une condescendance glaciale.

— Vous êtes mignonne. Il y a bien des moyens de simuler du sang sur les draps la nuits de ses noces… Préfériez-vous que je finance les escapades de votre futur époux auprès des putains ? Soyez en sûre, un jeune homme de sa vigueur aura des… besoins.

Prise de vertige, Eulalie se sentit submergée, incapable de trouver les mots pour répondre à une telle indéscence. Les larmes menaçaient de déborder, la brûlure de l’injustice et de la frustration cuisant ses paupières.

— Oui, je… Je suis consciente des… besoins d’un homme, mais… bredouilla-t-elle dans murmure, son cœur se serrant à l’idée de ce compromis déshonorant.

Visiblement agacée par la résistance d’Eulalie, la Vicomtesse afficha un air d’exaspération. D’un mouvement ample de ses manches évasées, la Dame la congédia avec brusquerie.

— Allez-vous en ! J’attendrai de vos nouvelles à la suite de chaque interrogatoire. Pour l’heure, quittez ma présence !

Bondissant sans demander son reste, la jeune femme se remit sur ses pieds. Ses chaussons de cuir ne firent aucun bruit sur le sol, rendis qu’elle se mettait à courir. Sans qu’elle ne sache comment, les portes du boudoir s’ouvrir devant elle. Sans doute sous un ordre de la Vicomtesse. Une main plaquée contre sa bouche pour retenir la bile qui lui coulait sur la langue, Eulalie s’engouffra dans les couloirs du Palais. Dans son dos, les gardes ricanèrent avec mépris.

Perdue dans ses pensées tumultueuses, elle erra sans but à travers les rues animées. Insensible à l’effervescence qui caractérisait habituellement cette heure. La tristesse enveloppait son cœur d’une brume épaisse. Chaque sons et parfums autour d’elle lui apparaissaient ténu. Les rires des enfants jouant à quelques pas de là lui parvenaient comme atténués. L’odeur habituellement réconfortante du pain frais émanant de la boulangerie voisine n’éveillait en elle aucun sentiment de plaisir.

La gravité de sa situation, lourde de conséquences sur son honneur et son avenir, pesait sur ses épaules comme un fardeau insupportable.

La certitude qu’aucun mal ne pourrait lui être fait en raison de ses liens familiaux lui permettait de ne pas prendre garde à son chemin. Elle, la fille du bourreau, la sœur de son successeur, et la promise d’un Weerl-Niien taciturne qu’elle connaissait à peine, lui assurait la sécurité.

Portant une main à ses cheveux, elle toucha machinalement le foulard qui couvrait à présent ses cheveux. Exigence des coutumes de Weerl-Niia auxquelles Lakev semblait tant tenir. Chez lui, une fille arborant sans retenue sa chevelure était une femme de petite vertu. Le tissu soyeux coula sous la pulpe de ses doigts. Elle se rappela le moment où Inëv l’avait aidée à le choisir. L’approbation qu’elle avait lue dans les yeux de Lakev ce matin-là, quand elle l’avait accroché, avait été pour elle une rare source de satisfaction.

* Tu honores ma tradition, Eulalie. Je t’en remercie, lui avait-il dit, avec cet air grave et austère qui le caractérisait. *

Le jeune homme maintenait une distance constante, ne la touchant jamais. Les coutumes de son pays lui interdisaient tout contact physique avec une femme n’étant pas la sienne. C’était Inëv qui en avait informé Eulalie. Sa future belle-sœur elle-même sursautait dès qu’Hölvi l’approchait de trop prêt. De ses dires, aucune autres personnes que les membres d’une même familles pouvait avoir le moindre contact physique.

Comment, alors, Lakev pouvait-il se permettre de fréquenter des lieux de débauche ? La veille, elle l’avait vu se faufiler hors de la maison en compagnie d’Hölvi. Ils n’étaient rentrés que bien plus tard.

Cette pensée ravivait en elle un tourbillon d’émotions contradictoires. Le désarroi, la trahison, et une douleur profonde l’assaillaient, la laissant dévastée. Comment pouvait-elle concilier l’image d’un homme qui tenait à des principes apparemment stricts concernant la vertu et le comportement d’un individu fréquentant en secret les bas-fonds de la ville ? Eulalie se sentait piégée dans les mensonges et de faux-semblants.

Lui en voudrait-il d’avoir embrassé un autre homme ? La simple idée que Lakev l’apprenne une lunée enflamma le joue de la jeune femme. Non, il ne comprendrait pas ! Elle serait ruinée ! Les hommes pouvaient se permettre ce genre d’incartades ! Les femmes elles, se devaient d’être pures et… Son fiancé avait été claire sur ce qu’il désirait !

En traversant la courette pavée qui menait à sa demeure, Eulalie aperçut Inëv. Sa future belle-sœur était affairée à tresser soigneusement le lierre qui ornerait l’entrée de la maison. Symbole de félicité et d’honneur pour son union imminente. À quelques pas de là, Lakev fendait le bois. Les muscles de ses bras se dessinaient, puissants, sous le tissu de sa tunique. Des gouttes de sueur perlaient sur son front, témoignant de l’effort soutenu. Ses boucles rousses lui tombaient sur le front et le long de la mâchoire. À terre, un amas de bûches témoignait de sa besogne.

À l’approche de la jeune femme, il interrompit son geste. Un pli soucieux barra l’espace entre ses sourcils, ses yeux scrutant la jeune femme avec une interrogation muette. Inëv, remarquant l’arrêt soudain de son frère, leva les yeux et croisa le regard d’Eulalie. Son expression s’assombrit d’inquiétude. Son visage pâle perdit une teinte en apercevant les traces à peine dissimulées des larmes de la jeune fille. Ses yeux probablement rougis, devaient trahir l’ampleur de sa détresse.

— Eulalie, que t’est-il arrivé ? s’exclama Inëv, abandonnant son ouvrage pour s’approcher.

Alerté, Hölvi, apparu, surgissant de l’ombre porte de la maison. En trois enjambées, il se précipita vers sa sœur. Sans un mot, il l’enveloppa dans ses bras, une étreinte protectrice et réconfortante. La chaleur qui émana de lui donna à Eulalie une impression de sécurité. Le cœur submergé par le chagrin et la confusion, elle s’abandonna au réconfort de cette étreinte fraternelle. La joue pressée contre le torse solide de son ainé, elle se réfugia dans les battements de son cœur.

— Qui t’a fait ça ? grogna-t-il contre son oreille.

Emprisonnant le menton d’Eulalie entre deux de ses doigts, Hölvi lui releva le visage pour l’obliger à croiser son regard. Par-dessus l’épaule protectrice de son frère, elle repéra Lakev. Son expression trahissant une sorte de mécontentement contenu, il se mordait sur sa lèvre. Sans doute dans l’espoir de retenir des mots durs. La jeune femme ne pouvait s’empêcher de penser qu’il la jugeait encore plus fragile qu’on ne lui avait décrit. Il n’avait pas fait de mystère de ses désillusions à se sujet.

— C’est cette histoire avec la servante qui te met dans cet état ? s’enquit Inëv en s’approchant.

― Ne te mêle pas de ça ! Je gère ! la brusqua Hölvi avant qu’Eulalie ne puisse répondre.

Perturbée d’entendre son frère reprendre de la sorte sa fiancée, la fille du bourreau recula le buste. Elle lu immédiatement sur les traits de celui-ci ses regrets. Blessée par l’impétuosité de son futur mari, Inëv avait baissé les yeux et courbé les épaules. Une soumission tacite.

— Ne fais pas ça, Inëv… Je ne suis pas en colère. Pas contre toi, soupira Hölvi en guise d’excuse. Relève la tête, tu es bien plus jolie quand je peux voir tes yeux.

Le son brutal de la hache qui se planta dans un tronc fit sursauter Eulalie.

— On peut savoir ce que signifie cette sensibilité excessive ? Notre métier ne permet guère de telles démonstrations de sensiblerie, lança Lakev d’un timbre froid, sans se détourner de sa besogne.

Les lèvres tremblantes, sa fiancée ne put s’empêcher de songer aux femmes que le taciturne Weerl-Niien devait côtoyer dans les endroits de perdition qu’il fréquentait. Elles ne devaient être, ni tendres ni totalement soumises, pensa-t-elle amèrement. Tout son contrainte. Cette supposition exacerba le fossé qu’elle ressentait déjà entre eux. Comment pouvait-elle espérer construire une vie avec un homme qui semblait mépriser sa sensibilité ? Elle qui n’avait connu que l’amour inconditionnel de son frère et la bienveillance de leur père ?

Il n’était pas de ceux qui comprendrait. Pas comme Hölvi. S’il apprenait ce qu’elle avait fait… ses valeurs l’encouragerait à la répudier.

Les larmes menaçaient de nouveau de déborder des yeux d’Eulalie. Une sensation brûlante qui annonçait l’imminence d’un nouvel éclat de chagrin. Dans ce moment de vulnérabilité, elle sentit la main réconfortante d’Inëv se poser délicatement sur son dos. Esquissant des cercles apaisants entre ses omoplates, sa belle-sœur veillait à ne pas toucher Hölvi. Un geste tendre, mesuré, entre femme.

Un pied sur la souche qui lui servait à fendre le bois, Lakev, sembla sur le point d’intervenir. Elle crut tout d’abord qu’il surveillait la distance imposée entre sa sœur et son fiancé. Seulement, il lui sembla discerné dans le vert profond de ses yeux, une lueur de regret. Une émotion inattendue chez cet homme de bonne composition mais si distant.

— Eulalie, Inëv, les interpella-t-il. Je vous prie de pardonner ma remarque… ainsi que mon attitude.

La sincérité inattendue dans sa voix grave fit chavirer Eulalie. Braquant ses yeux sur elle, il la détailla les traits fermés.

— À l’avenir, je m’assurerai de t’accompagner moi-même pour les affaires de justice. Pour peu que cela est en mon pouvoir.

Les mots de Lakev, empreints d’une promesse de protection, offrit un maigre réconfort à la jeune femme. Elle songea à sa relation clandestine avec Alaric d’Aprelön. Aux conséquences déchirantes que la révélation de ce secret pourrait avoir sur son fiancé. Même si leur engagement était arrivé après le départ du chevalier, le bourreau serait sali. La demande de la Vicomtesse l’avait placée dans une position intenable. Elle n’avait aucune autre alternative que d’accepter ses conditions. Trahir le Comte et la profession qu’elle exerçait.

L’homme choisi par son père interpréta mal son silence. Lakev se détourna avec une résignation manifeste. Saisissant la hache avec un geste empreint de frustration, il abattit l’outil sur une énorme bûche, la fendant d’un coup. Le bruit du bois se brisant sous la force de l’impact résonna entre eux comme un couperet. Elle l’avait blessé, elle en avait conscience.

Sentant le poids qui accablait sa sœur, Hölvi se pencha doucement vers elle. D’un geste tendre et protecteur, il déposa un baiser sur son front. Lui emprisonnant les poignet, il la poussa avec précaution dans l’étreinte d’Inëv. Aimante et attentive, sa fiancée enveloppa la jeune femme de ses bras. Croisant à peine le regard de son futur mari, la Weerl-Niien lui indiqua prendre le relais.

― Ne t’inquiète pas, susurra-t-il à Eulalie. Je vais arranger les choses. On doit tous fournir des efforts.

Dans attendre de réponse, il s’éloigna d’elle pour rejoindre Lakev. En retrait, Inëv et elle, observaient les deux jeunes hommes converser à voix basse. La frustration émanait clairement du bourreau dont la mâchoire se décelait à peine. Les intonation de sa voix trahissait sa déception et son dénuement face à la situation. Bien qu’elles ne pussent saisir l’intégralité de leur échange, quelques mots s’échappèrent jusqu’à elles. « Effarouchée », « s’habituera », et « câline » étaient des fragments de phrases qui parvinrent à leurs oreilles. Chaque mot capté suscitant chez Eulalie une nouvelle vague d’émotions.

La mention d’être « effarouchée » renforçait en elle le sentiment d’être perçue comme une créature délicate. Peut-être trop fragile aux yeux de son fiancé. L’idée qu’elle « s’habituera » lui laissait entrevoir un futur où elle devrait se plier à ses attentes. Ce qu’elle avait déjà commencé. Quant à « câline »… il semblait presque étranger dans le contexte de leur relation naissante, empreinte de distance, d’appréhension. Néanmoins, c’était le terme qu’utilisait régulièrement sa famille pour la qualifié lorsqu’elle était enfant.

Ces derniers cycles, ses frères et son père avaient veillé à espacer ses demandes d’affections. Inëv la pressa contre son sein. Une affection toute maternelle s’échappait de la jeune femme. Quelque chose qui rappelait à Eulalie qu’elle n’était pas seule, plus maintenant.

― Ne t’inquiète pas, Lakev n’est pas rancunier, lui assura sa belle-sœur avec affection. Il peut se montrer sévère mais n’est jamais injuste. Il a conscience qu’il est trop tôt pour que tu t’ouvres à lui. Je sais qu’il t’intimide mais… il n’est pas méchant, je te l’assure.

Un grognement accompagna l’éclat d’une bûche explosant sous la rage contenue du jeune homme. Enfermée dans les bras d’Inëv, Eulalie songea qu’il y avait peu de chance que son fiancé garde son calme s’il venait une lunée à apprendre ce qu’elle avait fait. À moins que… si elle perdait son honneur, il y laisserait également une partie du sien.

Dans tout les cas, elle appartenait à présent à la Vicomtesse.

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